Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision implicite du ministre de l'intérieur rejetant sa demande de mise en œuvre de la protection fonctionnelle, de faire droit à sa demande de protection fonctionnelle et indemnitaire et de condamner l'Etat au versement de la somme de 73 874 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.
Par un jugement n° 2101317 du 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la requête de M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 septembre 2022, M. B..., représenté par Me Maumont, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler la décision implicite rejetant son recours administratif préalable obligatoire formé le 18 septembre 2020 lui refusant l'octroi de la protection fonctionnelle et la réparation de ses préjudices ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 73 874 euros en réparation de ses préjudices ;
4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'il a été l'objet de faits constitutifs de harcèlement moral dans le cadre de ses fonctions, et qu'il a été victime de harcèlement moral, violences et voies de fait de la part d'un supérieur hiérarchique et a subi des préjudices qui doivent être indemnisés.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 août 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Peton,
- les conclusions de Mme Bourguet, rapporteure publique,
- et les observations de Me Maumont pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... est gendarme au grade d'adjudant. Il a exercé les fonctions de maître-chien, affecté au Peloton de Surveillance et d'Intervention de la Gendarmerie (PSIG) de Pointe-à-Pitre du 15 décembre 2017 au 26 juillet 2020. Le 15 juin 2020, il a sollicité auprès de la direction générale de la Gendarmerie nationale, la mise en œuvre de la protection fonctionnelle et a présenté une demande indemnitaire préalable pour faits constitutifs de harcèlement moral dont il estime avoir été victime lors de son affectation au PSIG de Pointe-à-Pitre. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Le 18 septembre 2020, M. B... a formé un recours administratif préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires à l'encontre de cette décision implicite. Par une décision du 30 septembre 2020, le ministre de l'intérieur a accordé la protection fonctionnelle à M. B.... Ce dernier doit être regardé comme relevant appel du jugement du 13 juillet 2022 en tant que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la réparation de ses préjudices.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, en vertu de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, lorsqu'une des parties appelées à produire un mémoire dans le cadre de l'instruction n'a pas respecté le délai qui lui a été imparti à cet effet, le président de la formation de jugement du tribunal administratif peut lui adresser une mise en demeure. Aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ".
3. D'autre part, devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci.
4. Il résulte des dispositions et des règles qui viennent d'être rappelées que le défendeur ne saurait être réputé avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant s'il a produit un mémoire avant la clôture de l'instruction ou si le juge, ayant décidé de rouvrir l'instruction, quel qu'en soit le motif, doit tenir compte d'un mémoire du défendeur produit avant la nouvelle date de clôture.
5. Il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif que le ministre de l'intérieur, mis en demeure de produire en application des dispositions de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, n'a produit un mémoire en défense que le 30 mai 2022, soit après la clôture de l'instruction intervenant trois jours francs avant l'audience préalablement fixée le 2 juin 2022. Toutefois, ce mémoire a été communiqué le même jour et l'instruction a, du fait même de cette communication, été rouverte, le juge ayant renvoyé l'affaire à une audience à se tenir le 30 juin 2022. Cette communication a d'ailleurs donné lieu à la production d'un nouveau mémoire par M. B... le 22 juin 2022. Par suite, le tribunal a statué au terme d'une procédure régulière.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les faits de harcèlement moral :
6. Aux termes de l'article L. 4123-10 du code de la défense : " Les militaires sont protégés par le code pénal et les lois spéciales contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les menaces, violences, harcèlements moral ou sexuel, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être l'objet. L'État est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. Il est subrogé aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées aux victimes. ". L'article L. 4123-10-2 de ce code dispose : " Aucun militaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel./ Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un militaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral mentionnés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; /3° Ou le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ou militaire ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ".
7. D'une part, si la protection fonctionnelle résultant d'un principe général du droit n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
8. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
9. Enfin, dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.
10. Pour soutenir avoir été victime de harcèlement moral, M. B... invoque des difficultés rencontrées dans l'exercice de ses fonctions ainsi qu'un harcèlement, des violences et voies de fait de la part d'un adjudant-chef et du commandant d'escadron. Il indique que l'ensemble de ces agissements ont eu pour effet une dégradation de son état de santé.
11. En premier lieu, concernant l'exercice de ses fonctions, M. B... fait état d'un manque, selon lui, de moyens essentiels à l'accomplissement de ses missions, d'une désorganisation du service engendrant des difficultés systémiques entravant le fonctionnement normal du service, d'une absence de prise en compte des avis techniques de cynotechniciens, de l'impossibilité de prendre des quartiers libres et repos physiologiques compensateurs ce qui a conduit à son épuisement, d'une charge de travail importante en raison d'un surcroit d'activité à compter du mois de septembre 2019, ce qui constitue un dysfonctionnement structurel de nature à entrainer un risque pour sa santé physique et mentale, d'un manque d'écoute et d'une inaction de la hiérarchie, d'un fonctionnement reconnu comme ambigu par l'administration, d'ambiguïtés sur le fonctionnement des équipes cynophiles qui ont été relevées dans sa notation mais n'ont pas été résolues, d'un manque de personnel dont le non remplacement d'un gendarme adjoint volontaire ce qui l'a conduit à être isolé et sans suppléant, d'un sous-effectif volontairement entretenu, des pressions de la part d'un adjudant-chef pour l'attribution de repos physiologiques compensateurs alors qu'il ne pouvait pas les lui accorder. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la réorganisation du service, prévue par la note de service du 28 mars 2018, en application de la circulaire n°45600 du 1er juin 2017 relative à l'organisation et à l'emploi des équipes cynophiles de la gendarmerie nationale, était justifiée par l'intérêt du service. Ensuite, les nombreuses circonstances dont fait état par M. B... concernaient l'ensemble des équipes cynophiles et ne traduisent pas une volonté de nuire à l'encontre de ce dernier uniquement. Dès lors, les difficultés ainsi alléguées ne sauraient être constitutives, à elles seules de harcèlement moral à l'encontre du requérant. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que les supérieurs hiérarchiques de M. B..., régulièrement saisis par ce dernier, ont tenté d'apporter des solutions, notamment en lui demandant de faire remonter les difficultés et de préparer des ébauches de plannings en amont. Enfin, s'il est constant que M. B... a dû supporter une charge de travail importante dans un contexte particulièrement difficile entre les mois de septembre et novembre 2019, et que celle-ci a pu engendrer du stress et une dégradation de son état de santé, ces circonstances à elles-seules ne permettent pas d'établir l'existence d'une situation de harcèlement moral alors même que l'intéressé a été placé en arrêt de maladie pour " surmenage psychologique au travail ".
12. En second lieu, M. B... soutient avoir été victime de harcèlement moral et de violences, voies de fait et outrages à compter du mois de février 2020, de la part d'un adjudant-chef, qui aurait été conforté dans ses agissements par le chef d'escadron. Il précise notamment avoir dû subir une réorganisation de son service avec une réduction de ses missions, des changements de ses jours de permissions ou repos, et conteste l'attribution de ses quartiers libres par demi-journées, une absence de classement par ordre hiérarchique dans un planning de service, une suppression de son accès à un logiciel informatique, ainsi que des différences de traitements par rapports aux autres agents, notamment s'agissant d'un placement en service trois week-ends consécutifs, d'un refus de report d'une permission, et de l'absence de remise personnelle d'une lettre de félicitations de 2019.
13. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'alors que M. B... avait été placé en congé de maladie du 22 novembre 2019 au 10 février 2020, l'adjudant-chef, par ailleurs commandant d'unité, avait décidé de reprendre à son compte l'organisation du service de l'équipe cynophile après avoir constaté que l'intéressé avait des difficultés à gérer le service. Par ailleurs, les éléments versés au dossier ne permettent pas d'établir l'existence de faits constitutifs de harcèlement moral de la part de ce sous-officier, s'agissant de la suppression de son accès à un logiciel informatique, des changements dans l'attribution de ses permissions, repos et quartiers-libres et placement en service trois week-ends consécutifs, dès lors que ces mesures étaient justifiées par l'organisation du service et n'ont pas excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
14. Enfin, si M. B... remet en cause le comportement de ses supérieurs, il ressort des pièces du dossier que l'attitude du requérant s'est progressivement modifiée à la suite de la note de réorganisation du service du 28 mars 2018. A cet égard, l'intéressé a, à de nombreuses reprises, critiqué, non seulement la réorganisation du service précitée ainsi que les moyens matériels, mais également la participation des équipes cynophiles aux opérations de lutte contre la délinquance, ou encore que les chiens des équipes cynophiles travaillent entre 10 h et 17 h du fait de la chaleur, dans des termes de plus en plus vifs. Par ailleurs, par un courrier du 8 octobre 2019 et dès avant les faits reprochés, M. B... a lui-même sollicité l'annulation de sa prolongation de séjour pour une quatrième année en outre-mer en indiquant qu'il ne parvenait pas à s'adapter à la politique menée.
15. Par conséquent, et alors même que des certificats médicaux attestent d'une dégradation de son état de santé, les éléments dont se prévaut M. B... ne suffisent pas à faire présumer qu'il aurait fait l'objet d'agissements constitutifs de harcèlement moral.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
16. Il résulte de ce qui a été dit au point 15 du présent arrêt que le harcèlement moral allégué n'est pas caractérisé. Dans ces conditions, les conclusions à fin d'indemnisation présentées par M. B... ne sauraient être accueillies.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
18. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. B... n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par l'intéressé ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
19. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 3 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 juin 2025.
La rapporteure,
Signé : N. PetonLe président,
Signé : A. Durup de Baleine
Le greffier,
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
N° 22NC02325 2