Vu la requête enregistrée le 5 juillet 2004, présentée pour le centre hospitalier de Luçon, représenté par son directeur en exercice, dont le siège est 4, rue Henry Renaud BP 159 à Luçon cedex (85407), par Me Coudray, avocat au barreau de Rennes ; le centre hospitalier de Luçon demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0104062 du 25 mars 2004 par lequel Tribunal administratif de Nantes l'a condamné à verser une somme totale de 27 471,36 euros à Mme Colette A et une somme de 4 000 euros, chacun, à Mlle Sandrine A et à M. Marc A, en réparation du préjudice qu'ils ont subi à la suite du décès de M. Jacques A, leur époux et père ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le Tribunal administratif de Nantes par les consorts A ;
3°) de condamner les consorts A à lui verser une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
……………………………………………………………………………………………………..
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le décret n° 86-973 du 8 août 1986 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 octobre 2006 :
- le rapport de M. Degommier, rapporteur ;
- et les conclusions de M. Artus, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que les premiers juges ont relevé que M. A a été privé, à raison des soins qui lui ont été dispensés au centre hospitalier de Luçon, d'une chance de se soustraire aux conséquences ayant découlé de sa rechute du 29 juillet 1996 et que le centre hospitalier doit être condamné à réparer l'entier préjudice découlant du décès de l'intéressé ; qu'ils ont, ainsi, nécessairement répondu au moyen de défense tiré par le centre hospitalier de Luçon de l'absence de lien direct de causalité entre les faits qui lui sont reprochés et le décès de M. A ; qu'ainsi, le jugement attaqué n'est entaché d'aucune irrégularité pour ce motif ;
Sur la responsabilité :
Considérant, en premier lieu, que M. A a été hospitalisé, dans la nuit du 13 au 14 juillet 1996, au centre hospitalier de Luçon où l'interne de garde, après avoir diagnostiqué un infarctus du myocarde, a contacté par téléphone le médecin de garde qui, après s'être fait communiquer les résultats de l'examen du patient, a prescrit un traitement par héparine et lénitral ; qu'il a été transféré au centre hospitalier de La Roche-sur-Yon le 14 juillet 1996 vers 15 heures, où il a subi dès son arrivée un traitement par thrombolyse ; qu'il résulte de l'instruction et notamment, du rapport d'expertise établi par le docteur BARRAINE à la demande de la Cour d'appel de Poitiers, que le traitement par thrombolyse constitue une thérapeutique dont l'efficacité est démontrée en présence d'un infarctus, dès lors que le traitement est effectué dans les six heures suivant l'apparition des douleurs et que le patient ne présente aucune contre-indication ; que, d'une part, en dépit de l'urgence caractérisant l'état présenté par M. A lors de son admission, l'intéressé n'a été examiné que par un interne qui a consulté par téléphone le médecin de garde ; que ce dernier, qui ne s'est pas déplacé, n'a pas examiné lui-même M. A et n'a donc pas porté le diagnostic que justifiait l'état du malade, de sorte que ce dernier a été privé des garanties qu'il était en droit d'attendre du service public hospitalier ; que de tels faits sont constitutifs d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier ; que, d'autre part, en s'abstenant de mettre en oeuvre un traitement thrombolytique, qui peut être réalisé dans tout hôpital et même en ambulance, alors que M. A a été admis au centre hospitalier moins d'une heure après avoir ressenti les douleurs thoraciques caractérisant l'infarctus, et ne présentait pas de contre-indication à une thrombolyse, le centre hospitalier n'a pas donné à ce malade les soins adaptés à son état et a commis, dans ces circonstances, une faute médicale de nature à engager sa responsabilité ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'une thrombolyse réalisée plus rapidement était de nature à limiter l'étendue des dommages causés au muscle cardiaque et que les séquelles résultant de l'infarctus survenu le 14 juillet 1996, qui a fait l'objet d'un traitement inadéquat, ont favorisé la survenance de l'arrêt circulatoire, le 29 juillet 1996, qui a causé le décès de M. A ; que, dans ces conditions, s'il n'est pas démontré que la limitation de ces séquelles auraient permis de prévenir l'arrêt circulatoire fatal, le comportement fautif imputable au centre hospitalier n'en a pas moins privé l'intéressé de chances réelles de se rétablir après son infarctus du 14 juillet 1996 et d'éviter cet arrêt circulatoire ; qu'ainsi, cette attitude fautive a directement concouru au décès de M. A et engage, ce faisant, l'entière responsabilité du centre hospitalier de Luçon envers les consorts A ;
Sur le préjudice :
En ce qui concerne le préjudice matériel :
Considérant, en premier lieu, que Mme A, épouse de la victime, peut prétendre au remboursement des frais exposés pour les obsèques de son époux, lesquels se sont élevés au montant non contesté de 10 611 F (1 617,64 euros) ; qu'elle ne pouvait toutefois prétendre, comme l'ont estimé à bon droit les premiers juges, qu'au remboursement de la moitié du coût de construction d'un caveau de deux places dont le montant s'est élevé à 1 707,44 euros, soit d'une somme de 853,72 euros ;
Considérant, en second lieu, que si Mme A soutient que son mari collaborait à son activité commerciale de vente en comité d'entreprise et que son décès a eu une incidence négative sur son activité, il ressort des avis d'imposition produits au dossier, que les bénéfices industriels et commerciaux entraînés par cette activité ont été déclarés au nom de Mme A et que M. A n'avait déclaré à ce titre aucun revenu à son nom ; qu'ainsi, Mme A, qui ne démontre pas une baisse du chiffre d'affaires imputable au décès de M. A, ne peut prétendre au versement d'une indemnité à ce titre ; qu'il résulte, en revanche, de l'instruction que M. A percevait, à son décès, une pension de retraite d'un montant mensuel de 6 428,14 F (979,96 euros) alors que la pension de réversion versée à Mme A représentait, en 1997, une somme mensuelle de 1 955,92 F (298,18 euros) ; que déduction faite des sommes que M. A consacrait à son propre entretien, Mme A a subi, à la suite du décès de son mari, une perte de revenu mensuelle de 1 258,15 F, soit de 15 097,80 F (2 301,64 euros) par an, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, qui n'a entaché son jugement d'aucune contradiction ; qu'eu égard à l'âge de M. A au moment de son décès, Mme A peut prétendre à un capital de 34 000 euros ; qu'il y a lieu, dès lors, de réformer sur ce point le jugement contesté et de porter l'indemnité destinée à réparer le préjudice de Mme A résultant de cette perte de revenus à ladite somme de 34 000 euros ;
En ce qui concerne la douleur morale :
Considérant que le tribunal administratif a fait une insuffisante appréciation de la douleur morale subie par les consorts A en accordant à ce titre une indemnité de 8 000 euros à Mme A et une indemnité de 4 000 euros à chacun des deux enfants de M. A ; qu'il y a lieu de porter chacune de ces sommes, respectivement, à 12 000 euros et 6 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le centre hospitalier de Luçon n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nantes l'a condamné à réparer le préjudice subi par les consorts A, d'autre part, que les consorts A sont fondés à demander, par la voie de l'appel incident, que l'indemnité accordée au titre de la perte de revenus soit fixée à 34 000 euros et que celle accordée au titre de la douleur morale soit portée à 12 000 euros pour Mme A et à 6 000 euros pour chacun des enfants de M. A ;
Sur les intérêts :
Considérant que les consorts A ont droit aux intérêts au taux légal des sommes susmentionnées qui leur sont dues, à compter du 27 septembre 2000, date de réception par le centre hospitalier de leur demande préalable d'indemnisation ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant, d'une part, que ces dispositions font obstacle à ce que les consorts A, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, soient condamnés à verser au centre hospitalier de Luçon la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que, d'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces mêmes dispositions, de condamner ledit centre hospitalier à verser aux consorts A une somme de 1 500 euros au titre des frais de même nature exposés par ces derniers ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du centre hospitalier de Luçon est rejetée.
Article 2 : La somme totale que le centre hospitalier de Luçon est condamné à verser à Mme A est portée à 48 471,36 euros (quarante huit mille quatre cent soixante et onze euros trente six centimes).
Article 3 : Les sommes que le centre hospitalier de Luçon est condamné à verser aux deux enfants de M. A sont portées à 6 000 euros (six mille euros) pour chacun d'eux.
Article 4 : Les sommes mentionnées aux articles 2 et 3 ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 2000.
Article 5 : Le jugement du 25 mars 2004 du Tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : Le centre hospitalier de Luçon versera aux consorts A une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions de l'appel incident des consorts A est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Luçon, à Mme Colette A, à Mlle Sandrine A, à M. Marc A, à la mutuelle générale des commerçants et au ministre de la santé et des solidarités.
N° 04NT00827
2
1
3
1