Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E... et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision de la commission de l'académie de Nancy-Metz du 21 juin 2022 rejetant leur recours préalable contre la décision du 23 mai 2022 par laquelle le directeur académique des services de l'éducation nationale de Moselle a refusé de les autoriser à instruire en famille leur fils au titre de l'année scolaire 2022-2023, d'enjoindre au recteur de l'académie de Nancy-Metz de leur délivrer l'autorisation sollicitée dans un délai de dix jours francs à compter du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à leur verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2204468 du 22 mars 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision de la commission de l'académie de Nancy-Metz du 21 juin 2022, enjoint au recteur de l'académie de Nancy-Metz de délivrer à M. E... et Mme B... l'autorisation d'instruire en famille leur fils D... au titre de l'année scolaire 2022-2023 et mis une somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 23NC01549 le 17 mai 2023, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 mars 2023 ;
2°) de rejeter la demande de M. E... et Mme B....
Il soutient que :
- la circonstance qu'un autre enfant de la fratrie soit instruit à domicile ne caractérise pas une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif au sens de l'article L. 131-5 du code de l'éducation ;
- c'est à tort que le tribunal a refusé de faire droit à la demande de substitution de motif tirée de ce que le projet éducatif présenté par M. E... et Mme B... n'était pas suffisant ;
- aucun des moyens soulevés devant le tribunal administratif n'est fondé.
La requête a été communiquée à M. E... et Mme B... qui n'ont pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Guidi, présidente,
- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... et Mme B... ont sollicité, sur le fondement du 4° de l'article L. 131-5 du code de l'éducation et au titre de l'année scolaire 2022-2023, l'autorisation d'instruire en famille leur fils, né le 16 avril 2019. Le directeur académique des services de l'éducation nationale de Moselle a rejeté leur demande par une décision du 23 mai 2022, que la commission de l'académie de Nancy-Metz a confirmée le 21 juin 2022. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse relève appel du jugement du tribunal administratif de Strasbourg annulant la décision de la commission de l'académie de Nancy-Metz.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 131-5 du code de l'éducation : " Les personnes responsables d'un enfant soumis à l'obligation scolaire définie à l'article L. 131-1 doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé ou bien, à condition d'y avoir été autorisées par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, lui donner l'instruction en famille. (...) La présente obligation s'applique à compter de la rentrée scolaire de l'année civile où l'enfant atteint l'âge de trois ans. / L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant : (...) 4° L'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d'instruire l'enfant à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans ce cas, la demande d'autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif, l'engagement d'assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l'instruction en famille. (...) ".
3. D'une part, l'article L. 131-1 du code de l'éducation prévoit que l'instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l'âge de trois ans et jusqu'à l'âge de seize ans. L'article L. 131-2 du même code dispose que cette instruction est donnée dans les établissements d'enseignement public ou privé. Par dérogation, cette instruction peut, dans certains cas limitativement énumérés à l'article L. 131-5 et sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant, être dispensée en famille par les parents ou par toute personne de leur choix sur autorisation délivrée par l'autorité de l'État compétente en matière d'éducation. En ce qui concerne plus particulièrement les dispositions du 4° de l'article L. 131-5 du code de l'éducation qui prévoient la délivrance par l'administration, à titre dérogatoire, d'une autorisation pour dispenser l'instruction dans la famille en raison de " l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif ", ces dispositions, telles qu'elles ont été interprétées par la décision n° 2021-823 DC du Conseil constitutionnel du 13 août 2021, impliquent que l'autorité administrative, saisie d'une telle demande, contrôle que cette demande expose de manière étayée la situation propre à cet enfant motivant, dans son intérêt, le projet d'instruction dans la famille et qu'il est justifié, d'une part, que le projet éducatif comporte les éléments essentiels de l'enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d'apprentissage de cet enfant, d'autre part, de la capacité des personnes chargées de l'instruction de l'enfant à lui permettre d'acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l'article L. 122-1-1 du code de l'éducation au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d'enseignement de la scolarité obligatoire.
4. Pour refuser l'autorisation d'instruction en famille sollicitée par M. E... et Mme B... pour leur fils D... né le 16 avril 2019, la commission de l'académie de Nancy-Metz a estimé que les éléments de leur dossier de demande d'autorisation ne permettaient pas de justifier l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif au sens des dispositions du 4° de l'article L. 131-5 du code de l'éducation. En se bornant à faire valoir que la sœur aînée de leur fils, née en 2015, est régulièrement instruite dans leur famille depuis 2020, que les contrôles pédagogiques dont elle a fait l'objet en 2021 et 2022 ont été satisfaisants et que leur fils D... a " besoin d'un cadre extrêmement sécurisant pour développer tout son potentiel moteur et cognitif ", qu'il a " besoin de beaucoup de sommeil avec des siestes de qualité, dans sa propre chambre et non en dortoir ", M. E... et Mme B... n'établissent pas l'existence d'une situation propre à leur enfant motivant un projet éducatif justifiant une autorisation d'instruction en famille. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que le projet pédagogique proposé par M. E... et Mme B... consistant à avoir recours aux mêmes supports pédagogiques d'un organisme privé de cours par correspondance que ceux utilisés pour l'instruction en famille de leur fille ainée, en indiquant qu'ils sont de nature à convenir à tout enfant d'une classe de même âge ne répond pas à l'exigence d'un projet éducatif répondant à la situation propre D.... Par suite, le recteur de l'académie de Nancy-Metz est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu ce motif pour annuler la décision de la commission de l'académie de Nancy-Metz refusant une autorisation d'instruction en famille.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... et Mme B... à l'appui de leur demande d'annulation.
Sur la recevabilité de la demande :
6. L'article D. 131-11-10 du code de l'éducation : " Toute décision de refus d'autorisation d'instruction dans la famille peut être contestée dans un délai de quinze jours à compter de sa notification écrite par les personnes responsables de l'enfant auprès d'une commission présidée par le recteur d'académie ". L'article D. 131-11-13 du code de l'éducation : " La juridiction administrative ne peut être saisie qu'après mise en œuvre des dispositions de l'article D. 131-11-10 ".
7. En premier lieu, il résulte de ces dispositions que la décision de la commission de l'académie de Nancy-Metz du 21 juin 2022 est intervenue sur recours administratif préalable obligatoire. Elle s'est donc substituée à celle du directeur académique des services de l'éducation nationale de Moselle du 23 mai 2022.
8. D'une part, contrairement à ce que soutient le recteur, les requérants ont présenté dans leur requête et mémoires devant le tribunal administratif des conclusions tendant non seulement à l'annulation de la décision du directeur académique des services de l'éducation nationale de Moselle du 23 mai 2022, mais également à l'annulation de la décision de rejet du recours administratif préalable obligatoire qu'ils avaient formé contre cette décision.
9. D'autre part, s'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation d'une décision qui ne peut donner lieu à un recours devant le juge de l'excès de pouvoir qu'après l'exercice d'un recours administratif préalable et si le requérant indique, de sa propre initiative ou le cas échéant à la demande du juge, avoir exercé ce recours et, le cas échéant après que le juge l'y a invité, produit la preuve de l'exercice de ce recours ainsi que, s'il en a été pris une, la décision à laquelle il a donné lieu, le juge de l'excès de pouvoir doit regarder les conclusions dirigées formellement contre la décision initiale comme tendant à l'annulation de la décision, née de l'exercice du recours, qui s'y est substituée. Ainsi, les conclusions des requérants doivent être regardées comme tendant à l'annulation de la seule décision de la commission de l'académie de Nancy-Metz du 21 juin 2022.
Sur la légalité de la décision de la commission de l'académie de Nancy-Metz :
10. En premier lieu, la décision de la commission d'académie comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision, de manière suffisamment précise de telle sorte que les requérants soient en mesure d'en discuter utilement les motifs et révélant que la commission a procédé à un examen particulier de la situation de l'enfant. En particulier, la décision indique que les demandeurs n'ont pas établi " l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif ". Par suite le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article D. 131-11-11 du code de l'éducation : " La commission est présidée par le recteur d'académie ou son représentant. Elle comprend en outre quatre membres :1° Un inspecteur de l'éducation nationale ; 2° Un inspecteur d'académie-inspecteur pédagogique régional ;3° Un médecin de l'éducation nationale ;4° Un conseiller technique de service social. Ces membres sont nommés pour deux ans par le recteur d'académie. Des membres suppléants sont nommés dans les mêmes conditions que les membres titulaires ". Aux termes de l'article D. 131-11-12 du même code : " La commission siège valablement lorsque la majorité de ses membres sont présents. La commission rend sa décision à la majorité des membres présents. En cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante. La commission se réunit dans un délai d'un mois maximum à compter de la réception du recours administratif préalable obligatoire. La décision de la commission est notifiée dans un délai de cinq jours ouvrés à compter de la réunion de la commission ".
12. Il ressort des pièces du dossier que les membres de la commission de l'académie de Nancy-Metz ont été nommés par le recteur de l'académie par un arrêté du 8 juin 2022 conformément aux dispositions de l'article D. 131-11-11 du code de l'éducation et que la commission a examiné la situation D... le 15 juin 2022 dans une composition conforme à cet arrêté. Par suite, le moyen tiré de la composition irrégulière de la commission de l'académie de Nancy-Metz doit être écarté.
13. En troisième lieu, les requérants ne peuvent utilement soutenir que Mme B... a les capacités d'assurer l'instruction en famille de son fils D... dès lors que la décision contestée est fondée sur le seul motif tiré de l'absence de situation propre de l'enfant motivant le projet éducatif.
14. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de M. E... et Mme B... à fin d'annulation de la décision de l'académie de Nancy-Metz rejetant leur demande d'instruction en famille au titre de l'année scolaire 2022-2023 doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et celles relatives aux frais de l'instance.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 22 mars 2023 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : La demande de M. E... et Mme B... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., à Mme A... B... et à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Nancy-Metz.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Michel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mai 2025.
La rapporteure,
Signé : L. GuidiLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
I. Legrand
N° 23NC0154902