La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/04/2025 | FRANCE | N°22NC02867

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 24 avril 2025, 22NC02867


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société à responsabilité limitée (SARL) Eco NRJ a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des majorations correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2015 et 2016.



Par un jugement no 2102428 du 19 septembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a, d'une part, constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions

tendant à obtenir le sursis de paiement et, d'autre part, a rejeté le surplus de sa demande.



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Eco NRJ a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des majorations correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2015 et 2016.

Par un jugement no 2102428 du 19 septembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a, d'une part, constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à obtenir le sursis de paiement et, d'autre part, a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 novembre 2022, la société Eco NRJ, représentée par Me de Beaumont, doit être regardée comme demandant à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de sa demande ;

2°) de prononcer la décharge des impositions et majorations contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les factures émises par la société Eco NRJ Lux correspondent à des prestations substantielles accomplies par M. A... au Luxembourg pour le compte de la société Eco NRJ et présentent une contrepartie réelle pour elle ;

- en l'absence d'intention d'éluder l'impôt, c'est à tort que l'administration fiscale a mis à sa charge les pénalités pour manquement délibéré.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brodier,

- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Eco NRJ exerce une activité d'installation d'équipements thermiques et de climatisation. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er juillet 2014 au 30 juin 2017. Par une proposition de rectification du 13 décembre 2018, le service a, dans le cadre de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, procédé, d'une part, à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et, d'autre part, à la réintégration dans les bénéfices de la société des charges à hauteur de 78 000 euros au titre de l'exercice clos le 30 juin 2015 et de 26 000 euros au titre de l'exercice clos le 30 juin 2016. Le service a maintenu l'intégralité des rehaussements pratiqués en matière d'impôt sur les sociétés dans sa réponse du 19 février 2019 aux observations présentées par la société Eco NRJ ainsi que dans la décision du 24 avril 2019 rejetant le recours hiérarchique et la décision du 12 novembre 2019 prise à l'issue de l'interlocution interrégionale. Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et les majorations correspondantes ont été mises en recouvrement le 28 février 2020. La réclamation préalable formée par la société a été rejetée par une décision du 5 février 2021. La société Eco NRJ relève appel du jugement du 19 septembre 2022 en tant que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et majorations.

Sur le bien-fondé des impositions :

2. D'une part, aux termes de l'article 38 du code général des impôts, dont les dispositions sont applicables à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés ". Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main d'œuvre (...). / Toutefois les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu. Cette disposition s'applique à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements de frais ".

3. En vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. En ce qui concerne les charges, le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

4. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.

5. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.

6. La conclusion par une société d'une convention de prestations de services avec une autre société pour la réalisation, par le dirigeant de la première, de missions relevant des fonctions inhérentes à celles qui lui sont normalement dévolues ne relève pas d'une gestion commerciale anormale si cette société établit que ses organes sociaux compétents ont entendu en réalité, par le versement des honoraires correspondant à ces prestations, rémunérer indirectement le dirigeant et qu'ainsi ce versement n'est pas dépourvu pour elle de contrepartie, le choix d'un mode de rémunération indirect ne caractérisant pas en lui-même un appauvrissement à des fins étrangères à son intérêt.

7. Il résulte de l'instruction que l'administration a réintégré dans les bénéfices imposables de la société Eco NRJ des frais de prestations d'assistance facturés par la société Eco NRJ Lux à hauteur de 6 500 euros par mois selon des factures portant la seule mention de " forfait diverses prestations ". La société a produit, au stade de son recours hiérarchique, un " contrat commercial " signé le 3 mars 2014 entre les deux sociétés, prévoyant que la société Eco NRJ Lux s'engageait à réaliser des missions d'assistance commerciale, de gestion, technique et consulting en sa faveur. L'administration fiscale a considéré qu'outre le libellé imprécis des factures, les charges déduites n'étaient justifiées ni dans leur principe ni dans leur montant, en l'absence de tout élément établissant la réalité des prestations qui auraient été effectuées au profit de la société vérifiée par le personnel de la société Eco NRJ Lux, qu'il s'agisse de son directeur commercial comme indiqué au cours des opérations de contrôle ou bien de son gérant comme soutenu dans les observations faisant suite à la proposition de rectification, gérant qui s'avère être également celui de la société requérante.

8. La société requérante soutient que les commissions qu'elle versait à la société Eco NRJ Lux au titre des commandes que celle-ci obtenait pour elle, et dont la déductibilité n'a pas été remise en cause par l'administration, n'étaient pas suffisantes pour couvrir notamment les frais fixes de location de stands ainsi que les frais de gestion correspondant au travail effectué par son gérant. Alors que les factures en sa possession ne comportent aucun détail des prestations, la société requérante ne produit toutefois aucun élément permettant d'établir la matérialité, dans son principe et dans son montant, des prestations qui auraient été assurées à son profit dans le cadre des démarches de prospection de la société luxembourgeoise au Luxembourg et qui n'auraient pas déjà été valorisées par le paiement des commissions. Il n'est pas non plus établi, dans son principe et dans son ampleur, que la société requérante aurait davantage bénéficié des retombées des démarches réalisées au Luxembourg par la société Eco NRJ Lux que cette dernière. Enfin, si l'absence de versement, par la société Eco NRJ d'une rémunération à son gérant ne constitue pas une décision de gestion faisant obstacle à la rémunération de ce même dirigeant au cours du même exercice par l'intermédiaire d'une autre société, la société requérante ne produit toutefois aucune décision de ses organes sociaux compétents permettant de considérer qu'en versant des honoraires de 6 500 euros par mois à la société Eco NRJ Lux, elle aurait entendu rémunérer indirectement son dirigeant pour la réalisation des prestations qui relèvent des fonctions inhérentes à celles qui lui sont normalement dévolues. Par suite, ayant rapporté la preuve du caractère non déductible de ces dépenses, c'est à juste titre que le service les a réintégrées dans les bénéfices imposables de la société Eco NRJ.

Sur les pénalités :

9. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...), la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ". La majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts sanctionne la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir le manquement délibéré, l'administration fiscale doit apporter la preuve de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations du contribuable, et de son intention délibérée d'éluder l'impôt.

10. Afin de justifier l'application de la pénalité pour manquement délibéré à raison des charges déduites à tort, l'administration a retenu que la société requérante n'avait pas justifié dans leur principe et leur montant les frais de prestation d'assistance que la société Eco NRJ Lux lui facturait ni établi son intérêt à prendre en charge ces coûts forfaitaires. Par ailleurs, au regard du montant significatif des prestations facturées chaque mois au cours de la période vérifiée et de la communauté d'intérêts entre les deux sociétés dirigées par le même gérant, l'administration établit l'intention délibérée de la société d'éluder l'impôt en majorant ses charges. La circonstance que le contrat commercial signé entre les deux sociétés ne serait pas fictif, que les salaires versés à son gérant par la société Eco NRJ Lux ont été imposés en France et que le résultat fiscal de la société Eco NRJ est demeuré bénéficiaire est sans incidence sur cette qualification. Par suite, c'est à juste titre que l'administration a assorti les rectifications procédant de la remise en cause des charges déduites du résultat de la majoration de 40 % pour manquement délibéré.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Eco NRJ n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Eco NRJ est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Eco NRJ et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 20 mars 2025, à laquelle siégeaient :

M. Agnel, président,

Mme Stenger, première conseillère,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 avril 2025.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : M. Agnel

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

No 22NC02867


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02867
Date de la décision : 24/04/2025
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : DE BEAUMONT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-24;22nc02867 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award