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13/05/2025 | FRANCE | N°24NC01032

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 13 mai 2025, 24NC01032


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 10 février 2024 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2401004 du 28 mars 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa de

mande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 23 avril 2024, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 10 février 2024 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2401004 du 28 mars 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 avril 2024, M. B... A..., représenté par Me Blanvillain, demande à la cour :

1°) de lui accorder l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du 28 mars2024 ;

3°) de faire droit à sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté contesté a été signé par une autorité incompétente ;

- il n'est pas suffisamment motivé ;

- le préfet de la Moselle commet plusieurs erreurs de fait ;

- le préfet de la Moselle n'a pas pris en considération sa situation personnelle, professionnelle et familiale ;

- le préfet de la Moselle a commis une erreur de droit ;

- c'est à tort que le premier juge a fait droit à la demande de substitution de base légale sollicitée par le préfet ;

- un délai de départ volontaire aurait dû être accordé ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation ;

- sa situation n'a pas fait l'objet d'un examen attentif ;

- il est entré régulièrement en France muni d'un titre de séjour italien ;

- il n'existe pas de risque de fuite et il présente des garanties de représentation ;

- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est méconnu ;

- l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant est méconnu ;

- l'interdiction de retour est d'une durée disproportionnée ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2024, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une lettre du 27 mars 2025, les parties ont, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, été informées que la décision à rendre paraît susceptible d'être fondée sur le moyen relevé d'office tiré de la méconnaissance du champ d'application des articles L. 621-1 et L. 621-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que, M. A... étant détenteur d'un titre de résident longue durée - UE en cours de validité délivré par un autre Etat membre de l'Union européenne, il appartenait au préfet de la Moselle d'examiner s'il y avait lieu de le reconduire en priorité vers cet Etat ou de le réadmettre dans cet Etat, et un délai leur a été imparti pour présenter leurs observations.

Par un mémoire, enregistré le 31 mars 2025, le préfet de la Moselle fait valoir que le moyen relevé d'office communiqué aux parties doit être écarté.

Il soutient que M. A... n'a pas demandé à être éloigné vers l'Italie et, lors de son audition par les services de police, n'a pas fait état de sa carte de résident longue durée - UE italienne.

Par un mémoire, enregistré le 4 avril 2025, M. A... fait valoir que le moyen relevé d'office communiqué aux parties doit être retenu et justifie l'annulation de la décision fixant le pays de destination.

Il soutient que l'administration savait qu'il était titulaire d'une carte de résident de longue durée-EU délivrée en Italie dès lors qu'il l'avait produite lors de la première demande de titre de séjour en 2019 et que, lors de son audition le 10 février 2024, il n'a pu faire part d'une volonté d'être éloigné vers l'Italie.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière (ensemble une annexe), signé à Chambéry le 3 octobre 1997 et le décret n° 2000-652 du 4 juillet 2020 en portant publication ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Durup de Baleine a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant albanais né en 1988, est entré sur le territoire français en 2018, muni de son passeport ordinaire en cours de validité ainsi que d'un titre de séjour de résident de longue durée - UE lui ayant été délivré par les autorités italiennes le 24 mai 2016. Il a été titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention " visiteur " délivrée par le préfet de la Moselle et valable du 11 avril 2019 au 10 avril 2020 puis d'une carte de séjour temporaire portant la mention " visiteur " valable du 11 avril 2020 au 10 avril 2021 délivrée par le même préfet, d'un récépissé de demande de renouvellement de carte de séjour valable jusqu'au 1er décembre 2021 et, enfin, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " visiteur ", délivrée par le préfet de la Moselle et valable du 17 novembre 2021 au 16 novembre 2022. Il relève appel du jugement du 28 mars 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 février 2024 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. M. A... ayant été admis en cours d'instance au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, sa demande d'aide juridictionnelle provisoire est sans objet.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation au refus d'entrée à la frontière prévu à l'article L. 332-1, à la décision portant obligation de quitter le territoire français prévue à l'article L. 611-1 et à la mise en œuvre des décisions prises par un autre État prévue à l'article L. 615-1, l'étranger peut être remis, en application des conventions internationales ou du droit de l'Union européenne, aux autorités compétentes d'un autre État, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas prévus aux articles L. 621-2 à L. 621-7. / L'étranger est informé de cette remise par décision écrite et motivée prise par une autorité administrative définie par décret en Conseil d'État. Il est mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. ".

3. Aux termes de l'article L. 621-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Peut faire l'objet d'une décision de remise aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne l'étranger, détenteur d'un titre de résident de longue durée - UE en cours de validité accordé par cet Etat, en séjour irrégulier sur le territoire français. / Les conditions d'application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. ".

4. Il résulte des dispositions des articles L. 611-1, L. 621-1 et L. 621-4 à L. 621-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise à un Etat étranger ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 621-1 ou des articles L. 621-4 à L. 621-6, elle peut légalement, soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 621-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 611-1. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagé l'autre. Toutefois, si l'étranger demande à être éloigné vers l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, ou s'il est résident de longue durée dans un Etat membre ou titulaire d'une " carte bleue européenne " délivrée par un tel Etat, il appartient au préfet d'examiner s'il y a lieu de reconduire en priorité l'étranger vers cet Etat ou de le réadmettre dans cet Etat.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est détenteur d'un titre de résident de longue durée - UE qui lui a été délivré le 24 mai 2016 par les autorités italiennes et qui est en cours de validité au 10 février 2024. Sa situation relève ainsi du champ d'application des articles L. 621-1 et L. 621-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par conséquent, avant le cas échéant de décider de prendre à l'encontre de M. A... une décision portant obligation de quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 611-1 de ce code, et alors même qu'il n'avait pas demandé à être éloigné vers l'Italie, il appartenait au préfet de la Moselle d'examiner s'il y avait lieu de reconduire en priorité cet étranger, en séjour irrégulier sur le territoire français, vers l'Italie ou de le réadmettre dans cet Etat. Or, il résulte de l'instruction, notamment des termes de l'arrêté contesté, que l'administration, qui n'a pas examiné de manière complète la situation de l'intéressé, n'a pas pris en compte la circonstance que M. A... est détenteur de ce titre de séjour italien, cet arrêté prévoyant d'ailleurs que le pays de renvoi est l'Albanie ou tout pays dont lequel il est légalement admissible, à l'exception, toutefois et notamment, d'un Etat membre de l'Union européenne, alors que, compte tenu de ce titre de séjour, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A..., également titulaire d'un passeport en cours de validité, ne serait pas légalement admissible en Italie, Etat membre de l'Union européenne. Dès lors, le préfet de la Moselle, en s'abstenant d'examiner s'il y avait lieu de reconduire en priorité cet étranger vers l'Italie ou de le réadmettre dans cet Etat, a entaché l'arrêté du 10 février 2024 d'un vice en affectant le bien-fondé.

6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de sa requête, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le premier juge a rejeté sa demande. Il y a lieu d'annuler l'arrêté du 10 février 2024 et, conformément aux dispositions des articles L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Moselle, d'une part, de munir sans délai M. A... d'une autorisation provisoire de séjour et, d'autre part, de statuer à nouveau sur son cas, dans un délai qu'il y a lieu de fixer à deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg n° 2401004 du 28 mars 2024 et l'arrêté du préfet de la Moselle du 10 février 2024 sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Moselle de munir sans délai M. A... d'une autorisation provisoire de séjour et, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, de statuer à nouveau sur son cas.

Article 4 : L'Etat versera à Me Blanvillain la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Emilie Blanvillain.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 22 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Durup de Baleine, président,

- M. Barlerin, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mai 2025.

Le président-rapporteur,

Signé : A. Durup de BaleineL'assesseur le plus ancien

dans l'ordre du tableau,

Signé : A. Barlerin

Le greffier,

Signé : A. Betti

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

A. Betti

2

N° 24NC01032


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC01032
Date de la décision : 13/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DURUP DE BALEINE
Rapporteur ?: M. Antoine DURUP DE BALEINE
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET
Avocat(s) : BLANVILLAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 15/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-13;24nc01032 ?
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