Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL VD3E a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge de l'amende mise à sa charge, à hauteur de 29 045 euros, sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts pour absence de désignation du bénéficiaire des revenus distribués au cours de l'exercice clos le 30 septembre 2016.
Par un jugement no 1900829 du 27 janvier 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 25 mars 2022 et 5 septembre 2024, la SARL VD3E, représentée par Me Kretz, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande de décharge de l'amende mise à sa charge sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts ;
2°) de prononcer la décharge de cette amende ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- les premiers juges se sont, à tort, estimé saisis d'une demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos le 30 septembre 2014 et le 30 septembre 2016 ;
- les premiers juges ont omis de statuer sur la contestation des majorations pour manquement délibéré ;
- les premiers juges se sont mépris en considérant qu'une facture de 13 372 euros n'avait pas été comptabilisée, dès lors que l'administration a reconnu avoir inversé deux chiffres et a procédé à une réduction correspondante du montant du rehaussement en base ;
Sur le bien-fondé de l'amende :
- la réponse de la société à la demande de désignation des bénéficiaires de la distribution d'un montant de 29 045 euros était précise, comportait l'identité et l'adresse complète du bénéficiaire, si bien que c'est à tort que l'administration a considéré que la réponse était fantaisiste et équivalait à un défaut de réponse ;
- il appartenait à l'administration de solliciter un complément de réponse si elle estimait sa réponse insuffisante ;
- l'article 1759 du code général des impôts ne sanctionne, en vertu de la doctrine fiscale référencée BOI-RPPM-RCM-10-20-20-40 n° 300 à 330 du 22 août 2017, que le défaut de réponse sur la désignation des bénéficiaires au regard de leur identité et adresse, et non le fait que la société n'administre pas la preuve de l'appréhension par le bénéficiaire désigné ;
- la demande de désignation d'un bénéficiaire de la distribution de 29 045 euros consiste en une manœuvre de l'administration visant à obtenir une non-désignation lui permettant d'appliquer l'amende de 100 %.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SARL VD3E ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brodier,
- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique,
- les observations de Me Kretz, avocat de la société VD3E.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL VD3E exerce une activité de valorisation des déchets d'équipements électriques et électroniques dans les Vosges. A l'issue de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, l'administration fiscale a notamment réintégré comme revenus distribués sur le fondement de l'article 109-1, 1° du code général des impôts des produits non comptabilisés au titre des exercices clos les 30 septembre 2014 et 30 septembre 2016. L'administration fiscale l'invitait, dans sa proposition de rectification du 10 octobre 2017, à désigner le bénéficiaire de ces revenus distribués, sous peine d'être passible de l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts. Estimant que la réponse apportée par la société était insuffisante, le service a, dans la réponse aux observations du contribuable du 16 novembre 2017, mis à la charge de la société VD3E cette amende au titre de l'exercice clos en 2016, pour un montant de 29 045 euros. La réclamation préalable formée par la société tendant à la décharge de cette seule amende a été rejetée par une décision du 21 janvier 2019. La SARL VD3E relève appel du jugement du 27 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette amende.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, et contrairement à ce que la société VD3E soutient, elle ne sollicitait pas, dans ses écritures devant les premiers juges, la décharge des majorations dont les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge étaient assorties. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier, faute pour les premiers juges d'avoir répondu à sa demande sur ce point.
3. En deuxième lieu, il ressort de la demande présentée par la société VD3E devant le tribunal administratif de Nancy qu'elle n'entendait obtenir la décharge que de la seule amende de 29 045 euros mise à sa charge sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts. Selon les termes du jugement attaqué, les premiers juges ont toutefois rejeté une demande tendant à la décharge de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés dont ils ont estimé être saisis. En statuant ultra petita, les premiers juges ont, dans cette mesure, entaché leur jugement d'irrégularité.
4. Statuant immédiatement par la voie de l'évocation sur ce point, la cour constate que l'étendue du litige est limitée à une demande de décharge de l'amende mise à la charge de la société VD3E pour non-désignation des bénéficiaires des distributions, sur laquelle il est statué dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.
5. En dernier lieu, la société VD3E soutient que le jugement attaqué est entaché d'erreur d'appréciation relativement à une facture de 13 372 euros considérée comme non comptabilisée, alors que l'administration fiscale a écarté son montant des distributions réalisées par la société au profit de son gérant au titre de l'année 2014. Un tel moyen, qui se rapporte au bien-fondé du jugement attaqué, est sans incidence sur sa régularité et sera examiné dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.
Sur l'amende pour non-désignation des bénéficiaires des distributions :
En ce qui concerne la régularité de la procédure :
6. Aux termes du 1 de l'article 109 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; (...) ". Aux termes de l'article 116 du même code : " Pour chaque période d'imposition, la masse des revenus distribués déterminée conformément aux dispositions des articles 109 à 115 ter est considérée comme répartie entre les bénéficiaires, pour l'évaluation du revenu de chacun d'eux, à concurrence des chiffres indiqués dans les déclarations fournies par la personne morale dans les conditions prévues au 2° du 2 de l'article 223 ". Aux termes de l'article 117 de ce code : " Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution. / En cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l'application de la pénalité prévue à l'article 1759 ".
7. Lors de la vérification de comptabilité de la société VD3E, le service vérificateur a mis en évidence l'existence de produits non comptabilisés correspondant à quatre factures adressées à une société allemande située à Bochum entre le 24 juin 2016 et le 16 septembre 2016, pour un montant total de 29 045 euros. L'administration a regardé les sommes en cause comme constitutives de revenus distribués au sens des dispositons précitées de l'article 109 du code général des impôts et a demandé à la société de lui " faire connaître les noms et adresses du ou des bénéficiaires de ces distributions, en indiquant pour chacun d'eux le montant et la date des distributions ". La société VD3E a présenté une réponse, le 18 octobre 2017, désignant cette même société allemande comme bénéficiaire des distributions à hauteur de 29 045 euros précisant que cette dernière n'avait toujours pas réglé les marchandises qu'elle lui avait livrées. L'administration a toutefois estimé que cette réponse n'était pas justifiée et était ainsi assimilable à un défaut de réponse rendant applicable l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts. Contrairement à ce que la société VD3E soutient, aucune disposition n'imposait à l'administration de solliciter un complément de réponse avant de mettre à sa charge l'amende en litige. Par suite, le moyen doit être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'amende :
S'agissant de l'application de la loi fiscale :
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le montant des revenus distribués par la société VD3E en 2016, pour lesquels l'administration lui a demandé de désigner le bénéficiaire, n'inclut aucunement de facture d'un montant de 13 372 euros.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1759 du code général des impôts : " Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées. Lorsque l'entreprise a spontanément fait figurer dans sa déclaration de résultat le montant des sommes en cause, le taux de l'amende est ramené à 75 % ".
10. Les indications fournies dans la réponse à une demande de désignation faite sur le fondement de l'article 117 précité du code général des impôts doivent présenter un degré suffisant de précision et de vraisemblance pour permettre à l'administration de comprendre, le cas échéant, les sommes distribuées dans les bases d'imposition du contribuable désigné comme bénéficiaire. L'administration fiscale est ainsi fondée à assimiler à un refus de désignation une réponse qui présente un caractère invraisemblable, fantaisiste, imprécis, invérifiable ou dénuée de toute portée compte tenu de la nature de la rectification.
11. Pour écarter toute vraisemblance à la désignation de la société allemande, à laquelle la société VD3E avait facturé les produits qu'elle avait omis de comptabiliser, comme étant la bénéficiaire des revenus distribués correspondants, l'administration fiscale a relevé que deux des quatre factures obtenues auprès des autorités allemandes présentaient une mention " payé en espèces " rédigée en allemand, que les lettres de relance pour une des factures portaient toutes la même date, que la société VD3E n'avait pas réalisé d'action coercitive pour obtenir le recouvrement de ses créances, ni enregistré en comptabilité de perte de créances irrécouvrables tandis qu'elle avait poursuivi ses relations commerciales avec la société allemande. La société, qui ne conteste pas l'existence de revenus distribués à hauteur de 29 045 euros, remet en cause la portée à donner aux mentions figurant sur les factures obtenues auprès des autorités allemandes et insiste sur les relances qu'elle aurait adressées à son client, ce qui n'est au demeurant pas établi, notamment sur la dernière envoyée par recommandé international le 7 février 2018, postérieurement à la décision du service de mettre à sa charge l'amende de l'article 1759 du code général des impôts. Toutefois, et alors même qu'il ne peut être exigé d'elle la preuve de l'appréhension des revenus réputés distribués à la personne qu'elle a désignée, les éléments dont la société VD3E se prévaut ne permettent ni de justifier que les créances n'auraient pas été réglées ni de rendre crédible le lien qu'elle postule entre l'existence de produits non comptabilisés par elle et la possibilité que les revenus correspondants aient pu être appréhendés par son client au seul motif qu'il n'avait pas encore honoré sa dette, à supposer qu'elle demeurât. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a mis à sa charge l'amende de 100 % des sommes distribuées prévue à l'article 1759 du code général des impôts.
12. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration fiscale aurait sollicité la désignation du bénéficiaire des distributions d'un montant de 29 045 euros, en application de l'article 117 du code général des impôts, dans le seul but de pouvoir mettre à la charge de la société VD3E l'amende prévue à l'article 1759 du même code. Ainsi qu'il a été dit précédemment, le bien-fondé de l'amende est justifié par l'absence de désignation précise et vraisemblable du bénéficiaire de cette distribution par la société VD3E elle-même. A cet égard, la circonstance que l'administration a imposé les distributions de l'exercice clos au 30 septembre 2014, à hauteur de 72 397 euros, entre les mains du gérant de la société, que celle-ci avait désigné comme son bénéficiaire, et qu'elle a, devant le tribunal administratif de Nancy saisi par l'assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, recouru à la notion de maître de l'affaire, est sans incidence sur la mise en œuvre de l'article 1759 du code général des impôts s'agissant de la distribution relative à l'exercice clos le 30 septembre 2016. La société requérante ne saurait ainsi utilement soutenir ni que l'administration aurait pu imposer la distribution de 29 045 euros en litige entre les mains de son gérant, ni qu'elle aurait pu recourir à l'imposition de la distribution en pratiquant une retenue à la source entre ses mains.
S'agissant du bénéfice de l'interprétation administrative de la loi :
13. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa version alors applicable : " (...) / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales ".
14. A supposer qu'elle ait entendu le faire, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir, sur le terrain de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du paragraphe 320 de la documentation administrative référencée BOI-RPPM-RCM-10-20-20-40 du 22 août 2017, qui ne comporte pas d'interprétation différente de la loi fiscale que celle dont il a été fait application ci-dessus.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL VD3E est seulement fondée à demander l'annulation du jugement attaqué du tribunal administratif de Nancy en tant qu'il a rejeté une demande tendant à la décharge de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés. Le surplus des conclusions de sa requête doit être rejeté, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1900829 du tribunal administratif de Nancy du 27 janvier 2022 est annulé en tant qu'il a rejeté une demande tendant à la décharge de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL VD3E est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL VD3E et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Rousselle, présidente,
Mme Stenger, première conseillère,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier La présidente,
Signé : P. Rousselle
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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No 22NC00764