Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
M. B... C... et Mme D... C... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 27 septembre 2023 par lesquels le préfet du Haut-Rhin a refusé de leur délivrer des titres de séjour et leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, laquelle obligation fixe le pays de renvoi en cas d'éloignement d'office à l'issue de ce délai.
Par un jugement n°s 2308738, 2308740 du 19 mars 2024, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 29 mai 2024 sous le n° 24NC01429, M. B... C..., représenté par l'AARPI Eleos, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 mars 2024 ;
2°) de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros HT au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le refus de séjour ne procède pas d'un examen de sa situation personnelle ;
- il méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il procède d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'intérêt supérieur des enfants est méconnu ;
- les autres décisions contestées sont illégales en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2025, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 mai 2024.
II. Par une requête, enregistrée le 29 mai 2024 sous le n° 24NC01430, Mme D... C..., représentée par l'AARPI Eleos, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 mars 2024 ;
2°) de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros HT au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le refus de séjour méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il procède d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'intérêt supérieur des enfants est méconnu ;
- les autres décisions contestées sont illégales en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2025, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 mai 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport A... Durup de Baleine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., ressortissant du Kosovo né en 1992, et Mme D... C..., ressortissante du Kosovo née en 1992, son épouse, sont arrivés en France au mois de janvier 2018, avec leurs deux enfants mineurs, l'une née en 2014 et l'autre né en 2017, tous deux au Kosovo. Leur troisième enfant est née en France le 2 janvier 2023. Les demandes d'asile qu'ils avaient présentées ont été rejetées par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 6 novembre 2018. Les arrêtés du 9 janvier 2019 par lesquels le préfet du Haut-Rhin leur avait fait obligation de quitter le territoire français ont été annulés par un jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 14 février 2019 et, en raison de l'état de santé de leur fille aînée, des autorisations provisoires de séjour, valables de juillet 2019 à juillet 2021, leur ont été délivrées. Par des arrêtés du 16 septembre 2021, le préfet du Haut-Rhin leur en a refusé le renouvellement, en leur faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Les recours dirigés contre ces arrêtés ont été rejetés le 1er février 2022 par le tribunal administratif de Strasbourg et le 30 septembre 2022 par la cour administrative d'appel de Nancy. Demeurés en France, M. et Mme C... ont, au mois de juin 2023, sollicité du préfet la régularisation de leurs situations de séjour, par la délivrance de cartes de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou au titre de l'admission exceptionnelle au séjour prévue par l'article L. 435-1 de ce code. Par des arrêtés du 27 septembre 2023, le préfet du Haut-Rhin a rejeté leurs demandes et leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de destination en cas d'éloignement d'office. M. et Mme C..., par des requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul arrêt, relèvent appel du jugement du 19 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés du 27 septembre 2023.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. L'arrêté du 27 septembre 2023 concernant M. C... est régulièrement motivé. Cette motivation n'avait pas l'obligation d'énumérer l'ensemble des éléments de fait caractérisant sa situation personnelle et la circonstance qu'elle n'en ferait pas état de certains ne permet pas d'en inférer que sa situation n'aurait pas été examinée de manière complète. Il résulte de l'instruction que cette situation a été examinée de manière complète et la circonstance que certains éléments de cette situation auraient dû, selon ce requérant, conduire le préfet du Haut-Rhin à régulariser sa situation de séjour est, à cet égard, sans incidence.
3. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2 Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
4. Le séjour des requérants en France, remontant au début de l'année 2018, n'est pas ancien. Ils ne justifient pas de liens personnels particuliers, de nature privée ou familiale, importants et stables, qu'ils auraient noués en France avant leur arrivée dans ce pays. Leur séjour jusqu'au mois de novembre 2018 ne s'explique que par l'examen des demandes d'asile qu'ils avaient présentées et, s'ils ont été autorisés à se maintenir en France pendant deux ans entre juillet 2019 et juillet 2021, c'était seulement en considération de l'état de santé de l'une de leurs enfants, mais non en vue d'un établissement pérenne de l'ensemble de la famille. Ils ont fait l'objet au mois de septembre 2021 de premières mesures portant obligation de quitter le territoire français, en dépit desquelles ils se sont maintenus sur ce territoire. Leurs enfants, de même nationalité qu'eux, peuvent les accompagner dans leur pays d'origine, où de tels enfants peuvent être scolarisés. Contrairement à ce qu'ils font valoir, M. et Mme C... n'ont pas en France des liens personnels anciens, intenses et stables et la vie privée et familiale de la famille peut se poursuivre dans le pays d'origine, où résident encore des proches et ils ont vécu pendant plus de vingt-cinq ans. Dès lors, le refus du préfet du Haut-Rhin de régulariser leurs séjours et les obligations qui leurs sont faites de quitter le territoire français ne portent pas à leur droit au respect de leur vie privée et familiale, distincte de celles des proches dont ils font état résidant en France et la situation des requérants ne relevant ni du regroupement familial ni de la réunification familiale au bénéfice des réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire, une atteinte disproportionnée au regard des motifs des refus. Il en résulte que ces derniers ne méconnaissent pas l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Compte tenu de la durée et des conditions du séjour des requérants en France, prises dans leur globalité, comme des effets de décisions portant obligation de quitter le territoire français, ces refus et ces obligations ne méconnaissent pas non plus les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ".
6. Les requérants ne peuvent utilement se prévaloir des orientations générales énoncées par la circulaire du 28 novembre 2012 dont ils font état.
7. L'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prescrit pas la délivrance d'un titre de séjour de droit ou de plein droit mais laisse à l'administration un large pouvoir pour apprécier si l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels dont l'intéressé se prévaut. L'admission exceptionnelle prévue par ce texte constitue une mesure de faveur, au bénéfice de laquelle l'étranger ne peut faire valoir aucun droit.
8. Si M. C... a pu travailler pendant plusieurs mois à la faveur des autorisations provisoires de séjour qui, comme à son épouse, leur avaient été délivrées en considération de l'état de santé de l'une de leurs enfants, cette possibilité ne lui avait pas été ouverte en vue de la délivrance ultérieure d'un titre de séjour en qualité de salarié. La circonstance que M. C... a pu travailler en qualité de chef de chantier, métier dit en tension, et qu'un ou des employeurs seraient susceptibles de l'employer en cette qualité n'est pas en elle-même un motif exceptionnel d'admission exceptionnelle au séjour. Il n'en va pas différemment de la circonstance que Mme C... pourrait exercer un emploi de femme de ménage. Il ne ressort ainsi pas des pièces des dossiers que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en 2023 en refusant l'admission exceptionnelle au séjour A... et Mme C..., qui se maintiennent sur le territoire français en dépit de l'obligation qui leur a été faite en 2021 de le quitter.
9. Aux termes de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, de autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
10. Les enfants des requérants sont tous trois de la même nationalité que leurs parents et peuvent accompagner ces derniers dans le pays qui est celui de toute la famille. Dès lors, les arrêtés contestés ne sont pas de nature à séparer ces enfants des personnes en ayant la charge de la garde, de l'entretien et de l'éducation. L'intérêt supérieur de celle de ces enfants née en France au mois de janvier 2023 ne commande pas la régularisation du séjour de ses parents. Les deux enfants scolarisés en France peuvent être scolarisés au Kosovo et leur intérêt supérieur ne commande pas ni n'implique l'immutabilité des conditions de leur scolarisation dans un pays où leurs parents ne sont pas autorisés à demeurer et qui, en 2021, leur a ordonné une première fois de le quitter. Leur fille aînée peut bénéficier d'une prise en charge de son état de santé appropriée dans ce pays, quand bien même cette prise en charge serait moins aboutie qu'en France. Dès lors, les arrêtés contestés ne sont pas contraires à l'intérêt supérieur des enfants A... et Mme C....
11. Compte tenu de ce qui a été dit quant à la légalité des décisions refusant la régularisation des séjours A... et Mme C..., ils ne sont pas fondés à soutenir que les obligations qui leurs sont faites de quitter le territoire français sont illégales en raison de l'illégalité de ces refus. Ils ne sont pas davantage fondés à soutenir que les décisions fixant le pays de destination sont illégales en raison de l'illégalité de ces obligations.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes. Par suite, il ne peut être fait droit aux conclusions à fin d'injonction qu'ils présentent.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement d'une somme à ce titre.
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes A... et Mme C... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et Mme D... C..., à Me Andreini et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
Délibéré après l'audience du 22 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mai 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : A. Durup de BaleineL'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
Signé : A. Barlerin
Le greffier,
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
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N°s 24NC01429, 24NC01430