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20/03/2025 | FRANCE | N°22NC01518

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 20 mars 2025, 22NC01518


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, principalement, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 277 257 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité pour faute des services fiscaux ou, subsidiairement, de lui restituer une somme de 257 257 euros sur le fondement d'un enrichissement sans cause de l'Etat.



Par un jugement n° 2000412 du 3 mai 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cet

te demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 14 j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, principalement, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 277 257 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité pour faute des services fiscaux ou, subsidiairement, de lui restituer une somme de 257 257 euros sur le fondement d'un enrichissement sans cause de l'Etat.

Par un jugement n° 2000412 du 3 mai 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 juin 2022 et un mémoire enregistré le 9 décembre 2024, M. B..., représenté par Me Niango, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) principalement, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 277 257 euros, à défaut une somme de 180 700,20 euros, à titre de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité pour faute des services fiscaux ou, subsidiairement, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 257 257 euros sur le fondement d'un enrichissement sans cause de l'Etat ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que son mémoire du 5 avril 2022 n'a pas été visé et qu'il n'a pas été répondu aux conclusions et moyens qu'il contenait, en particulier les moyens relatifs à la faute résultant du cumul des sanctions fiscales et pénales ainsi qu'aux conséquences à tirer de la solidarité entre lui-même et l'EURL Haziel ; le jugement a ainsi été rendu en méconnaissance des articles L. 9 et R. 742-2 du code de justice administrative ;

- en sa qualité de gérant et associé unique de l'Eurl Haziel, il a été solidairement tenu des impositions et pénalités en application de l'article 1745 du code général des impôts et a ainsi été condamné pénalement pour escroquerie sur le fondement de ces dispositions ; c'est donc à tort que l'administration et le jugement attaqué estiment que lui-même et la société formeraient deux personnalités juridiques distinctes ;

- l'Etat ayant été indemnisé par le juge pénal de son préjudice résultant des remboursements indus de crédits de taxe sur la valeur ajoutée, dommages et intérêts qu'il a personnellement réglés en vertu du principe de solidarité, et l'Etat ayant rappelé cette même taxe sur la valeur ajoutée, dont il s'est également acquitté, celui-ci a donc été doublement indemnisé du même préjudice, ce qui méconnaît le principe de réparation intégrale des préjudices subis ; en mettant en recouvrement le rappel de taxe sur la valeur ajoutée litigieux, à tout le moins en refusant d'en arrêter le recouvrement, alors que le juge pénal venait de l'indemniser de cette taxe, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- en encaissant deux fois le montant de la taxe sur la valeur ajoutée rappelée, l'Etat a profité d'un enrichissement sans cause tandis qu'il s'est lui-même appauvri ; l'Etat est donc tenu de l'indemniser de cet appauvrissement ;

- le cumul des sanctions fiscales et pénales est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; en refusant d'abroger l'avis de mise en recouvrement de la taxe sur la valeur ajoutée, l'Etat a méconnu l'article L. 241-1 du code des relations entre le public et l'administration ; en l'occurrence, l'Etat devra lui restituer le trop-perçu de sanction qui est égale à 160 700,20 euros ;

- son préjudice moral justifie une indemnisation de 20 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 janvier 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Agnel ;

- et les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... était le gérant et associé unique de l'EURL Haziel, ayant pour activité la location meublée d'une villa située à Gordes (Vaucluse), acquise le 30 juin 2006, sur les bénéfices de laquelle il était imposé dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. L'EURL Haziel a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2007 à l'issue de laquelle l'administration a, notamment, remis en cause les crédits de taxe sur la valeur ajoutée dont la société avait bénéficié après avoir estimé que les loyers versés par les locataires étaient exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement du 4° de l'article 261 D du code général des impôts, exonération ayant pour effet d'exclure tout droit à déduction de la taxe ayant grevé les dépenses exposées par le bailleur. Les droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée, comprenant les crédits de taxe qui avaient été versés à la société pour la somme de 257 257 euros, ont été mis en recouvrement pour la somme de 263 603 euros et ont été assortis de la pénalité pour manœuvre frauduleuse prévue par l'article 1729 du code général des impôts. La régularité et le bien-fondé de ces rappels ont été confirmés par un arrêt de cette cour n° 15NC00198 du 3 mars 2016, devenu définitif, confirmant un jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 27 novembre 2014 ayant rejeté les conclusions de la société tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et ayant substitué la pénalité pour manquement délibéré à celle pour manœuvre frauduleuse. Il n'est pas contesté que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et les majorations correspondantes ont été payés en totalité par la société Haziel le 31 août 2017. Parallèlement, M. B... a été condamné par arrêt du 9 octobre 2013 de la Cour d'appel de Metz, pour le délit d'escroquerie à une peine de dix mois d'emprisonnement avec sursis outre 20 000 euros d'amende et à payer à l'Etat la somme de 257 257 euros à titre de dommages et intérêts " en réparation du préjudice subi par le Trésor Public, calculé sur la base des demandes de remboursement souscrites par lui pour le compte de l'EURL Haziel ". Cet arrêt est devenu définitif à la suite du rejet du pourvoi en cassation formé par M. B... par arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 11 mars 2015. M. B... s'est acquitté de l'amende au mois de décembre 2016 et des dommages et intérêts le 6 septembre 2017. M. B... relève appel du jugement du 3 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort du jugement attaqué que si le mémoire du 5 avril 2002 a bien été visé, le moyen soulevé par M. B..., consistant à invoquer le principe non bis in idem prohibant le cumul des sanctions fiscales et pénales à raison des mêmes faits, n'a pas été analysé tandis qu'il n'y a pas été répondu dans les motifs de la décision. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que le jugement est irrégulier pour avoir été rendu en méconnaissance des articles L. 9 et R. 742-2 du code de justice administrative.

3. Il y a lieu pour cette cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :

4. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie. Le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit, soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition. Enfin l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.

5. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 1 ci-dessus que les impositions et pénalités assignées à l'EURL Haziel sont légales. Par suite, elles ne sauraient être regardées comme fautives. Contrairement à ce que soutient M. B..., les rappels de taxe sur la valeur ajoutée dus par l'EURL Haziel constituent la créance d'impôt de l'Etat et n'ont pas pour objet d'indemniser ce dernier d'un quelconque préjudice. Dès lors, les droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée et les majorations correspondantes ne sauraient être regardés comme faisant double emploi avec le montant des dommages et intérêts versés à l'Etat en tant que partie civile dans l'instance pénale susmentionnée et mis à la charge de M. B..., et ce même en admettant que ce dernier, qui n'a pas été recherché comme tiers solidaire, aurait personnellement fait l'avance à la société Haziel des sommes pour lui permettre de s'acquitter des rappels de taxe. M. B... n'est pas davantage fondé à soutenir que sa condamnation à des dommages et intérêts aurait eu pour effet de rendre illégales les impositions et majorations mises à la charge de la société Haziel. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'Etat aurait commis une faute en poursuivant le recouvrement des sommes mises à la charge de la société Haziel postérieurement au paiement des dommages et intérêts assignés à M. B... par le tribunal correctionnel.

6. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus au point 1, que la pénalité de 40 % pour manquement délibéré visée à l'article 1729 du code général des impôts a été infligée à l'EURL Haziel en majoration des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge tandis que M. B... a été condamné à une amende de 20 000 euros pour escroquerie à la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement de l'article 313-1 du code pénal. S'agissant de deux personnes distinctes, il n'a existé, en tout état de cause, aucun cumul entre ces deux sanctions. Par suite et en tout état de cause, M. B... n'est pas fondé à soutenir que les services fiscaux auraient commis une faute en maintenant à la charge de la société Haziel la pénalité pour manquement délibéré en méconnaissance de la règle non bis in idem telle qu'elle découle des réserves d'interprétation dont le Conseil constitutionnel a assorti, notamment, sa décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018 en cas de cumul de sanctions fiscales et pénales.

Sur l'existence d'un enrichissement sans cause de l'Etat :

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 1 que le paiement par M. B... à l'Etat de la somme de 257 257 euros à titre de dommages et intérêts trouve son fondement dans l'arrêt de la Cour d'appel de Metz du 9 octobre 2013. Dès lors, ce paiement n'est pas dépourvu de cause. De la même manière, le versement par la société Haziel à l'Etat de la somme de 263 603 euros ne saurait être regardé comme dépourvu de cause dès lors que la légalité de ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée a été établie de manière définitive à la suite de l'arrêt de cette cour du 3 mars 2016. Par suite, en admettant même que M. B... a avancé à la société Haziel le montant de ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi que les majorations correspondantes, il n'est pas fondé à soutenir que l'Etat se serait enrichi sans cause, ni d'ailleurs qu'il se serait lui-même appauvri, les avances ainsi faites à la société Haziel ayant eu pour effet de faire entrer dans son patrimoine une créance d'égal montant à l'égard de cette société.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser des sommes à titre de dommages et intérêts. Par suite, sa demande doit être rejetée en toutes ses conclusions.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. La demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif étant rejetée, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas la partie perdante, lui verse une somme sur ce fondement.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 2000412 du 3 mai 2022 est annulé.

Article 2 : La demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. B... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 27 février 2025, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Stenger, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mars 2025.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 22NC01518 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01518
Date de la décision : 20/03/2025
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : NIANGO

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-20;22nc01518 ?
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