Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 9 juin 2021, le 8 février 2022 et le 6 avril 2022, la société civile immobilière Mancico, représentée par la SCP Courrech et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 5 mai 2021 par lequel le maire de la commune de Charleville-Mézières lui a refusé la délivrance d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et l'avis du 4 mars 2021 par lequel la Commission nationale d'aménagement commercial a émis un avis défavorable au projet de la société Mancico de création d'un ensemble commercial d'une surface de vente de 3 120 m2 à Charleville-Mézières ;
2°) d'enjoindre à la Commission nationale d'aménagement commercial de rendre un nouvel avis, dans un délai de quatre mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
3°) d'enjoindre à la commune de Charleville-Mézières de statuer sur la demande de permis de construire dans les deux mois de l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial ;
4°) de mettre à la charge de tout succombant le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la société Casino ne peut solliciter une substitution de motif sur le fondement de l'article L. 752-21 du code de commerce ;
- ce motif est infondé ;
- elle a suffisamment tenu compte du précédent avis favorable du 6 décembre 2018 ;
- la seule circonstance que la démographie soit en diminution ne saurait justifier un refus ;
- le projet présente une cohérence en terme d'aménagement du territoire ;
- le projet permettrait d'amener une animation dans un quartier prioritaire pour la politique de la ville ;
- le secteur d'implantation du projet connaît une évasion commerciale très forte ;
- le projet participe à restaurer l'attractivité et l'animation du quartier Manchester où l'offre commerciale est fertile ;
- si le taux de vacance commerciale est de 23, 64 % dans le secteur 2 de Charleville-Mézières et de 20, 69 % à Nouzonville, il n'est que de 9, 55 % dans le secteur 1 ;
- la suppression des boutiques peut être considérée comme ayant réglé le problème de risques d'atteinte au centre-ville et le projet n'a pas d'impact négatif sur le commerce de centre-ville, l'avis du 4 mars 2021 n'étant à cet égard pas suffisamment motivé ;
- la vacance commerciale est nulle à Montcy-Notre-Dame, Warcq, Prix-lès-Mézières et Aiglemont ;
- le grief tiré de l'absence d'infrastructures et d'aménagements cyclables paraît manquer en fait ;
- les modes de déplacement alternatifs à l'automobile sont effectifs ;
- le projet n'a pas d'impact négatif sur les flux de circulation ;
- le projet s'insère de manière satisfaisante dans son environnement ;
- les mesures en faveur de la lutte contre le phénomène d'imperméabilisation sont suffisantes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2022, la SAS Distribution Casino France, représentée par la SELARL Concorde Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Mancico le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial est un acte préparatoire et les conclusions tendant à son annulation sont irrecevables ;
- les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la Commission nationale d'aménagement commercial de rendre un avis favorable sont irrecevables ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- la Commission nationale d'aménagement commercial était, en application de l'article L. 752-21 du code de commerce, tenue de rendre un avis défavorable lui faisant obligation de refuser le permis de construire demandé ;
- il en allait de même sur le fondement de l'article L. 752-6 du code de commerce ;
- la Commission nationale d'aménagement commercial n'a commis aucune erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2022, la Commission nationale d'aménagement commercial conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Durup de Baleine,
- les conclusions de Mme Bourguet, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 19 juin 2020, la société civile immobilière Mancico a déposé une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la réalisation, sur un terrain d'une superficie de 29 644 m2 situé rue de Warcq à Charleville-Mézières, d'un ensemble commercial d'une surface de vente de 3 120 m2, comportant un supermarché à l'enseigne " Intermarché " d'une surface de vente de 2 247 m2, un magasin de vente de produits issus de l'agriculture biologique à l'enseigne " Les comptoirs de la bio " d'une surface de vente de 661 m2 aux lieu et place d'un magasin généraliste à dominante alimentaire à l'enseigne " Netto ", un magasin de vente de produits alimentaires en vrac d'une surface de vente de 212 m2 ainsi qu'un point permanent de retrait par la clientèle d'achats au détail commandés par voie électronique organisé pour l'accès en automobile, comprenant deux pistes de ravitaillement et 90 m2 d'emprise au sol affectés au retrait des marchandises. La commission départementale d'aménagement commercial des Ardennes a, le 10 novembre 2020, émis un avis favorable à ce projet. Toutefois, saisie des recours présentés par les sociétés Supermarché Match, Cora et Distribution Casino France, la Commission nationale d'aménagement commercial a, le 4 mars 2021, émis un avis défavorable au projet. La société civile immobilière Mancico demande l'annulation de cet avis et de l'arrêté du 5 mai 2021 par lequel le maire de la commune de Charleville-Mézières a refusé de lui délivrer ce permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.
Sur les conclusions de la société Distribution Casino France tendant à ce que soit admise son intervention :
2. La personne qui, en application de l'article L. 752-17 du code de commerce, saisit la Commission nationale d'aménagement commercial d'un recours administratif préalable obligatoire contestant l'avis favorable délivré par la commission départementale sur un projet soumis à autorisation d'exploitation commerciale, a la qualité de partie en défense à l'instance devant la cour administrative d'appel en ce qu'elle concerne la décision du maire en tant qu'elle refuse l'autorisation d'exploitation commerciale sollicitée. Dès lors, la société Distribution Casino France ayant en l'espèce la qualité de partie en défense à la requête de la société Mancico, ses conclusions tendant à ce que son intervention soit admise sont sans objet.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial :
3. Il résulte de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme que l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial a le caractère d'un acte préparatoire à la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, seule décision susceptible de recours contentieux. Il en va ainsi que cet avis soit favorable ou qu'il soit défavorable. Dans ce dernier cas, la décision susceptible de recours contentieux est la décision de rejet de la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. Il en résulte que les conclusions de la requête tendant à l'annulation de l'avis de la commission nationale d'aménagement commercial du 4 mars 2021 sont irrecevables.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 mai 2021 :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la société Distribution Casino France :
4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 752-21 du code de commerce : " Un pétitionnaire dont le projet a été rejeté pour un motif de fond par la Commission nationale d'aménagement commercial ne peut déposer une nouvelle demande d'autorisation sur un même terrain, à moins d'avoir pris en compte les motivations de la décision ou de l'avis de la commission nationale. ".
5. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un projet soumis à permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale fait l'objet d'un avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial pour un motif de fond, une nouvelle demande d'autorisation de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à raison d'un nouveau projet sur un même terrain ne peut être soumise, pour avis, à une commission départementale d'aménagement commercial que pour autant que le pétitionnaire justifie que sa demande comporte des modifications en lien avec l'avis antérieur de la Commission nationale d'aménagement commercial.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'avant de demander le permis de construite valant autorisation d'exploitation commerciale refusé par l'arrêté attaqué, la société Mancico avait demandé un permis de cette nature afin de créer, sur le même terrain, un ensemble commercial d'une surface de vente de 3 120 m2 comprenant, à côté d'un supermarché d'une surface de vente de 661 m2 qui cessera d'être exploité sous l'enseigne " Netto ", un supermarché d'une surface de vente de 2 247 m2, une galerie marchande de 212 m2 composée de trois cellules de secteur 2 de moins de 300 m2 chacune, outre un " drive " comportant deux pistes de ravitaillement et 46 m2 d'emprise au sol affectée au retrait des marchandises. Le 6 décembre 2018, la Commission nationale d'aménagement commercial, annulant l'avis favorable à ce projet émis le 30 juillet 2018 par la commission départementale d'aménagement commercial des Ardennes, avait émis un avis défavorable pour des motifs de fond, dont le premier énonçait que " le projet peut permettre de rééquilibrer l'offre en grandes surfaces alimentaires à l'échelle du bassin de vie, qui plus est à proximité immédiate d'un quartier prioritaire de la ville ; que, toutefois, s'agissant en particulier du " drive " et de la station essence, le projet s'adresse davantage aux consommateurs qui transitent par la rue de Warcq qu'aux habitants du quartier voisin de Manchester, peu motorisés ; que, surtout, le projet pose des difficultés en termes d'animation de la vie locale du fait des boutiques qu'il crée et dans lesquelles le pétitionnaire veut implanter des commerces de proximité tels que ceux aujourd'hui exploités dans le commerce de Manchester, d'ailleurs invités à quitter le quartier pour s'installer dans la future galerie marchande ; ".
7. Le projet refusé par l'avis du 4 mars 2021, qui ne comporte plus cette galerie marchande mais la remplace par un unique commerce à dominante de vente de produits alimentaires, comporte ainsi une modification en lien avec l'avis antérieur du 6 décembre 2018 et tenant compte du premier motif énoncé par cet avis défavorable. Il en résulte que la société Distribution Casino France n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 752-1 du code de commerce faisaient obstacle à ce que la nouvelle demande de la société Mancico soit soumise pour avis à la commission départementale d'aménagement commercial des Ardennes.
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté attaqué :
8. Aux termes du troisième alinéa de l'article 1er de la loi du 27 décembre 2021 d'orientation du commerce et de l'artisanat : " Les pouvoirs publics veillent à ce que l'essor du commerce et de l'artisanat permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu'une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l'écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit préjudiciable à l'emploi. ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 750-1 du code de commerce : " Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine. ".
9. Aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable : " I.-L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale ou, le cas échéant, avec les orientations d'aménagement et de programmation des plans locaux d'urbanisme intercommunaux comportant les dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 151-6 du code de l'urbanisme. / La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ; / f) Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d'infrastructures et de transports ; / 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l'article L. 229-25 du code de l'environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; / c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. / Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; / 3° En matière de protection des consommateurs : / a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; / b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; / c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; / d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs. / II.-A titre accessoire, la commission peut prendre en considération la contribution du projet en matière sociale. / III.-La commission se prononce au vu d'une analyse d'impact du projet, produite par le demandeur à l'appui de sa demande d'autorisation. Réalisée par un organisme indépendant habilité par le représentant de l'Etat dans le département, cette analyse évalue les effets du projet sur l'animation et le développement économique du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre, ainsi que sur l'emploi, en s'appuyant notamment sur l'évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l'offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente, en tenant compte des échanges pendulaires journaliers et, le cas échéant, saisonniers, entre les territoires. / IV.-Le demandeur d'une autorisation d'exploitation commerciale doit démontrer, dans l'analyse d'impact mentionnée au III, qu'aucune friche existante en centre-ville ne permet l'accueil du projet envisagé. En l'absence d'une telle friche, il doit démontrer qu'aucune friche existante en périphérie ne permet l'accueil du projet envisagé. ".
10. Il résulte de ces dispositions combinées que l'autorisation d'exploitation commerciale ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.
11. Les dispositions ajoutées au I de l'article L. 752-6 du code de commerce par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique poursuivent l'objectif d'intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes. Elles se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l'appréciation globale des effets du projet sur l'aménagement du territoire et ne subordonnent pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes.
12. Pour émettre le 4 mars 2021 l'avis défavorable contesté, la Commission nationale d'aménagement commercial a estimé que le projet ne répond pas aux critères énoncés à l'article L. 752-6 du code de commerce. A cet effet et après avoir énoncé qu'entre 2008 et 2018, la population est en baisse de 6, 6 % sur la zone de chalandise, de 7, 8 % sur la commune de Charleville-Mézières et de 4, 3 % sur le département des Ardennes, elle a, tout d'abord et pour estimer que le projet est susceptible d'avoir un impact défavorable sur les commerces de centre-ville, considéré que le taux de vacance commerciale s'élève actuellement à 23, 64 % sur le secteur 2 de la commune de Charleville-Mézières et 20, 69 % (6 locaux sur 29) sur la commune limitrophe de Nouzonville et que la commune de Charleville-Mézières a intégré le programme " Action cœur de ville ".
13. Toutefois, alors que l'avis du 6 décembre 2018 avait estimé que le précédent projet de la société Mancico posait des difficultés " en termes d'animation de la vie locale " du fait des boutiques qu'il créait, son nouveau projet ne comporte plus de " galerie marchande ", mais seulement des commerces alimentaires et un commerce généraliste à dominante alimentaire qui, compte tenu de sa surface de vente de 2 247 m2, est un supermarché et non un hypermarché. Ce nouveau projet est localisé, non à proximité, mais dans le quartier Manchester. S'il est éloigné d'environ 2, 6 km du centre-ville de Charleville-Mézières, ce quartier est densément urbanisé, en particulier à destination d'habitat, individuel comme collectif. La localisation de ce projet est très proche du quartier prioritaire de la ville du quartier Manchester, délimité au nord par l'avenue de Manchester, parallèle à la rue de Warcq. Il ressort des données publiques librement accessibles que ce quartier prioritaire de la ville, comptant 2 313 habitants au 1er janvier 2018, ne comporte que neuf commerces de détail en 2021, et d'ailleurs seulement sept en 2022, l'ensemble du quartier Manchester comptant 3 649 habitants. Compte tenu de sa composition, comme des caractéristiques du quartier de Charleville-Mézières dans lequel il s'inscrit, le projet n'apparaît pas susceptible d'avoir un impact défavorable sur le tissu commercial du centre-ville de Charleville-Mézières, des communes limitrophes et de la communauté d'agglomération Ardenne Métropole. En revanche, il est propre à améliorer l'animation commerciale de la vie urbaine du quartier Manchester, en particulier la partie de ce quartier classée en quartier prioritaire de la ville. Il contribue également à la revitalisation du tissu commercial du quartier Manchester, faiblement pourvu en commerces de proximité notamment en commerces de moyenne ou grande surface à dominante alimentaire, à part, en particulier et précisément, le commerce à l'enseigne " Netto " dont le projet comporte la transformation et le remplacement par un supermarché de plus grande taille, en permettant une modernisation des équipements commerciaux existants et une plus grande variété de l'offre. En outre, il ressort également des pièces du dossier que l'offre commerciale en grandes surfaces, en particulier généralistes à dominante alimentaire, est, à Charleville-Mézières, fortement concentrée au sud de l'agglomération, de sorte que la création d'un supermarché rue de Warcq dans le quartier Manchester, situé à l'ouest de cette agglomération, est propre à limiter les flux vers sa partie sud. Il en résulte que le projet de la société Mancico ne méconnaît pas, s'agissant des critères de l'aménagement du territoire et de la protection des consommateurs, les dispositions des a), c) et e) du 1° et des b) et c) du 3° du I de l'article L. 752-6 du code de commerce.
14. Dans son avis du 4 mars 2021, la Commission nationale d'aménagement commercial a également estimé que le secteur n'est pas équipé d'infrastructures et aménagements cyclables et que la réalisation de tels itinéraires par la commune reste encore insuffisamment formalisée.
15. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, compte tenu de sa localisation rue de Warcq dans le quartier Manchester, comme de la proximité des habitations, le projet est aisément accessible, dans de bonnes conditions de sécurité, tant par automobile que par voie piétonne. Il bénéficie également d'une bonne desserte par les transports en communs. Dès lors et alors même que le secteur n'est pas encore équipé d'infrastructures et d'aménagements cyclables, il ne méconnaît pas, s'agissant des critères de l'aménagement du territoire et de la protection des consommateurs, les dispositions du d) du 1° et du a) du 3° du I de l'article L. 752-6 du code de commerce.
16. Enfin, la Commission nationale d'aménagement commercial a également, en dernier lieu, considéré que, si le projet, qui prévoit une imperméabilisation nette de 9 425 m2 sur une parcelle de 29 644 m2 " soit un total de 44, 3 % de la surface de la parcelle " selon les mentions d'ailleurs arithmétiquement inexactes de l'avis du 4 mars 2021, est ainsi moins consommateur d'espaces que lors de la demande effectuée en 2018 où l'imperméabilisation projetée s'élevait à 51 % de la surface de la parcelle, les mesures du projet en faveur de la lutte contre le phénomène d'imperméabilisation des sols sont toujours insuffisantes. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la commission aurait émis le même avis défavorable en se fondant sur cette seule considération.
17. Il résulte de ce qui précède que la société Mancico est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour faire droit au recours dont elle était saisie contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial des Ardennes du 10 novembre 2020 et émettre l'avis défavorable du 4 mars 2021, la Commission nationale d'aménagement commercial a estimé que le projet ne répond pas aux critères énoncés à l'article L. 752-6 du code de commerce.
18. L'arrêté du 5 mai 2021 est seulement fondé sur l'avis défavorable émis par la Commission nationale d'aménagement commercial le 4 mars 2021. La société Mancico étant fondée à soutenir que cet avis est illégal, elle l'est également à demander l'annulation, pour excès de pouvoir, de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
19. En vertu des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative, le juge administratif peut, s'il annule la décision prise par l'autorité administrative sur une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et en fonction des motifs qui fondent cette annulation, prononcer une injonction tant à l'égard de l'autorité administrative compétente pour se prononcer sur la demande de permis qu'à l'égard de la Commission nationale d'aménagement commercial La circonstance qu'elle soit chargée par l'article R. 752-36 du code de commerce d'instruire les recours dont elle est saisie ne fait pas obstacle à ce que le juge administratif lui enjoigne, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre une mesure dans un sens déterminé si les motifs de la décision juridictionnelle l'impliquent nécessairement. Toutefois, l'annulation de la décision rejetant une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sur le fondement d'un avis défavorable rendu par cette commission n'implique, en principe, qu'un réexamen du projet par cette commission. Il n'en va autrement que lorsque les motifs de l'annulation impliquent nécessairement la délivrance d'un avis favorable.
20. Les motifs de l'annulation prononcée par la présente décision n'impliquent pas nécessairement que la Commission nationale d'aménagement commercial délivre un avis favorable. Il y a lieu d'enjoindre à cette commission de rendre, compte tenu des motifs du présent arrêt, un nouvel avis sur le projet de la société Mancico dans un délai de quatre mois à compter de la notification de cette décision et d'enjoindre au maire de la commune de Charleville-Mézières de prendre une nouvelle décision sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale dans un délai de deux mois à compter de la notification qui lui sera faite de ce nouvel avis.
Sur les frais liés au litige :
21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Mancico, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement à la société C asino Distribution France de la somme qu'elle demande à ce titre. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Mancico de la somme de 1 500 euros au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du maire de la commune de Charleville-Mézières du 5 mai 2021 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la Commission nationale d'aménagement commercial de délivrer un nouvel avis sur le projet de la société Mancico dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt et au maire de la commune de Charleville-Mézières de prendre une nouvelle décision sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale dans un délai de deux mois à compter de la notification qui sera faite à cette commune du nouvel avis de la Commission nationale d'aménagement commercial.
Article 3 : L'Etat versera à la société Mancico la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Mancico et les conclusions présentées par la société Casino Distribution France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Mancico, à la commune de Charleville-Mézières, à la société Distribution Casino France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la Commission nationale d'aménagement commercial.
Délibéré après l'audience du 22 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 mai 2025.
Le président,
Signé : A. Durup de BaleineL'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
Signé : A. Barlerin
Le greffier,
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et des finances en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
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N° 21NC01688