Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux requêtes distinctes, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler, d'une part, la décision implicite par laquelle le préfet du Haut-Rhin a refusé de renouveler son titre de séjour et, d'autre part, la décision expresse du 13 avril 2023 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a refusé de renouveler ce titre.
Par un jugement n° 2300531, 2303144 du 30 novembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 13 avril 2023.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 janvier 2024, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 30 novembre 2023 ;
2°) de rejeter la demande d'annulation de la décision du 13 avril 2023 présentée par M. B....
Il soutient que :
- le comportement de M. B... constitue une menace à l'ordre public justifiant la décision de refus de séjour ;
- la décision du 13 avril 2023 ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 avril 2024, M. B..., représenté par Me Bohner, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 2 000 euros hors taxes soit mise à la charge de l'Etat au bénéfice de son avocat sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés dès lors qu'il ne constitue pas une menace actuelle pour l'ordre public et que l'atteinte à sa vie privée et familiale est disproportionnée ;
- le préfet ne justifie pas que le fichier de traitement des antécédents judiciaires a été consulté par une personne dûment habilitée et que le procureur a été saisi d'une demande, ni de la réponse qu'il aurait formulée, et a ainsi méconnu les dispositions de l'article R. 40-29 du code de sécurité intérieure ;
- la décision contestée est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que le préfet était tenu de lui délivrer le titre sollicité en application du 3° de l'article L. 631-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du 2° de l'article L. 631-3 de ce même code, et ne pouvait se fonder sur les faits antérieurs à la dégradation, en 2019, de sa carte de résident en carte de séjour temporaire ;
- il remplit toujours les conditions de l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision contestée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Berthou,
- et les observations de Me Bohner, représentant M. B... et de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant marocain né le 10 avril 1980, entré en France le 25 août 1993 au titre du regroupement familial, s'est vu refuser le renouvellement de sa carte de séjour temporaire par décision du préfet du Haut-Rhin du 13 avril 2023. Par la présente requête, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour d'annuler le jugement du 30 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à M. B....
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le moyen retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire (...) " Aux termes de l'article L. 432-1 de ce code : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ". L'alinéa 1er de l'article L. 432-2 du même code dispose que : " Le renouvellement d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle peut, par une décision motivée, être refusé à l'étranger qui cesse de remplir l'une des conditions exigées pour la délivrance de cette carte dont il est titulaire, fait obstacle aux contrôles ou ne défère pas aux convocations ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a fait l'objet, entre 2001 et 2013, de neuf condamnations pénales, notamment pour des faits de port prohibé d'armes, de violences avec arme et de vol aggravé. En 2013, il a notamment été condamné à six mois d'emprisonnement pour des faits de violences sur personne dépositaire de l'autorité publique en récidive. Enfin, en 2020, il a été condamné à un an d'emprisonnement dont six mois assortis d'un sursis probatoire pour des faits de violences et menaces de mort réitérées sur conjoint. Au regard de la réitération d'infractions violentes et de la gravité des faits ayant justifié sa dernière condamnation en 2020, la présence en France de M. B... constitue une menace pour l'ordre public.
4. M. B..., qui réside en France depuis trente ans, s'est vu délivrer, le 10 avril 1998, une carte de résident, renouvelée une fois. Au regard des multiples infractions déjà commises sur le territoire, le deuxième renouvellement de sa carte de résident lui a été refusé par le préfet du Haut-Rhin, qui lui a alors délivré une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", valable du 10 avril 2019 au 9 avril 2020. Si l'intéressé fait valoir qu'il est reconnu travailleur handicapé et a exercé une activité professionnelle réelle depuis 2017 et jusqu'à son accident du travail en avril 2021, il ne justifie son absence d'intégration sociale que par des troubles psychiques dont il ressort des pièces du dossier qu'ils sont surtout accentués par l'absence de sérieux dans la prise de son traitement. Par ailleurs, il ne justifie pas ne plus disposer d'attaches au Maroc, pays dans lequel résidait sa mère jusque son décès en 2023. Par suite, alors même que son père réside régulièrement en France et que ses deux sœurs sont françaises, et malgré sa présence en France depuis une trentaine d'années, le préfet du Haut-Rhin a pu, au regard de la menace qu'il constitue pour l'ordre public et sans porter une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, lui refuser un titre sur le fondement des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet de préfet du Haut-Rhin est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... tant en première instance qu'en appel.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. B... :
6. En premier lieu, par un arrêté du 27 mars 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le même jour, le préfet du Haut-Rhin a donné délégation à M. D... C..., directeur de la règlementation, à l'effet de signer notamment les décisions de refus de séjour. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision en litige, signée par M. C..., aurait été prise par une autorité incompétente doit être écarté.
7. En deuxième lieu, la décision litigieuse est fondée sur les dispositions des articles L. 412-5 et L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'elle cite. Elle est, par suite, suffisamment motivée en droit, sans que l'absence de visa du fondement du titre de séjour dont M. B... demandait le renouvellement ait une incidence.
8. En troisième lieu, il résulte de l'instruction et notamment des autres mentions de la décision attaquée que, à supposer que la consultation du traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) aurait été réalisée en méconnaissance des dispositions l'article R. 40-29 du code de procédure pénale et que cette irrégularité ait une incidence sur la légalité du refus de titre de séjour, le préfet aurait pris la même décision en se fondant sur les autres éléments de la situation personnelle de l'intéressé et notamment sur les dix condamnations pénales dont il a fait l'objet. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux serait entaché d'un vice de procédure doit en tout état de cause être écarté.
9. En quatrième lieu, M. B... ne peut utilement se prévaloir des dispositions des articles L. 631-2 et L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui ne sont applicables qu'aux décisions d'expulsion. Aucune disposition, ni aucun principe ne fait par ailleurs obstacle à ce que le préfet du Haut-Rhin fonde sa décision en partie sur des faits antérieurs à la délivrance, en 2019, d'une carte de séjour temporaire en lieu et place du renouvellement de sa carte de résident. Le moyen tiré de l'erreur de droit doit donc être écarté.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vigueur à la date de la décision en litige : " Si un étranger qui ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application des articles L. 631-2 ou L. 631-3 est titulaire d'une carte de résident cette dernière peut lui être retirée s'il fait l'objet d'une condamnation définitive sur le fondement des articles 433-3,433-4, des deuxième à quatrième alinéas de l'article 433-5, du deuxième alinéa de l'article 433-5-1 ou de l'article 433-6 du code pénal. / Une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " lui est alors délivrée de plein droit. "
11. Ainsi qu'il a été dit au point 3, le comportement M. B... constitue une menace pour l'ordre public au sens des articles L. 412-5 et L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile justifiant le non renouvellement de sa carte de séjour temporaire en application de l'article L. 432-2 de ce code. L'intéressé ne peut ainsi utilement soutenir qu'il remplit par ailleurs les conditions de l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors même que son dernier titre de séjour lui a été délivré sur ce fondement.
12. En sixième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3 le moyen tiré de l'erreur d'appréciation quant à la réalité de la menace à l'ordre public doit être écarté.
13. En septième et dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 4, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé au regard du pouvoir de régularisation du préfet à titre exceptionnel doivent être écartés.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que le préfet du Haut-Rhin est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé sa décision du 13 avril 2023.
15. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, sur le fondement de ces articles.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 30 novembre 2023 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Strasbourg et les conclusions présentées par l'intéressé au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
Délibéré après l'audience du 30 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Bauer, présidente-assesseure,
- M. Berthou, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé : D. BERTHOULe président,
Signé : Ch. WURTZ
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N°24NC00237 2