Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 24 janvier 2024 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éloignement et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2401138 du 2 avril 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 mai 2024, M. B..., représenté par Me Airiau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 avril 2024 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 janvier 2024 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éloignement et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle dès lors qu'elle ne mentionne pas la présence en France de son épouse ; la préfète n'aurait pas pris la même décision si elle avait tenu compte de cet élément ;
- elle est insuffisamment motivée ; l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas visé et la préfète n'a pas procédé à la vérification de son droit au séjour eu égard à ses liens en France et notamment la présence de son épouse ;
- elle est entachée d'erreur de fait ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ; la décision attaquée a pour effet de le séparer de son épouse ; cette dernière ayant déposé une demande d'asile en raison de ses craintes en cas de retour en Russie, elle ne pourrait s'y rendre pour voir son époux ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est entachée d'irrégularité en raison de l'illégalité des décisions de refus de séjour et portant obligation de quitter le territoire français ;
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle dès lors qu'elle ne mentionne pas la présence en France de son épouse ;
- elle est insuffisamment motivée au regard des critères de l'article L. 612-10 ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle.
La préfète de la région Grand-Est, préfète du Bas-Rhin n'a pas produit.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bauer a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant russe né en 1991, est entré en France
le 11 octobre 2022. Il a présenté, le 25 octobre 2022, une demande d'asile qui a été rejetée
le 28 février 2023 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Par un arrêté du 24 janvier 2024, la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par un jugement du 2 avril 2024, dont l'intéressé relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de ces décisions.
Sur la légalité des décisions contestées :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction issue de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 1984 n'était pas en vigueur à la date de la décision attaquée du 24 janvier 2024 et n'est, par suite, pas applicable au présent litige. Aux termes du même article, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 et applicable en l'espèce : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée (...) ".
3. Il ressort des termes de la décision attaquée, qui n'est pas stéréotypée, que celle-ci mentionne l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
4. En deuxième lieu, il ressort des termes de cette décision que la préfète
du Bas-Rhin a procédé à l'examen particulier de la situation de M. B.... Au surplus, le requérant ne saurait sérieusement faire valoir que la préfète a mentionné à tort, dans la décision attaquée, que son épouse n'était pas présente en France dès lors qu'il ne justifie pas l'avoir informée de sa présence avant l'édiction de la décision en cause. Il ressort de surcroît des pièces du dossier que son épouse n'est entrée en France que le 21 septembre 2023, soit près d'un an après l'intéressé, et ne s'y est pas fait connaitre sous son nom d'épouse. Si, à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile, elle a précisé tant dans son entretien individuel que lors de l'examen de sa vulnérabilité que son époux était présent en France, ces éléments confidentiels sont conservés respectivement par l'OFPRA et l'Office français de l'immigration et de l'intégration et ne sont pas transmis au préfet. Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de sa demande ne peut en tout état de cause qu'être écarté.
5. En troisième lieu, en revanche, dès lors que l'épouse du requérant était présente en France à la date de la décision attaquée, l'erreur de fait tenant à la mention indiquant que tel n'était pas le cas est établie, nonobstant la circonstance que l'administration n'en ait pas été informée. Il résulte toutefois de l'instruction que la préfète du Bas-Rhin aurait pris la même décision si elle avait été informée de la présence en France de l'épouse de M. B..., alors notamment que, s'il est constant qu'à la date d'édiction de la décision litigieuse l'épouse de l'intéressé était titulaire d'une attestation de demandeur d'asile, il ressort des pièces du dossier que sa demande était traitée selon la procédure prévue par le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, de sorte qu'elle avait vocation à être transférée vers la Croatie, premier pays d'entrée dans l'Union européenne ayant relevé initialement ses empreintes décadactylaires, et qu'il n'est ni établi ni même allégué qu'en cas de transfert de l'épouse de l'intéressé, la cellule familiale n'aurait pu se reconstituer en Croatie. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Ces dispositions ne garantissent pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie privée et familiale.
7. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le séjour de M. B... en France était récent à la date de la décision attaquée. Il n'invoque aucune autre attache sur le territoire français que son épouse, qui, ainsi qu'il vient d'être dit, ne justifiait pas d'un droit au séjour pérenne en France. Il ne démontre pas être dépourvu de liens dans son pays d'origine où il a vécu pendant la plus grande partie de son existence et qu'il n'a quitté que récemment, ni que la cellule familiale ne pourrait se reconstituer en Croatie, où son épouse avait vocation à être transférée pour l'examen de sa demande d'asile. Il s'ensuit, eu égard de surcroît aux conditions de son séjour sur le territoire français, qu'en décidant son éloignement, la préfète du Bas-Rhin n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. B... à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, l'obligation de quitter le territoire français critiquée ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, cette décision n'est entachée d'aucune erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
8. Ainsi qu'il a été dit précédemment, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité, de sorte que le moyen tiré, par voie d'exception, de son illégalité, ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
9. L'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
10. En premier lieu, la décision portant interdiction de retour pour une durée d'un an comporte, d'une manière qui n'est pas stéréotypée et qui atteste de la prise en compte de l'ensemble des critères prévus par la loi au vu de la situation de M. B..., l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. Elle est donc suffisamment motivée.
11. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète
du Bas-Rhin ne se serait pas livré à un examen préalable de la situation particulière de M. B... avant de prononcer l'interdiction de retour contestée.
12. En dernier lieu, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'existence d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions citées ci-dessus doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés au point 7.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 2 avril 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté attaqué. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 30 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Bauer, présidente-assesseure,
- M. Berthou, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mai 2025.
La rapporteure,
Signé : S. BAUER Le président,
Signé : Ch. WURTZ
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
F. LORRAIN
N° 24NC01129 2