Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 1er août 2000, présentée pour M. Joël Y, demeurant ..., par Me BLEAS, avocat au barreau de Cherbourg ;
M. Y demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 99-996 du 13 juin 2000 par lequel le Tribunal administratif de Caen a annulé, à la demande de Me Alain , agissant en qualité de liquidateur de la société à responsabilité limitée (S.A.R.L.) Leroux et Lotz Normandie (L.L.N.), la décision du 20 avril 1999 par laquelle l'inspecteur du travail de la troisième circonscription de la Manche a refusé de lui accorder l'autorisation de licencier M. Y, et a enjoint à l'Etat de délivrer l'autorisation de le licencier ;
2°) de rejeter la demande de Me présentée devant le Tribunal administratif ;
C+ CNIJ n° 66-07-01-02-01
n° 66-07-01-04-03
3°) de condamner Me à lui verser une somme de 5 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours adminis-tratives d'appel ;
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive n° 77/187 du 14 février 1977 du Conseil des communautés européennes ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 juin 2003 :
- le rapport de M. GUALENI, premier conseiller,
- les observations de Me FLEURY, substituant Me VINCENT, avocat de Me , agissant en qualité de liquidateur de la S.A.R.L. Leroux et Lotz Normandie,
- et les conclusions de M. MILLET, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'en vertu des dispositions des articles L.425-1 et L.436-1 du code du travail relatives aux conditions de licenciement respec-tivement des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise, les salariés légalement investis des fonctions de délégué du personnel et du mandat de représentant syndical au comité d'entreprise bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière ;
Sur la régularité de la procédure de licenciement :
Considérant qu'aux termes de l'article L.122-14 du code du travail : L'employeur, ou son représentant, qui envisage de licencier un salarié doit, avant toute décision, convoquer l'intéressé par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge en lui indiquant l'objet de la convocation. ...Au cours de l'entretien, l'employeur est tenu d'indiquer le ou les motifs de la décision envisagée et de recueillir les explications du salarié... Les dispositions des alinéas qui précèdent ne sont pas applicables en cas de licenciement pour motif économique de dix salariés et plus dans une même période de trente jours lorsqu'il existe un comité d'entreprise ou des délégués du personnel dans l'entreprise ; que selon les dispositions de l'article R.436-1 du même code : L'entretien prévu à l'article L.122-14 précède la consultation du comité d'entreprise effectuée en application soit de l'article L.425-1, soit de l'article L.436-1, ou, à défaut de comité d'entreprise, la présentation à l'inspecteur du travail de la demande d'autorisation de licenciement ;
Considérant, d'une part, que les dispositions précitées de l'article R.436-1 du code du travail n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de déroger aux dispositions législatives précitées qui dispensent l'employeur de convoquer à un entretien préalable le salarié qu'il envisage de licencier, dans le cadre d'un licenciement pour motif économique visant dix salariés et plus dans une même période de trente jours lorsqu'il existe un comité d'entreprise ou des délégués du personnel dans l'entreprise ;
Considérant, d'autre part, qu'il est constant que le licenciement de M. Y, délégué du personnel et membre du comité d'entreprise, est intervenu dans le cadre d'un licenciement pour motif économique visant plus de dix salariés dans une même période de trente jours et qu'il existait au sein de la société à responsabilité limitée Leroux et Lotz Normandie un comité d'entreprise ;
Considérant qu'ainsi le moyen tiré du défaut d'entretien préalable à la demande d'autorisation de licenciement de M. Y ne peut qu'être écarté comme inopérant ;
Sur les conditions de reclassement :
Considérant que la société à responsabilité limitée Leroux et Lotz Normandie a été placée en position de redressement judiciaire, par jugement du Tribunal de grande instance de Cherbourg du 9 décembre 1997, puis mise en liquidation judiciaire par jugement du même Tribunal du 6 novembre 1998 ; que le plan social adopté dans le cadre de cette procédure, après avis du comité d'entreprise, prévoyait notamment le reclassement de soixante-dix-sept des cent cinquante-trois salariés de la société à responsabilité limitée Leroux et Lotz Normandie dans plusieurs sociétés du groupe Leroux et Lotz auquel elle appartient ; qu'il ressort des pièces du dossier que tous les salariés ont reçu les fiches décrivant les différents emplois susceptibles d'être offerts par les sociétés du groupe et ont été invités à remettre leur candidature ; qu'en cas de pluralité de candidatures, celles-ci ont ensuite été examinées au regard de critères définis par un tableau des moyens d'éviter les discriminations, soumis au comité d'entreprise, et tenant compte de la qualification professionnelle, de la polyvalence, de la mobilité géographique, de l'ancienneté dans l'entreprise et des charges de famille des candidats ;
Considérant que, par application des critères précités, la candidature de M. Y qui a postulé à un emploi de chaudronnier charpentier atelier 9 et à un emploi de chaudronnier charpentier atelier et extérieur type 91, proposés par la société Ateliers de Chaudronnerie et Mécanique du Cotentin a été rejetée ; qu'à la suite du rejet de ses candidatures, le requérant qui avait refusé de se soumettre à des tests tendant à vérifier l'adéquation de sa candidature à l'emploi de chaudronnier charpentier atelier et extérieur type 91 auquel il postulait, s'est vu proposer deux postes basés l'un à Lorient, l'autre à Nantes ; qu'il ressort des pièces du dossier que le comité d'entreprise s'est réuni, le 14 janvier 1999, pour examiner le projet de licenciement des différents salariés protégés de la société au nombre de onze, puis le 22 janvier 1999 pour réexaminer la situation de l'intéressé ; qu'il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir que la société n'a pas procédé à un examen spécifique des possibilités d'assurer son reclassement ; qu'il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le recours à du personnel intérimaire aurait limité les possibilités de reclassement du requérant ; que si les emplois proposés qui étaient équivalents à celui occupé jusque-là, impliquaient un changement de résidence, il ressort des pièces du dossier qu'une aide financière à la mobilité géographique était prévue en faveur des salariés concernés ; que, dans ces conditions, la société doit être regardée comme ayant satisfait aux obligations qui lui incombaient pour assurer le reclassement de l'intéressé ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.122-2 du code du travail et de la directive n° 77-187/CE du conseil du 14 février 1977, modifiée :
Considérant qu'aux termes de l'alinéa 2 de l'article L.122-12 du code du travail : S'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la société à responsabilité limitée Leroux et Lotz Normandie était chargée, en qualité de sous-traitant de la société Établissement Leroux et Lotz, de l'exécution de marchés passés entre cette dernière société et la direction des constructions navales ; que si la société Ateliers de Chaudronnerie et Mécanique du Cotentin a assuré l'exécution de ce type de ces marchés, dont seule la société Établissement Leroux et Lotz était titulaire et dont le caractère renouvelable n'a pas, au demeurant, été démontré, c'est en cette même qualité de sous-traitant, sans qu'il y ait eu, dès lors, cessions de droits de la part de la société à respon-sabilité limitée Leroux et Lotz Normandie ; que, par ailleurs, il n'est pas établi que la société Ateliers de Chaudronnerie et Mécanique du Cotentin, au sein de laquelle n'a été reclassée que moins de la moitié du personnel employé par la société à responsabilité limitée Leroux et Lotz Normandie, ait repris des éléments d'actif corporels ou incorporels de celle-ci ; que, dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la poursuite de l'exécution des marchés en cause par la société Ateliers de Chaudronnerie et Mécanique du Cotentin aurait constitué une modalité de transfert d'une entité économique au sens des dispositions ci-dessus rappelées de l'article L.122-12 du code du travail ou au sens de la directive n° 77/187 du 14 février 1977 susvisée ;
Sur les autres moyens de la requête :
Considérant, par ailleurs, qu'il n'est pas établi que l'examen des possibilités de reclassement du requérant aient caractérisé de la part de l'employeur une attitude discriminatoire qui aurait été motivée par les mandats de celui-ci ;
Considérant, enfin, que la circonstance alléguée par le requérant selon laquelle il pourrait bénéficier d'un congé de formation en application du plan social est sans influence sur la légalité de l'autorisation de le licencier ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que Me , qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer à M. Y la somme que celui-ci réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de condamner M. Y à payer à Me une somme de 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. Joël Y est rejetée.
Article 2 : M. Joël Y versera à Me Alain une somme de 500 euros (cinq cents euros) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Joël Y, à Me Alain , agissant en qualité de liquidateur de la société à respon-sabilité limitée Leroux et Lotz Normandie et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
1
- 5 -