Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 17 décembre 2021 par laquelle l'inspecteur du travail de la première unité de contrôle de la Marne de la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations de la Marne a autorisé son licenciement pour faute.
Par un jugement n° 2200248 du 20 octobre 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 décembre 2023, Mme D... C..., représentée par Me Royaux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 octobre 2023 ;
2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 17 décembre 2021 ;
3°) de mettre à la charge de la société AC2M Distribution une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la procédure de licenciement est irrégulière dès lors que d'une part, la consultation du comité social et économique n'est pas intervenue dans le délai de dix jours à compter de la date de sa mise à pied et que d'autre part, l'inspecteur du travail n'a pas été saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la délibération de ce comité, en méconnaissance des dispositions des articles L. 2421-1, R. 2421-6 et R. 2421-14 du code du travail ;
- le délai de vingt et un jours qui s'est écoulé entre la mise à pied et la saisine de l'inspecteur du travail est irrégulier et excessif ;
- la véritable cause de son licenciement résulte de sa défense des droits de ses collègues qui ne bénéficiaient pas de son statut protecteur, dans un contexte de réduction des personnels ;
- le retard de pointage de cinq minutes qui lui est reproché est un fait isolé qui n'a pas été retenu par l'inspecteur du travail ;
- elle a reconnu les faits qui lui sont reprochés, intervenus les 27 octobre et 6 novembre 2021, mais ces derniers ont eu lieu dans le contexte d'un conflit avec la direction et les salariés de l'hypermarché depuis des années ; à cet égard, la société AC2M a fait l'objet d'une procédure d'alerte sur les risques psycho-sociaux des salariés, décidée par le conseil social et économique à son initiative, dans le prolongement d'une alerte économique ; le rapport de l'inspecteur du travail relève des faits d'entrave au fonctionnement du comité d'établissement, à l'exercice des fonctions de délégué du personnel et de l'utilisation de moyens de pression et de harcèlement moral ; si ces faits ont été commis sous l'ancienne direction de la société, le directeur, M. B... est arrivé dans un contexte très tendu, a poursuivi les méthodes de management antérieures visant à étouffer les actions syndicales et a rapidement manifesté sa volonté d'atténuer leur influence ; les tensions ne sont donc pas liées à son comportement mais sont générées par le climat d'incertitude qui pèse sur l'établissement ainsi que le management particulièrement agressif de M. B... ; le management toxique de la direction de la société est attesté par un consultant d'une structure extérieure ainsi que par le contrôleur de sécurité au service prévention des risques professionnels de la CARSAT Nord Est ;
- elle ne s'est pas approchée très près du visage du directeur pour lui dire " qu'est-ce qu'il y a ' " et l'attestation de l'agent de sécurité, qui est employé par une société disposant d'un contrat avec le magasin, ne saurait permettre d'établir la matérialité des faits en cause ;
- elle n'a pas exercé de pressions sur les collaborateurs du magasin dès lors que les témoignages communiqués par l'employeur sont antérieurs au 22 octobre 2021, date à laquelle elle avait déjà été sanctionnée pour ces mêmes faits d'une mise à pied disciplinaire de deux jours et que le seul témoignage du 22 octobre 2021 ne concernait qu'un conseil donné à une salariée dans le cadre des conflits en cours portant sur l'organisation d'une enquête interne sur les risques psycho-sociaux ;
- la rédaction d'un courrier de plainte au nom d'une collègue s'inscrit dans le cadre de ses mandats, comme l'a d'ailleurs reconnu l'inspecteur du travail ;
- la société AC2M a, de manière irrégulière, repris l'intégralité de ces faits dans son courrier de licenciement alors que l'inspecteur du travail n'a retenu que les faits des 27 octobre et 6 novembre 2021 ;
- ces seuls faits ne présentent pas un caractère de gravité suffisant pour justifier son licenciement, alors qu'ils sont intervenus dans un contexte d'importantes tensions sociales ayant justifié le recours à une enquête relative aux risques psycho-sociaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2024, la société AC2M Distribution, représentée par Me Hugueville, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 500 euros soit mise à la charge de Mme C... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Laurence Stenger, première conseillère,
- et les conclusions de Mme Cyrielle Mosser rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... était employée comme hôtesse de caisse à compter du 6 septembre 2004 au sein de l'hypermarché Carrefour d'Eperrnay, en dernier lieu, par la société AC2M Distribution, entreprise d'au moins cinquante salariés. La société AC2M Distribution a, par une lettre du 26 novembre 2021, saisi l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licencier pour faute disciplinaire Mme C..., salariée protégée en sa qualité de déléguée syndicale, membre titulaire du comité social et économique (CSE) et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Par une décision du 17 décembre 2021, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de Mme C.... Cette dernière relève appel du jugement du 20 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 17 décembre 2021.
Sur la légalité de la décision du 17 décembre 2021 :
2. Aux termes des dispositions de l'article R. 2421-14 du code du travail : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. La consultation du comité social et économique a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. La demande d'autorisation de licenciement est présentée dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité social et économique. (...) ".
3. Les délais, fixés par ces dispositions, dans lesquels la demande d'autorisation de licenciement d'un salarié mis à pied doit être présentée, ne sont pas prescrits à peine de nullité de la procédure de licenciement. Toutefois, eu égard à la gravité de la mesure de mise à pied, l'employeur est tenu de respecter un délai aussi court que possible pour la présenter. Par suite, il appartient à l'administration, saisie par l'employeur d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé auquel s'appliquent ces dispositions, de s'assurer que ce délai a été, en l'espèce, aussi court que possible pour ne pas entacher d'irrégularité la procédure antérieure à sa saisine.
4. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que Mme C... a fait l'objet d'une mise à pied, à titre conservatoire, par un courrier du 8 novembre 2021. Il est expressément mentionné dans ce courrier, réceptionné par la requérante le 9 novembre 2021, que sa mise à pied lui a été notifiée oralement et qu'elle prend " effet à compter de ce jour ", soit le 8 novembre 2021. Il est par ailleurs constant que le conseil social et économique s'est réuni le 19 novembre 2021, soit onze jours après la mise à pied de l'intéressée intervenue le 8 novembre 2021. En outre, le courrier de demande d'autorisation de licenciement pour faute de Mme C..., formée par la société AC2M Distribution le 26 novembre 2021, a été réceptionné par les services de l'inspection du travail le 29 novembre 2021, soit dix jours après la réunion du conseil social et économique du 19 novembre 2021. Par conséquent, Mme C... n'a perçu aucune rémunération pendant un délai de vingt-deux jours entre sa mise à pied prononcée le 8 novembre 2024 et la saisine de l'inspection du travail le 29 novembre 2021. Dans ces conditions, eu égard à la gravité de cette mesure de mise à pied, le délai de vingt-deux jours qui s'est écoulé entre le 8 novembre et le 29 novembre 2021, doit être regardé, en l'espèce, comme excessif alors que l'employeur ne fait valoir aucune circonstance particulière justifiant la durée de ce délai. Par suite, Mme C... est fondée à soutenir que l'inspecteur du travail, en ne relevant pas cette irrégularité qui affecte la légalité interne de la décision en litige du 17 décembre 2021, a commis une erreur de droit.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme D... C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 17 décembre 2021 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour faute.
Sur les conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme C..., qui n'est pas la partie perdante, au titre des frais exposés par la société AC2M Distribution et non compris dans les dépens.
7. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société AC2M Distribution une somme au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2200248 du 20 octobre 2023 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.
Article 2 : La décision du 17 décembre 2021 est annulée.
Article 3 : Les conclusions des parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., à la société AC2M Distribution et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience publique du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Martinez, président,
- M. Agnel, président-assesseur,
- Mme Stenger, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.
La rapporteure,
Signé : L. Stenger Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 23NC03631 2