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18/03/2025 | FRANCE | N°24NC00149

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 18 mars 2025, 24NC00149


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 5 septembre 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, laquelle obligation fixe le pays de destination en cas de reconduite d'office à l'issue de ce délai.



Par un jugement n° 2302906 du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Na

ncy a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 5 septembre 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, laquelle obligation fixe le pays de destination en cas de reconduite d'office à l'issue de ce délai.

Par un jugement n° 2302906 du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2024, Mme A... B..., représentée par Me Lemonnier, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du 19 décembre 2023 ;

3°) de faire droit aux conclusions aux fins d'annulation et d'injonction de sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de titre de séjour n'est pas suffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des articles L. 422-1 et L. 433-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet n'a pas examiné la possibilité de faire usage de son pouvoir discrétionnaire et, s'estimant en situation de compétence liée, a méconnu l'étendue de sa compétence ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français et celle fixant le pays de destination ne sont pas suffisamment motivées ;

- elles sont illégales en conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2025, la préfète de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi, fait à Rabat le 9 octobre 1987 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Durup de Baleine,

- et les observations de Me Lemonnier, avocate de Mme B..., en présence de cette dernière.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., ressortissante marocaine née en 1997, est entrée sur le territoire français le 24 août 2021, munie d'un passeport en cours de validité revêtu d'un visa de long séjour portant la mention " étudiant ", à entrées multiples valable du 1er août 2021 au 1er août 2022, délivré le 26 juillet 2021 par l'autorité consulaire française à Rabat et valant carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant ". Elle en a demandé le renouvellement. Par un arrêté du 16 février 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle le lui avait refusé et avait assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Cet arrêté a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Nancy du 18 août 2023, qui a enjoint au préfet de réexaminer la demande de Mme B... et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour. Mme B... a été mise en possession d'une autorisation provisoire de séjour, valable du 23 août au 23 octobre 2023. Par un arrêté du 5 septembre 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de l'admettre au séjour et assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, laquelle obligation fixe le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office à l'issue de ce délai. Mme B... relève appel du jugement du 19 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande dirigée contre cet arrêté du 5 septembre 2023. Ayant été admise en cours d'instance et le 21 mars 2024 au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, sa demande d'aide juridictionnelle provisoire est sans objet.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui établit qu'il suit un enseignement en France ou qu'il y fait des études et qui justifie disposer de moyens d'existence suffisants se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " d'une durée inférieure ou égale à un an. / (...) / Cette carte donne droit à l'exercice, à titre accessoire, d'une activité professionnelle salariée dans la limite de 60 % de la durée de travail annuelle. ". Aux termes de l'article L. 433-1 du même code : " A l'exception de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention " salarié détaché ICT ", prévue à l'article L. 421-26, et de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention " recherche d'emploi ou création d'entreprise ", prévue à l'article L. 422-10, qui ne sont pas renouvelables, le renouvellement de la carte de séjour temporaire ou pluriannuelle est subordonné à la preuve par le ressortissant étranger qu'il continue de remplir les conditions requises pour la délivrance de cette carte. / L'autorité administrative peut procéder aux vérifications utiles pour s'assurer du maintien du droit au séjour de l'intéressé et, à cette fin, convoquer celui-ci à un ou plusieurs entretiens. ". Aux termes de l'article R. 433-2 de ce code : " L'étranger déjà admis à résider en France qui sollicite le renouvellement d'une carte de séjour pluriannuelle présente à l'appui de sa demande les pièces prévues pour une première délivrance de la carte de séjour temporaire correspondant au motif de séjour de la carte de séjour pluriannuelle dont il est détenteur et justifiant qu'il continue de satisfaire aux conditions requises pour celle-ci ainsi, le cas échéant, que les pièces particulières requises à l'occasion du renouvellement du titre conformément à la liste fixée par arrêté annexé au présent code. / (...) ". Pour l'application de ces dispositions, il appartient à l'administration, saisie d'une demande de renouvellement d'une carte de séjour présentée en qualité d'étudiante, de rechercher, à partir de l'ensemble du dossier, si l'intéressée peut être raisonnablement regardée comme poursuivant effectivement ses études, en tenant compte de l'assiduité, de la progression et de la cohérence du cursus suivi.

3. Pour refuser de renouveler le visa de long séjour, valant carte de séjour temporaire, dont Mme B... était titulaire en qualité d'étudiante, le préfet de Meurthe-et-Moselle a considéré, tout d'abord, que la condition tenant au caractère réel et sérieux des études n'est pas respectée.

4. Il ressort des pièces du dossier que, pendant l'année universitaire 2021/2022, Mme B... était inscrite en troisième année de licence professionnelle " métiers des ressources naturelles et de la forêt " à l'université de Limoges. Il résulte de l'instruction que Mme B... justifie, par la présentation d'une attestation de réussite du 15 septembre 2022, qu'elle a obtenu ce diplôme de licence professionnelle.

5. Pour l'année 2022/2023, Mme B... s'est inscrite en première année de mastère européen " management et stratégie d'entreprise " auprès d'un établissement privé d'enseignement à distance de Roubaix. Si cette circonstance constitue une réorientation, elle fait suite à l'obtention de ce diplôme de licence professionnelle, mais non à un échec dans le déroulement des études. En outre, une telle qualification en " management et stratégie d'entreprise " n'apparaît pas inappropriée s'agissant d'entreprises ayant pour domaines d'activité l'exploitation ou la valorisation de ressources naturelles, la gestion ou l'exploitation de la forêt ou l'aménagement paysager, arboré ou forestier et il ressort du dossier qu'avant sa venue en France, Mme B... a, au Maroc, effectué des stages ou travaillé dans des entreprises relevant de tels secteurs d'activité. Cette réorientation n'est donc pas incohérente avec la première année d'études supérieures menée par l'intéressée en France.

6. Les certificats de scolarité émanant de cet établissement privé d'enseignement à distance font mention d'une formation d'une durée de 1200 heures " selon la voie de formation continue ", ou " en formation en alternance " si l'étudiante trouve une entreprise, ou avec réalisation d'un stage de 420 heures, soit d'une durée de douze semaines. Si la formation théorique dispensée par cet établissement est entièrement à distance et ne nécessite pas une présence sur un territoire déterminé, notamment pas le territoire français, il en va, toutefois, différemment de la formation pratique, dont il ne ressort pas du dossier qu'elle pourrait être également assurée à distance. Si Mme B..., qui a passé une session d'examen en juin 2023 portant sur cinq matières, fait valoir avoir passé cette session d'examen en présentiel, elle n'en justifie pas. Néanmoins, il ressort du document du 21 août 2023 qu'elle présente qu'elle a réussi cette session d'examen de juin 2023. Elle s'est à nouveau inscrite, pour l'année 2023/2024, dans cette première année de mastère, qui peut être étalée sur deux années successives, pour une formation de 455 heures " selon la voie de formation continue ". Cette durée de formation de 455 heures correspond à la formation pratique nécessaire à l'obtention de la première année de ce mastère. Or, si Mme B... n'a pas effectué cette formation pratique au cours de l'année 2022/2023, elle ne pouvait plus justifier d'un séjour régulier en France entre le 16 février et le 23 août 2023 et se trouvait, pendant cette période correspondant à la majorité de la durée de l'année universitaire 2022/2023, du fait de ce séjour irrégulier, dans l'impossibilité d'entreprendre ladite formation pratique, que ce soit au moyen d'un contrat d'apprentissage ou d'un stage ou selon une autre modalité, auprès d'un employeur, public ou privé. Compte tenu de cette circonstance, le constat qu'elle n'a pas obtenu cette première année de mastère dès la fin de l'année 2022/2023 n'est pas propre à caractériser une absence de caractère réel et sérieux des études.

7. Il résulte de ce qui précède que le déroulement des études de Mme B... en France comporte ainsi l'obtention d'un diplôme universitaire à l'issue de l'année 2021/2022, une réorientation pour obtenir une qualification professionnelle qui n'est pas directement dans la suite de ce diplôme mais qui n'est pas non plus en inadéquation avec ce dernier, l'obtention de la première partie, théorique, de la première année de cette qualification à l'issue de l'année 2022/2023, tandis que la situation de séjour de l'intéressée du 16 février au 23 août 2023 ne permettait pas de mener à bien la seconde partie, pratique, de cette première année. L'intéressée, cette fois munie de l'autorisation provisoire de séjour délivrée le 23 août 2023, s'est inscrite dans la même première année en 2023/2024, pour assurer cette seconde partie, ce qui est cohérent avec le déroulement de l'année 2022/2023. Dès lors, Mme B... est fondée à soutenir qu'en estimant qu'elle ne justifie pas du caractère réel et sérieux des études, le préfet de Meurthe-et-Moselle s'est livré à une inexacte application des dispositions rappelées au point 2 ci-dessus.

8. Pour refuser de renouveler le visa de long séjour, valant carte de séjour temporaire, dont Mme B... était titulaire en qualité d'étudiante, le préfet de Meurthe-et-Moselle a également considéré qu'elle ne justifie pas de ressources suffisantes. Toutefois, Mme B... justifie, par la présentation d'une attestation de la banque marocaine dont elle est la cliente en date du 9 janvier 2023, qu'elle dispose mensuellement au moins de la somme de 615 euros mentionnée à l'annexe 10 au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il en résulte que ce second motif de refus de renouvellement du titre de séjour est erroné.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Il y a lieu d'annuler l'arrêté du 5 septembre 2023 et d'enjoindre à la préfète de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant ", ainsi que de la munir, sans délai dès cette notification, d'une autorisation provisoire de séjour, l'autorisant à exercer une activité professionnelle salariée dans la limite de 60 % de la durée de travail annuelle, conformément aux dispositions combinées des derniers alinéas des articles L. 422-1 et R. 431-15-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur les frais liés au litige :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 en mettant à ce titre à la charge de l'Etat le versement à Me Lemonnier de la somme de 1 500 euros, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy n° 2302906 du 19 décembre 2023 et l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 5 septembre 2023 sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète de Meurthe-et-Moselle de délivrer à Mme B... une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir, sans délai et dès cette notification, d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à exercer une activité professionnelle salariée dans la limite de 60 % de la durée de travail annuelle.

Article 4 : L'Etat versera à Me Lemonnier la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve de la renonciation de cette avocate à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par Mme B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Odile Lemonnier.

Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle ainsi que, conformément à l'article R. 751-11 du code de justice administrative, au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nancy.

Délibéré après l'audience du 25 février 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Durup de Baleine, président,

- M. Barlerin, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2025.

Le président-rapporteur,

A. Durup de BaleineL'assesseur le plus ancien

dans l'ordre du tableau,

A. Barlerin

Le greffier,

A. Betti

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

A. Betti

2

N° 24NC00149


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC00149
Date de la décision : 18/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DURUP DE BALEINE
Rapporteur ?: M. Antoine DURUP DE BALEINE
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET
Avocat(s) : LEMONNIER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-18;24nc00149 ?
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