Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 19 décembre 2023 par lequel la préfète de la Haute-Marne l'a obligé à quitter le territoire français, a fixé le pays de destination, lui a refusé un délai de départ volontaire, lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an, l'a assigné à résidence dans la commune de Chaumont, l'a astreint à se présenter au commissariat de Chaumont les mardi et jeudi à 9 heures et lui a fait interdiction de sortir du territoire de la Haute-Marne sans autorisation.
Par un jugement n° 2302931 du 23 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé les décisions portant refus
de délai de départ volontaire, interdiction de retour, assignation à résidence, définition
des modalités de son exécution et interdiction de sortir du département de la Haute-Marne sans autorisation et rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 janvier 2024, la préfète de la Haute-Marne demande à la cour d'annuler ce jugement du 23 décembre 2023.
Elle soutient que :
- elle n'a commis aucune erreur d'appréciation en refusant à l'intéressé un délai de départ volontaire ;
- le refus de délai de départ volontaire n'est pas fondé sur la circonstance que l'intéressé se serait soustrait à une précédente mesure d'éloignement.
La requête a été communiquée à M. B... A..., qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Barlerin a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant géorgien né le 23 février 1981 à Batumi, est entré en France, selon ses déclarations, le 1er mai 2023. Il a formé, le 23 juin suivant, une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 7 novembre 2023. La préfète de la Haute-Marne a alors pris un arrêté, le 19 décembre 2023, l'obligeant à quitter le territoire français, fixant le pays de destination, lui refusant un délai de départ volontaire, lui interdisant le retour pour une durée d'un an, l'assignant à résidence dans la commune de Chaumont, l'astreignant à se présenter au commissariat de Chaumont deux fois par semaine les mardis et jeudis à 9 heures, et lui faisant interdiction de sortir du territoire de la Haute-Marne sans autorisation. La préfète de la Haute-Marne relève appel du jugement du 23 décembre 2023 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il a annulé les décisions portant refus de délai de départ volontaire, interdiction de retour, assignation à résidence, définition des modalités de son exécution et interdiction de sortir du département de la Haute-Marne sans autorisation.
Sur la régularité du jugement attaqué :
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
2. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". En vertu de l'article L. 612-3 du même code, ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, lorsque notamment " 4° l'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ".
3. D'une part, pour refuser d'octroyer à M. A... le délai de départ volontaire qui est en principe octroyé aux étrangers qui sont obligés de quitter le territoire en vue de leur permettre d'exécuter eux-mêmes cette mesure, la préfète de la Haute-Marne a cité et surligné le 4° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile puis a estimé que l'intéressé avait explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français. Or, il ressort du procès-verbal de son audition du 12 décembre 2023 par les services de la préfecture que M. A..., à une question portant sur les observations qu'il souhaitait faire sur une éventuelle obligation de quitter le territoire, a répondu " Je ne pourrai pas repartir en Géorgie ", qu'il a refusé qu'on enregistre ses empreintes digitales et sa photo, qu'il a déclaré ne pas souhaiter repartir par ses propres moyens et ne pas vouloir coopérer en vue d'un éventuel éloignement, terminant ses observations en précisant qu'il voulait obtenir l'asile et rester en France. Dans ces conditions, et nonobstant la simple citation en surlignage des 3° de l'article L. 612-2 et 4° de l'article L.612-3 précités dans l'arrêté litigieux, la préfète de la Haute-Marne doit être regardée, d'une part, comme ayant motivé son refus d'octroi d'un délai de départ volontaire par le risque de soustraction à l'exécution d'une obligation de quitter le territoire français évoqué par M. A... lui-même et, d'autre part, comme ayant pu valablement estimer que l'intention de l'intéressé de ne pas se conformer à une telle obligation était suffisamment clairement exprimée par l'intéressé. Il en résulte que la préfète de la Haute-Marne est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler les décisions portant refus de délai de départ volontaire, interdiction de retour sur le territoire français, assignation à résidence, obligation de se présenter au commissariat de police de Chaumont deux fois par semaine et interdiction de sortir du département de la Haute-Marne sans autorisation, le jugement attaqué a retenu que le refus d'accorder un tel délai n'était pas régulièrement motivé et méconnaissait les articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il y a lieu pour la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés contre ces décisions de la préfète de la Haute-Marne.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
5. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".
6. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté attaqué, M. A... n'était présent sur le territoire français que depuis 7 mois et qu'il n'établit pas avoir tissé en France des liens d'une particulière intensité. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que la préfète de la Haute-Marne, qui a suffisamment motivé son arrêté sur ce point et n'était pas tenue de justifier spécifiquement la durée de cette interdiction, aurait commis une erreur d'appréciation en lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :
7. En premier lieu, il ressort des termes de la décision portant assignation à résidence en litige qu'elle cite l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mentionne la décision portant obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre de M. A... et indique que son éloignement demeure une perspective raisonnable. Cette décision comporte ainsi l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est ainsi suffisamment motivée.
8. En second lieu, si les modalités d'application d'un arrêté portant assignation à résidence sont divisibles de la mesure d'assignation elle-même, il ne ressort pas des pièces du dossier, contrairement à ce que soutient l'intimé, que le périmètre et les modalités d'exécution de l'assignation à résidence imposées à M. A... présenteraient un caractère disproportionné. Le moyen tiré de ce que la préfète de la Haute-Marne aurait commis à ce titre une erreur d'appréciation doit, dès lors, être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Haute-Marne est fondée à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, a, par le jugement attaqué du 23 décembre 2023, annulé ses décisions du 19 décembre 2023 portant refus de délai de départ volontaire, interdiction de retour sur le territoire français, assignation à résidence, définition des modalités de son exécution et interdiction de sortir du département de la Haute-Marne sans autorisation. Ce jugement doit dès lors être annulé en tant qu'il prononce lesdites annulations.
Sur les frais de l'instance :
10. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement d'une somme à ce titre.
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2302931 du 23 décembre 2023 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne sont annulés.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à M. B... A... et à Me Opyrchal.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Marne.
Délibéré après l'audience du 3 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juin 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. BarlerinLe président,
Signé : A. Durup de Baleine
Le greffier,
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
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N° 24NC00104