Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 15 décembre 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.
Par un jugement n° 2200915 du 4 avril 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 mai 2023 et des mémoires enregistrés les 25 et 26 mars 2024, la société par actions simplifiée (SAS) Reymann, représentée par Me Strohl, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de M. B... le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de l'inspectrice du travail était suffisamment motivée, notamment en ce qui concerne le contrôle de la procédure interne de licenciements collectifs ;
- la procédure de consultation du comité social et économique a été régulière au regard des articles L. 1233-8 et L. 1233-10 du code du travail, en particulier le secteur d'activité a bien été présenté, tandis que la situation de la société Precontact, dont l'activité est sans rapport avec la sienne, n'avait pas à être exposée ; c'est donc à tort que le jugement attaqué a estimé que l'information fournie au comité aurait été insuffisante ;
- les difficultés économiques, au sens du 1° de l'article L. 1233-3 du code du travail, sont établies tant à son niveau qu'au niveau du groupe auquel elle appartient ;
- elle a satisfait à ses obligations en matière de reclassement conformément à l'article L. 1233-4 du code du travail ;
- il n'existe aucun lien entre la mesure de licenciement et le mandat de M. B....
Par un mémoire en défense enregistré le 15 janvier 2024, M. A... B..., représenté par Me Michaud conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la SAS Reymann une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;
- l'autorisation de licenciement était insuffisamment motivée ;
- la procédure interne de licenciement n'a pas été respectée en l'absence d'informations relatives à la situation du groupe La Fonderie dans la note remise au comité social et économique, d'indications sur la situation financière de la société à la date du projet de licenciement et d'indications sur les conséquences des licenciements en matière de santé, sécurité ou de conditions de travail ;
- la réalité du motif économique des licenciements n'a pas été appréciée au niveau du secteur d'activité commun aux sociétés du groupe, en particulier avec la société Precontact, en méconnaissance de l'article L. 1233-3 du code du travail ;
- la société n'a pas respecté ses obligations en matière de reclassement en ce que les quatre postes proposés impliquaient une réorientation professionnelle complète ;
- les catégories ayant servi en définitive à déterminer l'ordre des licenciements, conduisant à la création de la catégorie des directeurs artistiques, n'ont pas été soumises au comité social et économique, ce qui établit le lien avec le mandat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Agnel ;
- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Michaud, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté par un contrat de travail à durée indéterminée du 7 mai 2007 par la société Reymann, ayant une activité d'agence de publicité, et occupait en dernier lieu l'emploi de directeur artistique. M. B... ayant été élu membre titulaire du comité social et économique, il bénéficiait de la protection contre les licenciements prévue par les articles L. 2411-1 et suivants du code du travail. Par lettre du 28 octobre 2021, la société Reymann a sollicité l'autorisation de licencier M. B... pour motif économique. Par décision du 15 décembre 2021, l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle Sud Bas-Rhin a autorisé ce licenciement. La SAS Reymann relève appel du jugement du 4 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette autorisation.
Sur les motifs d'annulation retenus par le jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 2411-5 du code du travail : " Le licenciement d'un membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique, titulaire ou suppléant ou d'un représentant syndical au comité social et économique, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail ". Aux termes de l'article L. 2421-3 du même code dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un membre élu à la délégation du personnel au comité social et économique titulaire ou suppléant ou d'un représentant syndical au comité social et économique ou d'un représentant de proximité est soumis au comité social et économique, qui donne un avis sur le projet de licenciement dans les conditions prévues à la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre III ". Aux termes de l'article 2312-39 du même code dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le comité social et économique est saisi en temps utile des projets de restructuration et de compression des effectifs ". Aux termes de l'article L. 2312-40 du même code dans sa rédaction applicable au présent litige : " Lorsque l'employeur envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique, le comité social et économique est consulté dans les conditions prévues par le titre III du livre II de la première partie du présent code ". Aux termes de l'article L. 1233-3 du même code : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :/ 1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés./ Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :/ a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés (...)/ La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise./ Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude./ (...) Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché ". Aux termes de l'article L. 1233-8 du même code dans sa rédaction applicable au présent litige : " L'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours réunit et consulte le comité social et économique dans les entreprises d'au moins onze salariés, dans les conditions prévues par la présente sous-section ". Aux termes de l'article L. 1233-10 du même code dans sa rédaction applicable au présent litige : " L'employeur adresse aux représentants du personnel, avec la convocation à la réunion prévue à l'article L. 1233-8, tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif./ Il indique :/ 1° La ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet de licenciement ;/ 2° Le nombre de licenciements envisagé ;/ 3° Les catégories professionnelles concernées et les critères proposés pour l'ordre des licenciements ;/ 4° Le nombre de salariés, permanents ou non, employés dans l'établissement ;/ 5° Le calendrier prévisionnel des licenciements ;/6° Les mesures de nature économique envisagées ;/7° Le cas échéant, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail ".
3. Lorsqu'une institution représentative du personnel doit être consultée préalablement à la demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, il appartient à l'employeur de mettre cette instance à même d'émettre son avis en toute connaissance de cause. A cette fin, il doit lui transmettre, notamment à l'occasion de la communication aux membres de l'institution de l'ordre du jour de la réunion en cause, des informations précises et écrites sur l'identité du salarié, sur l'intégralité des mandats détenus par ce dernier ainsi que sur les motifs du licenciement envisagé et sur l'ensemble des éléments dont l'instance doit obligatoirement être saisie. Il appartient à l'administration d'apprécier si l'avis de l'institution représentative du personnel a été régulièrement émis, et notamment si elle a disposé des informations lui permettant de se prononcer en toute connaissance de cause. A défaut, elle ne peut légalement accorder l'autorisation demandée.
4. Il ressort des pièces du dossier que la société Reymann a établi un projet de licenciement collectif comportant sept suppressions d'emplois et a saisi pour avis le comité social économique dans les conditions prévues par les dispositions ci-dessus reproduites des articles L. 1233-8 et L. 1233-10 du code du travail par une lettre de convocation du 8 septembre 2021. Cette lettre de saisine du comité était accompagnée d'une note d'information ayant pour objet les éléments énumérés à l'article L. 1233-10. Lors de sa séance du 13 septembre 2021, le comité social et économique a émis un avis favorable au projet de licenciement collectif. M. B... étant concerné par ce projet, l'employeur a saisi pour avis le comité social et économique, conformément aux dispositions ci-dessus reproduites de l'article L. 2421-3 du code du travail, par lettre du 15 octobre 2021. Dans sa séance du 21 octobre 2021, le comité social et économique de la société Reymann a émis un avis favorable au licenciement pour motif économique de M. B....
5. Il ressort des pièces du dossier que la lettre de convocation des membres du comité économique et social du 15 octobre 2021, en vue de sa réunion du 21 octobre suivant, comportait les informations précises et écrites sur l'identité de M. B..., son âge, son ancienneté dans l'entreprise, sur l'intégralité des mandats détenus par ce dernier ainsi que sur les motifs du licenciement envisagé. Cette convocation était accompagnée de la note d'information qui avait déjà été communiquée à l'instance représentative à l'occasion de sa précédente réunion du 13 septembre 2021. Il ressort de cette note d'information que le secteur d'activité de la société Reymann y était nettement précisé ainsi que les éléments relatifs à sa situation économique et financière à la date du projet de licenciement, accompagnés des perspectives d'évolution pour l'année suivante. La situation économique et financière du groupe de sociétés auquel appartient la société Reymann ainsi que ses perspectives d'évolution étaient également évoquées dans cette note. Il ressort toutefois de ces documents qu'aucune information n'a été délivrée concernant les difficultés économiques de la société Precontact, appartenant également au groupe " La Fonderie ". Si la société requérante soutient que cette société Precontact est une société spécialisée dans le conseil en ressources humaines, il ressort de ses propres écritures ainsi que des pièces du dossier, que cette société est en réalité une agence de communication, certes spécialisée en matière de ressources humaines, notamment dans la communication en matière de recrutement, relevant du même secteur d'activités que la société Reymann, au sens des dispositions ci-dessus reproduites, ainsi que l'avait pourtant relevé l'inspectrice du travail dans la décision attaquée. Dans ces conditions, les informations délivrées au comité économique et social auraient dû porter à la fois sur la situation de la société requérante et sur celle de la société Precontact. Il résulte des éléments qui précèdent que le comité économique et social de la société Reymann, s'étant prononcé le 21 octobre 2021 sur le licenciement économique de M. B..., n'a pu disposer des informations relatives à la situation économique du groupe de sociétés auquel appartient la société Reymann et n'a donc pu émettre son avis en connaissance de cause.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner le motif surabondant également retenu par les premiers juges, relatif à l'insuffisante motivation de la décision attaquée, que la société Reymann n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à la demande de M. B....
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à la société Reymann une somme au titre des frais exposés par elle. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Reymann la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. B... dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Reymann est rejetée.
Article 2 : La société Reymann versera à M. B... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Reymann, à M. A... B... et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 20 mars 2025, à laquelle siégeaient :
M. Agnel, président de chambre,
Mme Stenger, première conseillère,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 avril 2025.
Le président rapporteur,
Signé : M. AgnelL'assesseure la plus ancienne,
Signé : L. Stenger
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 23NC01578 2