Vu la requête, enregistrée le 30 mars 2010, présentée pour la société KEOLIS RENNES, dont le siège est rue Jean-Marie Huchet à Rennes Cedex (35040), par Mes Tournès et Bertacchi, avocats au barreau des Hauts-de-Seine ; la société KEOLIS RENNES demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0703960 du 4 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la restitution à concurrence des montants de 1 772 741 euros et 1 717 504 euros de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé diverses subventions et compensations financières qu'elle a perçues au cours de la période allant du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002, assortie des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme dont le montant sera fixé ultérieurement sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
...........................................................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 6 octobre 2005 Commission c/ Royaume d'Espagne (C- 204/03) et Commission c/ République française (C- 243/03) ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 septembre 2012 :
- le rapport de M. Monlaü, premier conseiller,
- et les conclusions de Mlle Wunderlich, rapporteur public ;
Considérant que la société KEOLIS RENNES, qui exploite le réseau de transport public de voyageurs de l'agglomération de Rennes aux termes d'une convention de délégation de service public conclue le 23 décembre 1998 avec le District urbain de l'agglomération de Rennes (DUAR), utilise à cette fin des biens mis à sa disposition par la collectivité délégante moyennant le paiement d'une redevance d'usage ; que cette société a reçu du DUAR une subvention destinée à compenser la redevance d'usage qu'elle devait acquitter ainsi qu'une contribution destinée à équilibrer son exploitation ; qu'afin de conserver l'intégralité de ses droits à déduction de taxe sur la valeur ajoutée, la société a, en application de la doctrine administrative, soumis à la taxe les subventions et contributions qu'elle a reçues du district ; que par une réclamation du 27 décembre 2005 reçue le 30 décembre 2005, elle a sollicité la restitution de la taxe ainsi collectée entre le 1er janvier 2001 et le 31 décembre 2005 ; que l'administration, qui a fait droit à cette demande au titre de la période postérieure au 1er janvier 2003, a opposé une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la réclamation pour la taxe sur la valeur ajoutée correspondant à la période courant du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002 ; que la société interjette appel du jugement par lequel tribunal administratif de Rennes a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à la restitution de ladite taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les subventions qu'elle a perçues au cours de ladite période ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire. Relèvent de la même juridiction les réclamations qui tendent à obtenir la réparation d'erreurs commises par l'administration dans la détermination d'un résultat déficitaire ou d'un excédent de taxe sur la valeur ajoutée déductible sur la taxe sur la valeur ajoutée collectée au titre d'une période donnée, même lorsque ces erreurs n'entraînent pas la mise en recouvrement d'une imposition supplémentaire. Les réclamations peuvent être présentées à compter de la réception de la réponse aux observations du contribuable mentionnée à l'article L. 57, ou à compter d'un délai de 30 jours après la notification prévue à l'article L. 76 ou, en cas de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, à compter de la notification de l'avis rendu par cette commission. / Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure. / Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 196-1 du même livre : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : (...) / c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation " ;
Considérant que seules les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne retenant une interprétation du droit de l'Union qui révèle directement une incompatibilité avec ce droit d'une règle applicable en France sont de nature à constituer le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par la réalisation d'un événement, au sens et pour l'application de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, et de la période sur laquelle l'action en restitution peut s'exercer en application de l'article L. 190 du même livre ; qu'en principe, tel n'est pas le cas d'arrêts de la Cour de justice concernant la législation d'un autre Etat membre, sous réserve, notamment, de l'hypothèse dans laquelle une telle décision révélerait, par l'interprétation qu'elle donne d'une directive, la transposition incorrecte de cette dernière en droit français ;
Considérant que par deux arrêts du 6 octobre 2005 Commission c/ République française et Commission c/ Royaume d'Espagne, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que des dérogations au droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée n'étaient permises que dans les cas expressément prévus par la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;
Considérant, d'autre part, que le 1° de l'article 216 ter de l'annexe II au code général des impôts applicable au cours des périodes d'imposition en litige, subordonnait le transfert, du propriétaire à l'exploitant, du droit de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux biens utilisés dans le cadre de l'exploitation, à la répercussion du coût des équipements dans les recettes imposables de l'exploitant ; que l'instruction 3 D 1-85 du 21 janvier 1985 (§31 à 35), reprise à la documentation administrative de base 3 D 1723 (§31 à 35) à jour au 2 novembre 1996, précisait que cette répercussion pouvait s'effectuer par la mise à la charge de l'exploitant d'une redevance d'usage qui pouvait être, le cas échéant, compensée par le versement d'une subvention, sous réserve de l'inclusion de celle-ci dans les recettes taxables ; que, par ailleurs, l'instruction 3 CA-94 du 8 septembre 1994 (§152 et 153) prévoyait l'application de la règle du prorata de déduction prévue à l'article 212 de l'annexe II au même code en vigueur jusqu'au 1er janvier 2008, non seulement aux entreprises qui ne réalisaient pas exclusivement des opérations ouvrant droit à déduction mais également aux entreprises dont la totalité du chiffre d'affaires était soumise à la taxe sur la valeur ajoutée et qui, par ailleurs, percevaient des subventions placées hors du champ d'application de cette taxe ; que, selon cette doctrine, ces subventions devaient être incluses au dénominateur du prorata, ce qui limitait le droit de déduction de ces entreprises ; que toutefois, il était admis que, s'agissant des subventions versées par une collectivité territoriale à un de ses établissements publics, il était possible, aux fins d'éviter la limitation des droits de déduction, d'opter pour l'assujettissement de ces subventions à la taxe ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'afin de permettre le transfert des droits à déduction, dans le respect de la condition posée par le 1° de l'article 216 ter de l'annexe II au code général des impôts alors applicable, la société KEOLIS RENNES a soumis à la taxe sur la valeur ajoutée les subventions dont elle a bénéficié aux fins de compenser les redevances d'usage qu'elle a versées pour l'exploitation des biens délégués, conformément à la doctrine administrative ci-dessus mentionnée ; que, de même, afin de pas dégrader ses droits à déduction, elle a soumis à la taxe la contribution d'équilibre versée par le DUAR, usant ainsi de la faculté offerte par la doctrine administrative ; que les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes ci-dessus mentionnés qui condamnent, à titre général, tout mécanisme, direct ou indirect, de limitation des droits à déduction non prévus par la sixième directive doivent ainsi que le soutient la société KEOLIS RENNES être regardés comme des décisions juridictionnelles de nature à révéler la non-conformité des dispositifs français litigieux de taxation volontaire des subventions qu'elle a appliqués aux fins de préserver l'intégralité de ses droits à déduction à une règle de droit supérieure au sens de l'article L. 190 précité du livre des procédures fiscales et comme constituant un événement nouveau au sens du c) de l'article R. 196-1 précité du même livre ; que la société KEOLIS RENNES est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont regardé sa réclamation tendant à la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée collectée à tort au titre de la période allant du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002 présentée le 30 décembre 2005 comme tardive et rejeté en conséquence sa demande comme irrecevable ;
Mais considérant qu'aux termes du IV de l'article 271 du code général des impôts : " La taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat " ; qu'aux termes de l'article 242-0 A de l'annexe II au code général des impôts, pris sur le fondement de l'article 271 précité : " Le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée déductible dont l'imputation n'a pu être opérée doit faire l'objet d'une demande des assujettis. Le remboursement porte sur le crédit de taxe déductible constaté au terme de chaque année civile " ; qu'aux termes de l'article 242-0 C de la même annexe, dans sa rédaction applicable au litige : " I. 1. Les demandes de remboursement doivent être déposées au cours du mois de janvier (...). / II. 1. Par dérogation aux dispositions du I, les assujettis soumis de plein droit ou sur option au régime normal d'imposition peuvent demander un remboursement au titre d'un trimestre civil lorsque chacune des déclarations de ce trimestre fait apparaître un crédit de taxe déductible. La demande de remboursement est déposée au cours du mois suivant le trimestre considéré (...) " ; que s'il résulte des dispositions précitées des articles 242-0 A et 242-0 C que le redevable ne peut demander le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont il dispose que dans des délais déterminés, ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet de faire obstacle à ce que ce redevable puisse ultérieurement, si ce crédit demeure, non seulement procéder à son imputation sur une taxe due, mais encore, le cas échéant, en demander le remboursement au cours du mois de janvier de l'année suivante ou au cours du mois suivant un trimestre civil où chacune des déclarations de ce trimestre fait apparaître un crédit de taxe déductible ;
Considérant que lorsqu'un contribuable en situation de crédit permanent de taxe sur la valeur ajoutée constate, à la suite de la surestimation de son chiffre d'affaires déclaré, un crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible supplémentaire, il lui appartient de reporter sur les déclarations suivantes l'excédent de crédit de taxe déductible pour en permettre l'imputation ultérieure sur la taxe sur la valeur ajoutée à collecter, puis, le cas échéant, de formuler une demande de remboursement de l'excédent de taxe sur la valeur ajoutée déductible dans les conditions fixées par les articles 242-0 A et suivants de l'annexe II au code général des impôts ; que le ministre oppose pour la première fois en appel à la demande de la société KEOLIS RENNES une fin de non-recevoir tirée de ce que sa situation -non contestée- de crédit permanent de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période allant du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002 faisait obstacle à ce que la société requérante, à laquelle il appartient, pour obtenir le remboursement du crédit supplémentaire de taxe sur la valeur ajoutée non imputable litigieux, de présenter une réclamation dans les formes prévues aux articles 242-0 A et suivants de l'annexe II au code général des impôts, sollicitât la restitution de la taxe collectée à tort au titre de cette même période par voie de réclamation sur le fondement de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ;
Considérant que la société KEOLIS RENNES, qui a demandé la restitution de la taxe collectée à tort qu'elle a portée sur ses déclarations de chiffre d'affaires, ne saurait utilement se prévaloir de ce qu'elle a exercé une action, tendant à l'exercice de droits à déduction fondée sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, devant être instruite et jugée selon les règles du chapitre premier, relatif au contentieux de l'établissement de l'impôt et aux dégrèvements d'office, du livre des procédures fiscales en vertu du 3ème alinéa de l'article L. 190 de ce livre, ou présenté une réclamation, tendant à obtenir la réparation d'erreurs commises par l'administration dans la détermination d'un excédent de taxe sur la valeur ajoutée déductible sur la taxe sur la valeur ajoutée collectée au titre d'une période donnée, relevant de la juridiction contentieuse en vertu du 2ème alinéa du même article, quand bien même l'erreur qu'elle a commise trouve sa source dans l'application d'un dispositif non-conforme au sens dudit article ; que l'existence de deux voies de droit distinctes ouvertes par les dispositions précitées du livre des procédures fiscales et du code général des impôts au contribuable ayant soumis à tort à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions susdécrites les subventions qu'il a perçues, pour obtenir la correction de cette erreur selon qu'il est créditeur ou débiteur net de taxe, qui ne rend pas cette correction pratiquement impossible ou excessivement difficile, n'est pas, par elle-même, de nature à priver la sixième directive d'effet direct et le contribuable de l'exercice des droits que lui confère l'ordre juridique communautaire, ni ne caractérise une atteinte au droit du contribuable à un recours effectif ou au respect de ses biens protégés par les articles 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et premier du premier protocole additionnel à cette convention ; que le règlement modifié (CEE, Euratom) n° 1553/89 du Conseil, du 29 mai 1989, concernant le régime uniforme définitif de perception des ressources propres provenant de la taxe sur la valeur ajoutée et la décision 2007/436/CE, Euratom du 7 juin 2007 relative au système des ressources propres des Communautés européennes dont se prévaut la société KEOLIS RENNES ne font pas obstacle au droit des Etats d'organiser des modalités propres de restitution ou de remboursement aux contribuables de la taxe collectée à tort ; que le ministre est par conséquent fondé à soutenir, sans qu'y fasse obstacle aucune stipulation de la convention européenne des droits de l'homme ni aucun principe du droit communautaire, que la réclamation et, par suite, la demande de la société KEOLIS RENNES, étaient irrecevables ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles, que la société KEOLIS RENNES n'est en tout état de cause pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande comme irrecevable ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société KEOLIS RENNES demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société KEOLIS RENNES est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à à la société KEOLIS RENNES et au ministre de l'économie et des finances.
''
''
''
''
N° 10NT006102
1