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30/06/2025 | FRANCE | N°22NC00519

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 30 juin 2025, 22NC00519


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 3 avril 2020 par laquelle le préfet de la Moselle a refusé de délivrer une carte d'identité française et un passeport à son enfant C....



Par un jugement n° 2002908 du 1er février 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 28 févr

ier 2022, Mme D..., représentée par Me Ossete Okoya, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement du tribunal administra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 3 avril 2020 par laquelle le préfet de la Moselle a refusé de délivrer une carte d'identité française et un passeport à son enfant C....

Par un jugement n° 2002908 du 1er février 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 février 2022, Mme D..., représentée par Me Ossete Okoya, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 1er février 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 3 avril 2020 par laquelle le préfet de la Moselle a rejeté sa demande tendant à la délivrance d'un passeport et d'une carte nationale d'identité pour son fils C... ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges n'ont pas réouvert l'instruction en dépit de la production, le 14 janvier 2022, du certificat de nationalité française de son enfant daté du 7 janvier 2022 ;

- le jugement attaqué ne répond pas de manière complète à ses moyens ;

- le préfet a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article 4 du décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité et de l'article 5 du décret du 30 décembre 2005 relatif aux passeports ;

- il a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 mai 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il fait valoir qu'aucun des moyens n'est fondé.

Par une dernière ordonnance du 25 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 17 octobre 2024 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;

- le décret 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux,

- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 4 mars 2019, Mme D..., de nationalité congolaise, a déposé une première demande de délivrance de passeport et de carte nationale d'identité en mairie de Brienne-le-Château, dans le département de l'Aube, pour son enfant C..., né le 28 septembre 2018 à Romilly-sur-Seine. Par un courrier du 7 mai 2019, le préfet de la Moselle a informé l'intéressée que sa demande avait fait naître un doute sur la réalité du lien de filiation unissant l'enfant C... à son père déclaré, M. E... B..., et a saisi le référent-fraude départemental de la préfecture de l'Aube pour enquête. Par une décision du 3 avril 2020, le préfet de la Moselle a rejeté la demande de délivrance d'un passeport et d'une carte nationale d'identité pour l'enfant C.... Mme D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler cette décision du 3 avril 2020 du préfet de la Moselle. La requérante relève appel du jugement du 1er février 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 613-3 du code de justice administrative : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction ".

3. Devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la clôture d'instruction a été fixée au 10 février 2021. La requérante a transmis au tribunal administratif le 14 janvier 2022 une nouvelle pièce, à savoir un certificat de nationalité française, daté du 7 janvier 2022. Cette pièce, visée dans le jugement attaqué, est postérieure à la décision attaquée du 3 avril 2020 et n'était pas de nature à exercer une influence sur le sens du jugement. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait entaché d'irrégularité pour ce motif, doit, dès lors, être écarté.

5. En second lieu, il résulte des motifs mêmes du jugement que le tribunal administratif de Strasbourg a expressément répondu aux moyens contenus dans le mémoire produit par la requérante. Par suite, et à supposer qu'un tel moyen soit soulevé, Mme D..., n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité en raison d'une insuffisance de motivation.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

6. D'une part, aux termes de l'article 2 du décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande (...) ". Aux termes de l'article 4 du décret du 30 décembre 2005 relatif aux passeports : " Le passeport est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande. ( ...) ". D'autre part, aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français. ". L'article 30 du même code dispose que : " La charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. / Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants ". En outre, aux termes de l'article 310-1 du même code : " La filiation est légalement établie, dans les conditions prévues au chapitre II du présent titre, par l'effet de la loi, par la reconnaissance volontaire ou par la possession d'état constatée par un acte de notoriété (...). ". Enfin, aux termes du 1er alinéa de l'article 316 de ce code : " Lorsque la filiation n'est pas établie dans les conditions prévues à la section I du présent chapitre, elle peut l'être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance. ".

7. Pour l'application des dispositions citées au point précédent, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité ou d'un passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Dans ce cadre, si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas dans le cadre de l'examen d'une demande d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport pour le compte d'un enfant mineur, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance du titre sollicité par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

8. Pour refuser de procéder à la délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport à l'enfant mineur C..., né le 28 septembre 2018, le préfet de la Moselle a considéré que l'instruction de la demande de la requérante pour son enfant C... avait fait naître un doute sur la filiation et, par voie de conséquence, sur la nationalité de l'enfant C....

9. Il ressort de l'acte de reconnaissance produit par la requérante que son enfant, C... né le 28 septembre 2018, aurait été reconnu, de manière anticipée, en mairie de Romilly-sur-Seine le 20 septembre 2018 par M. B..., de nationalité française. Toutefois, il ressort des pièces du dossier et notamment du tampon figurant sur le passeport français de M. B... et du reçu de la compagnie aérienne H Ethiopian Airlines I, que ce dernier n'est revenu sur le territoire français en provenance de Brazzaville, que le 27 septembre 2018, soit sept jours après la date à laquelle a été apposée la signature du père sur l'acte de reconnaissance de l'enfant C.... Par ailleurs, lors de son entretien administratif du 16 juillet 2019 avec le référent fraude départemental de la Marne, M. B..., qui a précisé être parti au Congo depuis le début du mois de décembre 2017 jusqu'en septembre 2018, a ainsi commis des erreurs sur les dates de son séjour au Congo qui ne coïncideraient pas avec la période au cours de laquelle il aurait rencontré Mme D... et conçu un enfant avec cette dernière. Si la requérante produit un certificat de nationalité française pour son enfant, délivré le 7 janvier 2022, celui-ci est postérieur à la décision litigieuse, et alors que ce document permet seulement à son titulaire de bénéficier d'une présomption simple de nationalité française, laquelle peut être combattue par tous moyens, il ne saurait, à lui seul, remettre en cause les différents éléments du dossier de nature à créer un doute suffisant sur la réalité de la filiation.

10. Par suite, le préfet de la Moselle a pu, sans entacher sa décision d'une erreur de droit ni d'une erreur d'appréciation, estimer qu'il existait un doute suffisant sur la réalité de la filiation de l'enfant C... avec son père et, par suite, sur sa nationalité française pour refuser de délivrer une carte nationale d'identité et d'un passeport au nom de ce dernier.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 d la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

12. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant est inopérant à l'appui d'une contestation d'une décision refusant la délivrance d'un passeport ou d'une carte nationale d'identité, eu égard à la portée de cette décision.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Ossete Okoya.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Rousselle, présidente,

- M. Barteaux, président assesseur,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2025.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : P. Rousselle

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

N° 22NC00519


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC00519
Date de la décision : 30/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme ROUSSELLE
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : OSSETE OKOYA

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-30;22nc00519 ?
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