Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL SLJ société d'exploitation a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la collectivité européenne d'Alsace à lui verser, d'une part, la somme de 370 124 euros en réparation du préjudice découlant de la perte de marge constatée résultant de l'exécution des travaux dont elle était maîtresse d'ouvrage dans le cadre de la suppression du passage à niveau n° 20 à Molsheim, réalisés entre février et juin 2017, puis entre septembre 2018 et la fin de l'année 2019 et, d'autre part, la somme de 202 400 euros en réparation du préjudice découlant de la perte de clientèle.
Par un jugement n° 1904255 du 6 décembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 février 2022 et le 18 juillet 2023, la SARL SLJ société d'exploitation, représentée par Me Schneider de la SELARL Askea-Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1904255 du 6 décembre 2021 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de condamner la collectivité européenne d'Alsace à lui verser, d'une part, la somme de 370 124 euros en réparation du préjudice découlant de la perte de marge constatée résultant de l'exécution des travaux dont elle était maîtresse d'ouvrage dans le cadre de la suppression du passage à niveau n° 20 à Molsheim, réalisés entre février et juin 2017, puis entre septembre 2018 et la fin de l'année 2019 et, d'autre part, la somme de 202 400 euros en réparation du préjudice découlant de la perte de clientèle ;
3°) de mettre à la charge de la collectivité européenne d'Alsace la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les travaux de suppression du passage à niveau n° 20 à Molsheim entre 2017 et 2019 ont rendu excessivement difficile l'accès à son fonds de commerce, et elle a subi un préjudice grave et spécial ;
- elle est par suite fondée à engager la responsabilité sans faute de la collectivité européenne d'Alsace pour rupture d'égalité devant les charges publiques, pour les périodes pendant lesquelles elle était maître d'ouvrage ;
- son préjudice doit être évalué à 370 124 euros s'agissant des pertes de marges, et à 202 400 euros s'agissant de la perte de clientèle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2022, la collectivité européenne d'Alsace, représentée par Me Pernot, conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la mise à la charge de la SARL SLJ société d'exploitation d'une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lusset,
- les conclusions de M. Denizot, rapporteur public,
- et les observations de Me Pernot, pour la collectivité européenne d'Alsace.
Considérant ce qui suit :
1. La société SLJ exploite un fonds de commerce sous le nom de " A... ", magasin spécialisé en jardinerie et bricolage, située au 12 rue de Dachstein à Molsheim, aux environs d'un passage à niveau n° 20. Ce passage à niveau constitue l'intersection entre la ligne ferroviaire reliant Strasbourg à Saint-Dié-des-Vosges et la route départementale 2422 qui relie le centre-ville au quartier sud où se situent les principales zones d'activité. De février 2017 au 19 juin 2017, puis de septembre 2018 jusqu'à la fin de l'année 2019, le département du Bas-Rhin, devenu la collectivité européenne d'Alsace le 1er janvier 2021, a assuré la maîtrise d'ouvrage des travaux de voirie de l'opération de suppression du passage à niveau. Se plaignant d'avoir subi des préjudices en lien avec la fermeture de la circulation routière et des difficultés subséquentes d'accès à son commerce pendant les travaux, la société SLJ a adressé, par une lettre du 26 juin 2018, une demande indemnitaire au département du Bas-Rhin. Par une lettre du 9 avril 2019, la société PNAS Assurances a rejeté cette demande en qualité d'assureur du département du Bas-Rhin. La société SLJ fait appel du jugement du 6 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la collectivité européenne d'Alsace à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. La responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée, même sans faute, à raison des dommages que l'ouvrage public dont il a la garde peut causer aux tiers. Il appartient toutefois au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter, sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général. Si en principe, les modifications apportées à la circulation générale et résultant soit de changements effectués dans l'assiette, la direction ou l'aménagement des voies publiques, soit de la création de voies nouvelles, ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité, il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique
3. D'une part, s'agissant de la période comprise entre février et juin 2017, la société SLJ fait valoir que la route de Dachstein, qui dessert son fonds de commerce, a été à plusieurs reprises totalement fermée à la circulation, rendant impossible l'accès à celui-ci. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment des brochures officielles établies par le maitre d'ouvrage et remises à la société requérante dans le cadre des travaux, que la première phase de travaux, entre le 6 et le 27 février 2017, ont conduit uniquement à la neutralisation de la voie de droite de la route de Dachstein, et non à sa fermeture complète. Si la société soutient que la route aurait été, durant cette période, intégralement fermée à la circulation, ce qui est contesté en défense, la seule production de deux photographies ne permet pas de corroborer son allégation. En tout état de cause, à supposer même que cette route ait pu être totalement fermée à la circulation, il n'est ni établi ni même allégué que cette fermeture aurait duré plus de quelques jours. Par ailleurs, s'il est constant que cette route a ensuite été fermée dans les deux sens de circulation entre le 27 février et le 13 mars 2017, il résulte de l'instruction, et en particulier des brochures officielles précitées, mais aussi des photographies versées à l'instance, qu'au cours de cette période, l'accès au magasin " A... " ainsi qu'aux autres commerces situés à proximité a été spécifiquement maintenu.
4. D'autre part, s'agissant de la période comprise entre septembre 2018, correspondant à la reprise de la maîtrise d'ouvrage par le département du Bas-Rhin, et septembre 2019, date de réouverture de la circulation routière en dessous de la voie ferrée, il résulte de l'instruction, et en particulier des divers plans et schémas produits à l'instance, que si les travaux de suppression du passage à niveau n° 20 ont rendu impossible l'accès au magasin " A... " par la route départementale 2422, tant par le sud que par l'ouest, puis par la route de Dachstein en provenance du sud-ouest, un accès au commerce de la requérante a toutefois toujours été possible, même s'il a pu être plus long, aussi bien pour les automobilistes que pour les piétons qui pouvaient emprunter la route de Dachstein en provenance du nord-est. En outre, les photographies produites par la collectivité européenne d'Alsace attestent de la mise en place de panneaux directionnels de couleur jaune spécifiquement destinés à permettre aux automobilistes qui le souhaitaient de rejoindre les enseignes commerciales situées aux abords du chantier, dont le magasin A....
5. Enfin, en admettant même que les travaux ont pu conduire à une baisse de fréquentation du magasin et induire, comme l'allègue la requérante, une perte de marge, il résulte de l'instruction que les marges bénéficiaires de la société requérante étaient en baisse continue au moins depuis l'année 2014 avec une perte de 32 116 euros entre 2014 et 2015, et de 76 466 euros entre 2015 et 2016 et que son chiffre d'affaires diminuait de façon constante depuis l'année 2013.
6. Dans ces conditions, dès lors que les travaux de suppression du passage à niveau n° 20 n'ont pas été de nature à interdire, ni même à rendre excessivement difficile l'accès des clients au magasin de la requérante, le préjudice invoqué par la société SLJ n'a pas excédé les inconvénients que sont normalement tenus de supporter sans contrepartie les riverains de la voie publique et ne présente pas, par suite, un caractère anormal.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société SLJ n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la collectivité européenne d'Alsace à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des travaux de suppression du passage à niveau numéro 20.
Sur les frais liés au litige :
8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
9. D'une part, les dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la collectivité européenne d'Alsace, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
10. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société SLJ une somme au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société SLJ est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la collectivité européenne d'Alsace en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL SLJ société d'exploitation et à la collectivité européenne d'Alsace.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barteaux, président,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. Lusset
Le président,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au préfet du Bas-Rhin, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
N° 22NC00283 2