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12/06/2025 | FRANCE | N°23NC03185

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 12 juin 2025, 23NC03185


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 10 août 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.



Par un jugement n° 2305787 du 29 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg

a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et rejeté le surplus de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 10 août 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2305787 du 29 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 25 octobre 2023 sous le n° 23NC03185, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 29 septembre 2023 en tant qu'il a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;

2°) de rejeter la demande de M. A....

Elle soutient que :

- le jugement est entaché de contradiction entre les motifs et le dispositif ;

- c'est à tort que le tribunal a considéré que des considérations humanitaires s'opposaient à l'édiction d'une interdiction de retour sur le territoire français ;

- les moyens soulevés par le requérant à l'encontre de l'arrêté attaqué ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 décembre 2023, le 11 décembre 2023 et le 19 décembre 2023, M. C... A..., représenté par Me Bottemer, conclut au rejet de la requête de la préfète et présente des conclusions d'appel incident contre le jugement du tribunal en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et refus de délai de départ volontaire et fixant le pays de renvoi. Il demande également qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

Il soutient que le jugement du tribunal doit être confirmé s'agissant de l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français d'un an et que :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne fait pas état de son mariage avec une ressortissante française, ni de son retour volontaire au Maroc en 2021 pour y solliciter l'octroi d'un visa de long séjour, ni, enfin, de son retour en France en avril 2023, la séparation étant trop difficile ;

- il n'est pas justifié du respect de son droit à être entendu préalablement à l'édiction de la décision ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; il a quitté le territoire pour se conformer à la réglementation et régulariser sa situation ; la communauté de vie affective avec son épouse n'a jamais cessé nonobstant son retour au Maroc ainsi qu'en témoignent leurs nombreux échanges ; la communauté de vie matérielle s'est poursuivie au Maroc durant les vacances scolaires ; son épouse poursuit des études d'infirmière en France et ne peut s'installer au Maroc sous peine d'en perdre le bénéfice ; en conséquence, la communauté de vie, qui a débuté au mois d'août 2020 même si le mariage n'a pu avoir lieu qu'en avril 2021, était stable, continue, et d'une ancienneté de trois années à la date de la décision attaquée ; par un jugement du 5 décembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la Commission de recours contre les refus de visas et enjoint la délivrance d'un visa de long séjour ; il réside désormais avec sa femme dans leur propre appartement depuis le 18 décembre 2023 ;

En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est dépourvue de base légale dès lors qu'il n'avait jamais fait l'objet d'une mesure d'éloignement et présentait des garanties de représentation suffisantes ; par ailleurs, suite au jugement du tribunal administratif de Nantes, il aurait dû se voir délivrer un visa de long séjour de sorte que son entrée ne peut être considérée comme irrégulière ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Par un courrier du 16 mai 2025, la cour a informé les parties de ce qu'en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, elle était susceptible de soulever d'office une exception de non-lieu à statuer, les conclusions d'appel principal de la préfète du Bas-Rhin ayant perdu leur objet.

Par un courrier du 16 mai 2025, M. A... a présenté des observations en réponse à ce moyen d'ordre public.

II. Par une requête, enregistrée le 25 octobre 2023 sous le n° 23NC03186, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2305787 du tribunal administratif de Strasbourg.

Elle soutient que ses moyens d'appel sont sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées M. A....

Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 décembre 2023, le 11 décembre 2023 et le 19 décembre 2023, M. C... A..., représenté par Me Bottemer, conclut au rejet de la demande de sursis à exécution et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la préfète ne sont pas sérieux et ne justifient pas le sursis à exécution.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 20 novembre 2023 et du 15 février 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bauer a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant marocain né en 1993, déclare être entré irrégulièrement sur le territoire français au cours de l'année 2020. A la suite de son mariage avec une ressortissante française le 30 avril 2021, il est reparti au Maroc en juin 2021 afin de régulariser sa situation et d'obtenir la délivrance auprès des autorités consulaires d'un visa de long séjour. Sa demande en ce sens a été rejetée à deux reprises, de même que les deux recours formés devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa en dernier lieu en 2022. M. A... indique être alors revenu en France aux côtés de son épouse en avril 2023. A la suite de son interpellation et de la vérification de son droit au séjour le 9 août 2023, la préfète du Bas-Rhin, par un arrêté du 10 août 2023, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Ces décisions ont été contestées par l'intéressé devant le tribunal administratif de Strasbourg. Par un jugement n° 2305787 du 29 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et rejeté le surplus de sa demande. La préfète du Bas-Rhin relève appel de ce jugement dans la mesure de l'annulation partielle et demande qu'il soit ordonné le sursis à son exécution, par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre. M. A... présente des conclusions d'appel incident tendant à l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté ses demandes relatives aux autres décisions contestées.

Sur les conclusions de la préfète du Bas-Rhin :

2. Il ressort des pièces du dossier que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français annulée par le jugement litigieux du tribunal administratif de Strasbourg du 29 septembre 2023 a été retirée par un arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 19 septembre 2023, devenu définitif postérieurement à l'enregistrement de la requête d'appel. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions d'appel principal de la préfète, tendant à l'annulation du jugement en tant qu'il a annulé ladite décision d'interdiction de retour, qui ont perdu leur objet.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Sous réserve des engagements internationaux de la France ou du livre II, tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois doit être titulaire de l'un des documents de séjour suivants : 1° Un visa de long séjour ; 2° Un visa de long séjour conférant à son titulaire, en application du second alinéa de l'article L. 312-2, les droits attachés à une carte de séjour temporaire ou à la carte de séjour pluriannuelle prévue aux articles L. 421-9 à L. 421-11 ou L. 421-13 à L. 421-24, ou aux articles L. 421-26 et L. 421-28 lorsque le séjour envisagé sur ce fondement est d'une durée inférieure ou égale à un an ; (...) ". L'article L. 423-1 du même code dispose que : " L'étranger marié avec un ressortissant français, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an lorsque les conditions suivantes sont réunies : 1° La communauté de vie n'a pas cessé depuis le mariage ; 2° Le conjoint a conservé la nationalité française ; 3° Lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, il a été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français. "

4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... a rencontré une ressortissante française en 2020, lors de vacances en Espagne et qu'ils se sont mariés à Strasbourg le 30 avril 2021. L'intéressé indique être reparti au Maroc le 18 juin 2021 pour régulariser sa situation et y solliciter la délivrance d'un visa de long séjour auprès des autorités consulaires françaises à Rabat, démarches rejetées à deux reprises, de même que les recours formés devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France par deux décisions des 8 décembre 2021 et 21 décembre 2022. Toutefois, par un jugement du 5 décembre 2023, devenu définitif, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission des recours du 21 décembre 2022, au motif que les éléments avancés par l'administration ne permettaient pas de démontrer que le mariage aurait été contracté à des fins étrangères à l'institution du mariage, dans le seul but de faciliter l'établissement en France du demandeur, alors au demeurant que Mme B..., qui, contrairement aux mentions de la décision critiquée n'était pas mineure à la date de son mariage, produit des photographies et de nombreux échanges par messagerie de nature à attester de la réalité et de l'intensité de leur relation à compter de l'année 2020, et a par suite enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer à M. A... le visa de long séjour demandé. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le préfet, les éléments produits au dossier, notamment les nombreux échanges de messages quotidiens, attestent de la continuité de la communauté de vie affective entre les époux tout au long du séjour de M. A... au Maroc, son épouse justifiant par ailleurs de ses propres séjours au Maroc à l'occasion des vacances scolaires octroyées dans le cadre de sa formation d'infirmière. Enfin, il n'est pas établi ni même allégué que l'épouse du requérant n'aurait pas conservé la nationalité française. Il s'ensuit que, les conditions en étant remplies, M. A... pouvait, par application des dispositions précitées de l'article L. 421-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, prétendre à la délivrance d'un titre de séjour de plein droit en qualité de conjoint de français, procédure qui n'a pu être initiée faute de délivrance du visa de long séjour requis par les dispositions précitées de l'article L. 411-1 du même code. Dans ces conditions, le requérant est fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel elle a été prise et qu'elle a par suite méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Cette décision doit par suite être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant refus de délai de départ volontaire, fixant le pays de renvoi et portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, le jugement attaqué doit être réformé en ce qu'il a rejeté les conclusions à fin d'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et refus de délai de départ volontaire et fixant le pays de renvoi.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :

7. Dès lors qu'il est statué sur le fond du litige par le présent arrêt, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête à fin de sursis à exécution, enregistrée sous le n° 23NC03186.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

8. Il y a lieu, en application des dispositions précitées, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante, une somme globale de 1 000 euros à verser à Me Bottemer, avocate de M. A..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'a pas lieu de statuer sur la requête 23NC03185 de la préfète du Bas-Rhin tendant à l'annulation du jugement du 29 septembre 2023 en tant qu'il a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Article 2 : Les décisions du 10 août 2023 par lesquelles la préfète du Bas-Rhin a fait obligation à M. A... de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et a fixé le pays de renvoi sont annulées.

Article 3 : Le jugement du 29 septembre 2023 du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête de la préfète du Bas-Rhin à fin de sursis à exécution enregistrée sous le n° 23NC3186.

Article 5 : L'Etat versera à Me Bottemer, avocat de M. A..., une somme globale de 1 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me Bottemer et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 22 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- Mme Bauer, présidente-assesseure,

- M. Berthou, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2025.

La rapporteure,

Signé : S. BAUER Le président,

Signé : Ch. WURTZ Le greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

F. LORRAIN

N° 23NC03185, 23NC03186 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03185
Date de la décision : 12/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Sandra BAUER
Rapporteur public ?: M. MEISSE
Avocat(s) : BOTTEMER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-12;23nc03185 ?
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