La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/06/2025 | FRANCE | N°23NC03414

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 05 juin 2025, 23NC03414


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Institut Georges V a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre des exercices 2017 et 2018.





Par un jugement n° 2101565 du 21 septembre 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistr

ée le 20 novembre 2023, l'EURL Institut Georges V, représentée par Me Lachaize, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jug...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Institut Georges V a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre des exercices 2017 et 2018.

Par un jugement n° 2101565 du 21 septembre 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 novembre 2023, l'EURL Institut Georges V, représentée par Me Lachaize, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 septembre 2023 ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la provision pour dépréciation de son fonds de commerce comptabilisée au titre de l'exercice 2017 remplit les conditions de déductibilité prévues au 5° du I de l'article 39 du code général des impôts dès lors que la dépréciation est fondée sur un évènement, qui trouve son origine en 2014, qui est toujours en cours en 2017 et qui consiste dans le détournement d'une partie de sa clientèle ; à cet égard, il n'est pas nécessaire que l'évènement naisse au cours de l'exercice où la dépréciation est comptabilisée, il suffit qu'il soit toujours en cours ;

- elle est fondée à se prévaloir des dispositions des points 50 et 100 de la doctrine BOI-BIC-PROV-40-10-10 du 3 mai 2017 ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par l'EURL Institut Georges V ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Laurence Stenger, première conseillère,

- et les conclusions de Mme Cyrielle Mosser, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. L'EURL Institut Georges V, dont la gérante est Mme B..., exerce une activité de soins esthétiques sur la commune de Villers-lès-Nancy. Au cours de l'année 2019, la société a fait l'objet d'un examen de comptabilité portant sur les exercices 2017 et 2018. Par une proposition de rectification du 9 septembre 2019, l'administration fiscale l'a informée qu'elle envisageait de mettre à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultant de la remise en cause, au titre de ces deux années, de la déduction d'une provision pour dépréciation du fonds de commerce de la société d'un montant de 64 789 euros, comptabilisée au titre de son exercice clos en 2017 au motif qu'elle n'était justifiée par aucun évènement survenu au cours de l'exercice 2017. Contestés, ces redressements ont été intégralement maintenus dans la réponse aux observations du contribuable du 18 novembre 2019. Saisie par la société requérante, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a, le 22 septembre 2020, émis un avis favorable aux redressements, lesquels ont été mis en recouvrement le 16 novembre 2020. La société requérante a saisi l'administration d'une réclamation préalable, le 14 décembre 2020, qui a été rejetée par une décision du 31 mars 2021. Par un jugement du 21 septembre 2023 dont l'EURL Institut Georges V relève appel, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la décharge des compléments d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre des exercices 2017 et 2018.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

2. D'une part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) ". Aux termes de l'article 38 sexies de l'annexe III à ce code, dans sa rédaction alors applicable : " La dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment (...) les fonds de commerce (...) donne lieu à la constitution de provisions dans les conditions prévues au 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts. ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent, en outre, comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'enfin, elles se rattachent par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise. Il appartient au contribuable, indépendamment des règles qui régissent la charge de la preuve pour des raisons de procédure, d'établir le bien fondé et de justifier du montant d'une telle provision au regard des caractéristiques de l'exploitation au cours de la période en litige.

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 123-14 du code de commerce : " Les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise. / Lorsque l'application d'une prescription comptable ne suffit pas pour donner l'image fidèle mentionnée au présent article, des informations complémentaires doivent être fournies dans l'annexe. / Si, dans un cas exceptionnel, l'application d'une prescription comptable se révèle impropre à donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ou du résultat, il doit y être dérogé. Cette dérogation est mentionnée à l'annexe et dûment motivée, avec l'indication de son influence sur le patrimoine, la situation financière et le résultat de l'entreprise ". Aux termes de l'article 322-1 du plan comptable général, dont les dispositions ont été reprises pour les exercices ouverts après le 1er janvier 2014 à l'article 214-6 : " (...) 4 - La dépréciation d'un actif est la constatation que sa valeur actuelle est devenue inférieure à sa valeur nette comptable. / 5 - La valeur brute d'un actif est sa valeur d'entrée dans le patrimoine (...). / 7 - La valeur nette comptable d'un actif correspond à sa valeur brute diminuée des amortissements cumulés et des dépréciations. / 8 - La valeur actuelle est la valeur la plus élevée de la valeur vénale ou de la valeur d'usage (...). / 10 - La valeur vénale est le montant qui pourrait être obtenu, à la date de clôture, de la vente d'un actif lors d'une transaction conclue à des conditions normales de marché, net des coûts de sortie. (...) / 11 - La valeur d'usage d'un actif est la valeur des avantages économiques futurs attendus de son utilisation et de sa sortie. Elle est calculée à partir des estimations des avantages économiques futurs attendus. Dans la généralité des cas, elle est déterminée en fonction des flux nets de trésorerie attendus. (...). "

5. La déductibilité fiscale d'une provision est subordonnée, en application des dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts et de l'article 38 quater de l'annexe II à ce code, outre aux conditions relatives à la dépréciation elle-même, à ce que la provision en cause ait été constatée dans les écritures de l'exercice conformément, en principe, aux prescriptions comptables. S'agissant de la dépréciation d'un élément d'actif, il résulte des dispositions du plan comptable général citées au point 4 que la passation de l'écriture comptable correspondante est subordonnée au constat selon lequel la valeur actuelle de cet élément d'actif, valeur la plus élevée de la valeur vénale ou de la valeur d'usage, est devenue notablement inférieure à sa valeur nette comptable. Par suite, la seule circonstance que la valeur vénale d'un élément d'actif soit devenue inférieure à sa valeur nette comptable ne saurait, en principe, justifier la déductibilité fiscale d'une provision s'il apparaît que la valeur d'usage reste supérieure à cette valeur nette comptable, faisant ainsi obstacle à la comptabilisation d'une dépréciation.

6. Par acte du 30 octobre 2012, l'EURL Institut Georges V, a acquis auprès de M. A... et Mme A..., ancienne exploitante, un fonds de commerce d'esthétique corporelle, soins esthétiques et vente de produits cosmétiques et de bijoux fantaisie, situé et exploité à Villers-les-Nancy, comprenant des éléments incorporels de clientèle et d'achalandage, l'enseigne et le nom commercial et le droit au bail des locaux pour un montant de 115 433 euros ainsi que des éléments corporels attachés au fonds de commerce comprenant du matériel et du mobilier commercial, le droit à la ligne téléphonique et des marchandises neuves pour un montant de 4 567 euros. A la clôture de l'exercice clos le 31 octobre 2017, l'EURL Institut Georges V a comptabilisé une provision pour dépréciation de la valeur de son fonds de commerce d'un montant de 64 799 euros.

7. Pour justifier cette provision, la société requérante soutient que sa salariée, Mme A..., ancienne propriétaire du fonds de commerce, après une période de placement en congé de maladie le 11 novembre 2013, a ouvert le 24 avril 2014, après son licenciement prononcé le 26 février 2014, un institut de beauté à Brin-sur-Seille, ce qui a eu pour effet d'interrompre le " processus de fidélisation de la clientèle ", Mme A... ayant récupéré une partie de son ancienne clientèle. Elle affirme que cet évènement, né en 2014, perdurait toujours en 2017, ce qui justifiait la comptabilisation de la provision pour dépréciation de son fonds de commerce, comme en témoignent l'analyse de ses bénéfices entre 2013 et 2018 qui révèlent, selon elle, un indice sérieux de la perte de valeur de l'immobilisation incorporelle qu'elle avait acquise en 2012.

8. Il résulte, toutefois, de l'instruction que la diminution d'environ 50 % du montant du chiffre d'affaires constatée entre l'exercice clos le 31 octobre 2014 et celui clos le 31 octobre 2017 correspond à la période où Mme B..., gérante de l'institut, était l'unique esthéticienne à dispenser les soins après le départ de Mme A... en février 2014. Or, il est constant que depuis sa création le chiffre d'affaires de l'institut Georges V était réalisé grâce aux soins dispensés par deux esthéticiennes. Par ailleurs, si la société requérante soutient, sans le démontrer, que Mme A... a récupéré une partie de sa clientèle, il n'est pas contesté que, comme le fait valoir l'administration, une distance de plus de vingt-cinq kilomètres sépare les communes de Villers-les-Nancy et Brin-sur-Seille ce qui rend improbable une telle allégation. A cet égard, et comme le soutient l'administration en défense, la clause de non-concurrence mentionnée dans l'acte de vente du 30 octobre 2012, prévoyant que Mme A... devait s'interdire d'ouvrir un fonds similaire à celui en litige pendant un délai de trois ans dans un rayon de trois kilomètres démontre au contraire qu'au-delà de ce périmètre il n'existait pas d'impact sur la clientèle de l'Institut Georges V. Enfin, il résulte de l'instruction que la diminution du chiffre d'affaires survenue en 2013 est suivie d'un accroissement des bénéfices de l'EURL Institut Georges V. Ainsi, les bénéfices réalisés au titre de l'exercice clos en 2017, avant déduction de la provision en litige, sont supérieurs à ceux afférents à l'exercice clos en 2014. Par conséquent, comme l'ont relevé les premiers juges, les modifications des conditions d'exploitation de l'Institut Georges V intervenues en 2014 ne sauraient constituer un évènement en cours en 2017 de nature à fonder la comptabilisation et la déductibilité de la provision en litige. Il s'ensuit qu'en l'absence de dépréciation effective de son fonds de commerce se rattachant à un événement en cours à la clôture de l'exercice 2017, l'administration était fondée à remettre en cause la provision de 64 799 euros constituée au titre des exercices 2017 et 2018.

9. De surcroît, pour déterminer la provision en litige, l'EURL Institut Georges V a diminué le prix d'achat des éléments incorporels du fonds de commerce au 30 octobre 2012, soit 115 433 euros, d'une somme de 50 634 euros. Cette somme de 50 634 euros correspondait à la moyenne du chiffre d'affaires de l'exercice clos le 31 octobre 2017, soit 51 230 euros, et du chiffre d'affaires de l'exercice clos le 31 octobre 2016, soit 46 919 €, qu'elle a multipliée par le coefficient de 1,0318 appliqué dans l'acte de vente du 30 octobre 2012 pour la détermination du prix de cession des éléments incorporels du fonds de commerce. Ce faisant, la société requérante a seulement déterminé la valeur vénale du fonds de commerce, sans rechercher sa valeur d'usage, ce qui ne permet pas d'identifier sa valeur actuelle au sens des dispositions précitées du plan comptable général. Aussi, à défaut de constater que la valeur actuelle du fonds de commerce à la clôture de l'exercice 2017 serait notablement inférieure à sa valeur nette comptable, la provision ne peut pas être regardée comme ayant été enregistrée dans les écritures de la société conformément aux prescriptions comptables précitées.

En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :

10. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales. ".

11. L'EURL Institut Georges V n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'instruction référencée BOI-BIC-PROV-40-10-10 du 3 mai 2017, et plus particulièrement de ses paragraphes n° 50 et 100, lesquelles ne comportent pas d'interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application dans le présent arrêt.

12. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Institut Georges V n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.

Sur les frais d'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que l'EURL Institut Georges V demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de l'EURL Institut Georges V est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Institut Georges V et au ministre de l'économie, des finances, de l'industrie et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Martinez, président de chambre,

- M. Agnel, président-assesseur,

- Mme Stenger, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juin 2025.

La rapporteure,

Signé : L. StengerLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne de l'économie, des finances, de l'industrie et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 23NC03414 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03414
Date de la décision : 05/06/2025
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Laurence STENGER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : SELARL GRAND EST AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-05;23nc03414 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award