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07/05/2025 | FRANCE | N°24NC00277

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 1ère chambre, 07 mai 2025, 24NC00277


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 12 juillet 2023 par laquelle la commission académique de l'académie de Nancy-Metz a rejeté leur recours administratif préalable obligatoire contre la décision du 13 juin 2023 par laquelle le directeur académique des services de l'éducation nationale de la Moselle a refusé l'autorisation d'instruire en famille leur enfant mineur au titre de l'année scolaire 2023-2024, en

semble la décision du 13 juin 2023, d'enjoindre au recteur de l'académie de Nancy-Met...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 12 juillet 2023 par laquelle la commission académique de l'académie de Nancy-Metz a rejeté leur recours administratif préalable obligatoire contre la décision du 13 juin 2023 par laquelle le directeur académique des services de l'éducation nationale de la Moselle a refusé l'autorisation d'instruire en famille leur enfant mineur au titre de l'année scolaire 2023-2024, ensemble la décision du 13 juin 2023, d'enjoindre au recteur de l'académie de Nancy-Metz de leur délivrer l'autorisation d'instruire en famille leur enfant mineur au titre de l'année scolaire 2023-2024 ou, à défaut, de réexaminer leur demande et de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2306116 du 20 décembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 24NC00277 le 6 février 2024, Mme C... et M. D..., représentés par Me Fouret, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 décembre 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 12 juillet 2023 par laquelle la commission académique de l'académie de Nancy-Metz a rejeté leur recours administratif préalable obligatoire contre la décision du 13 juin 2023 par laquelle le directeur académique des services de l'éducation nationale de la Moselle a refusé l'autorisation d'instruire en famille leur enfant mineur au titre de l'année scolaire 2023-2024, ensemble la décision du 13 juin 2023 ;

3°) d'enjoindre au recteur de l'académie de Nancy-Metz de leur délivrer l'autorisation d'instruire en famille leur enfant mineur au titre de l'année scolaire 2023-2024 ou, à défaut, de réexaminer leur demande ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a écarté le moyen tiré de ce que la décision de refus d'instruction en famille est entachée d'erreur de droit, dès lors que la loi n'impose pas la démonstration d'une situation propre à l'enfant lorsque que le choix d'instruction en famille est motivé par des raisons pédagogiques ; il n'appartient pas à l'administration d'apprécier la situation des enfants et de se substituer au choix des parents, l'administration ne peut exercer son contrôle que sur l'articulation entre le projet pédagogique et la situation de l'enfant ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'instruction en famille n'est pas subordonnée à une impossibilité de scolarisation, à une inadaptation scolaire ou à l'existence d'une situation propre en tant que telle ; une telle conception est contraire à la sauvegarde de la dignité humaine et au droit des parents d'assurer l'éducation de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques conformément à l'article 14.3 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; il incombe à l'administration de respecter l'autorité parentale ;

- l'absence de définition légale de la situation propre des enfants permettant l'instruction en famille porte atteinte au principe de sécurité juridique ;

- c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par la commission de l'académie de Moselle ; il a dénaturé les pièces du dossier ;

- la décision de refus d'instruction en famille est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant au sens de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ; elle porte atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale ; les difficultés de Pandore sont réelles et importantes et provoquent un absentéisme important.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 mai 2024, le recteur de l'académie de Nancy-Metz conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Guidi, présidente,

- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... et M. D... ont sollicité l'autorisation d'instruire en famille leur fille âgée de 8 ans, au titre de l'année scolaire 2023-2024. Le directeur académique des services de l'éducation nationale de la Moselle a rejeté leur demande par une décision du 13 juin 2023, confirmée par une décision du 12 juillet 2023 de la commission de l'académie de Nancy-Metz en réponse à leur recours administratif préalable obligatoire. Mme C... et M. D... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Strasbourg rejetant leur recours en annulation.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 131-5 du code de l'éducation, dans sa rédaction applicable au litige : " Les personnes responsables d'un enfant soumis à l'obligation scolaire définie à l'article L. 131-1 doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé ou bien, à condition d'y avoir été autorisées par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, lui donner l'instruction en famille.(...) L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant : (...) 4° L'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d'instruire l'enfant à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans ce cas, la demande d'autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif, l'engagement d'assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l'instruction en famille. (...) ".

3. D'une part, l'article L. 131-1 du code de l'éducation prévoit que l'instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l'âge de trois ans et jusqu'à l'âge de seize ans. L'article L. 131-2 du même code dispose que cette instruction est donnée dans les établissements d'enseignement public ou privé. Par dérogation, cette instruction peut, dans certains cas limitativement énumérés à l'article L. 131-5 et sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant, être dispensée en famille par les parents ou par toute personne de leur choix sur autorisation délivrée par l'autorité de l'État compétente en matière d'éducation. En ce qui concerne plus particulièrement les dispositions du 4° de l'article L. 131-5 du code de l'éducation qui prévoient la délivrance par l'administration, à titre dérogatoire, d'une autorisation pour dispenser l'instruction dans la famille en raison de " l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif ", ces dispositions, telles qu'elles ont été interprétées par la décision n° 2021-823 DC du Conseil constitutionnel du 13 août 2021, impliquent que l'autorité administrative, saisie d'une telle demande, contrôle que cette demande expose de manière étayée la situation propre à cet enfant motivant, dans son intérêt, le projet d'instruction dans la famille et qu'il est justifié, d'une part, que le projet éducatif comporte les éléments essentiels de l'enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d'apprentissage de cet enfant, d'autre part, de la capacité des personnes chargées de l'instruction de l'enfant à lui permettre d'acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l'article L. 122-1-1 du code de l'éducation au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d'enseignement de la scolarité obligatoire.

4. La décision de refus d'instruction en famille du 12 juillet 2023 oppose l'absence de situation propre à Pandore motivant le projet éducatif. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, la loi ne prévoit aucune présomption de l'existence d'une telle situation propre en cas de demande d'instruction en famille et il appartient aux parents qui souhaitent y recourir d'exposer de manière étayée la situation propre à cet enfant motivant, dans son intérêt, l'instruction en famille par un projet éducatif spécifiquement adapté, de telle sorte que l'administration soit en mesure d'en apprécier l'existence de façon spécifique pour chaque demande. Ainsi, l'existence d'une situation propre à l'enfant au sens des dispositions du 4° de l'article L. 131-5 précité s'apprécie au regard des besoins particuliers de l'enfant concerné et n'est pas établie du seul fait de l'existence d'un projet éducatif. Il ressort des termes de la décision contestée que la commission de l'académie de Nancy-Metz a refusé d'accorder l'autorisation d'instruction en famille au motif de l'absence de situation propre à Pandore motivant le projet éducatif. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la commission de l'académie de Nancy-Metz aurait méconnu le sens et la portée des dispositions de l'article L. 131-5 du code de l'éducation et ainsi porté atteinte à l'autorité parentale de Mme C... et M. D... doit être écarté. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a écarté le moyen tiré de l'erreur de droit.

5. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que la demande d'instruction en famille présentée par Mme C... et M. D... est fondée sur le souhait émis par leur fille d'être instruite en famille, ainsi que sur ses besoins en termes de créativité et d'expressivité de son imagination. Ils font également valoir la nécessité de mettre leur enfant en confiance et de lui accorder une attention constante en raison de ses nombreuses peurs et angoisses, qui ont pour conséquence de lui provoquer un mal-être pouvant aboutir à des crises émotionnelles très fortes, ce que l'instruction en établissement d'enseignement aurait tendance à exacerber, de sorte que l'instruction en famille serait le mode d'instruction qui lui correspondrait le mieux. Toutefois, ces éléments ne suffisent pas à établir que l'instruction dans un établissement d'enseignement serait moins conforme à l'intérêt de Pandore que l'instruction dont elle bénéficierait en famille, eu égard notamment au travail effectué en milieu scolaire pour développer les compétences psychosociales des élèves et à la capacité des enseignants à apporter une attention particulière à chaque enfant. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que l'instruction en milieu scolaire l'empêcherait de mettre en œuvre sa créativité et son imagination. Ainsi, alors même que leur projet éducatif présenterait les éléments essentiels de l'enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d'apprentissage de leur fille, les éléments apportés par les requérants au soutien de leur demande d'autorisation d'instruction en famille ne permettent pas de caractériser de manière objective une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif au sens des dispositions du 4° de l'article L. 131-5 précité, justifiant une dérogation au principe de l'instruction scolaire dans un établissement d'enseignement public ou privé. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif de Strasbourg aurait commis une erreur d'appréciation quant à l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant un projet éducatif pour une instruction en famille doit être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3 1° de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

7. La décision contestée a pour seul objet et pour seul effet de refuser aux requérants l'autorisation d'instruire leur fille en famille, sans la priver de la possibilité de bénéficier d'une instruction au sein d'un établissement scolaire privé ou public. Eu égard à ce qui a été exposé au point 3, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'instruction en famille soit en l'espèce la forme d'instruction la plus conforme à l'intérêt supérieur de Pandore. Par suite, la commission de l'académie de Nancy-Metz n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'enfant, ni à celui de ses parents. Dans ces conditions, Mme C... et M. D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a écarté le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... et M. D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande. Leurs conclusions à fin d'injonction doivent par conséquent également être rejetées.

Sur les frais d'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C... et M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., à M. B... D... et à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Copie en sera transmise, pour information, au recteur de l'académie de Nancy-Metz.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- M. Michel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mai 2025.

La rapporteure,

Signé : L. GuidiLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

I. Legrand

2

N°24NC00277


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24NC00277
Date de la décision : 07/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Laurie GUIDI
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : SELAS NAUSICA

Origine de la décision
Date de l'import : 15/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-07;24nc00277 ?
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