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21/01/2025 | FRANCE | N°22NC01395

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 21 janvier 2025, 22NC01395


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... C... et Mme E... A... C... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par la commune de Flagey sur leur demande tendant à obtenir le raccordement de leur propriété au réseau public d'eau potable.



Par un jugement n° 2100049 du 29 mars 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.





Procédure deva

nt la cour :



Par une requête enregistrée le 31 mai 2022, M. et Mme A... C..., représentés par la SARL Legip...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... C... et Mme E... A... C... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par la commune de Flagey sur leur demande tendant à obtenir le raccordement de leur propriété au réseau public d'eau potable.

Par un jugement n° 2100049 du 29 mars 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 mai 2022, M. et Mme A... C..., représentés par la SARL Legiplanet Avocats, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100049 du 29 mars 2022 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par la commune de Flagey sur leur demande tendant à obtenir le raccordement de leur propriété au réseau public d'eau potable ;

3°) d'enjoindre à la commune de Flagey de prendre toutes les mesures nécessaires pour procéder au raccordement, à ses frais, de leur propriété au réseau public d'eau potable ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Flagey la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges n'ont pas analysé et ont omis de statuer sur les moyens tirés, d'une part, de l'absence de mesures sociales prises pour rendre effectif l'accès à l'eau potable en application de l'article L. 2224-12-1-1 du code général des collectivités territoriales, et, d'autre part, de la méconnaissance des articles 3 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision en litige méconnaît les dispositions de l'article L. 2224-12-1-1 du code général des collectivités territoriales qui exigeaient de la commune de Flagey qu'elle prenne des mesures sociales en leur faveur ;

- elle méconnaît l'article L. 210-1 du code de l'environnement, qui consacre un droit d'accès à l'eau potable dès lors que la commune ne justifie d'aucun motif d'intérêt général s'opposant à leur demande ;

- la commune ne peut se prévaloir de l'importance du coût des travaux dès lors qu'elle est susceptible de percevoir des subventions et qu'ils proposent de payer la moitié du reste à charge ;

- la décision implicite de rejet de leur demande de raccordement entraîne une rupture d'égalité d'accès au service public ;

- la décision porte atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale protégé par les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnaît l'objectif à valeur constitutionnelle du droit à un logement décent.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2022, la commune de Flagey, représentée par Me Le Bigot, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est tardive et, par suite, irrecevable ;

- aucun des moyens soulevés par M. et Mme A... C... n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lusset, premier conseiller,

- les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.

- et les observations de Me Abramowitch, pour M. et Mme di C....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A... C... sont propriétaires d'une maison située dans l'ancienne gare de la commune de Flagey. Cette maison est alimentée en eau potable par une pompe reliée à un puits extérieur. Par une lettre du 13 janvier 2017, ils ont demandé à la commune de Flagey le raccordement de leur maison d'habitation au réseau d'adduction d'eau potable. Par un courrier du 3 août 2020, ils ont réitéré leur demande en proposant en outre de prendre à leur charge une part des travaux. Le silence gardé par la commune sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. M. et Mme A... C... relèvent appel du jugement n° 2100049 du 29 mars 2022 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision implicite.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des pièces du dossier que, dans leur requête introductive d'instance devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, les requérants ont soulevé le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Or, les premiers juges n'ont ni visé ni répondu à ce moyen. En outre, par un mémoire en réplique n° 2 enregistré le 11 février 2022, les requérants ont aussi soulevé à l'encontre de la décision attaquée le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 2224-12-1-1 du code général des collectivités territoriales et il ressort du jugement attaqué que le tribunal n'a également ni visé ni répondu à ce moyen. Dès lors, les requérants sont fondés à soutenir que le jugement est entaché d'omissions à statuer. Par suite, le jugement doit être annulé.

3. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par M. et Mme A... C... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de leur demande.

Sur la légalité de la décision implicite de rejet du maire de Flagey :

4. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'environnement : " L'eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général. " Aux termes de l'article L. 2224-7-1 du code général des collectivités territoriales, " Les communes sont compétentes en matière de distribution d'eau potable. Dans ce cadre, elles arrêtent un schéma de distribution d'eau potable déterminant les zones desservies par le réseau de distribution. Elles peuvent également assurer la production d'eau potable, ainsi que son transport et son stockage (...). "

5. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale compétents de délimiter, dans le respect du principe d'égalité devant le service public, les zones de desserte dans lesquelles ils sont tenus, tant qu'ils n'en ont pas modifié les délimitations, de faire droit aux demandes de réalisation de travaux de raccordement, dans un délai raisonnable, pour toutes les propriétés qui ont fait l'objet des autorisations et agréments visés à l'article L. 111-12 du code de l'urbanisme. Ce délai doit s'apprécier au regard, notamment, du coût et de la difficulté technique des travaux d'extension du réseau de distribution d'eau potable et des modalités envisageables de financement des travaux. En dehors des zones de desserte ou en l'absence de délimitation par le schéma de telles zones, la collectivité apprécie la suite à donner aux demandes d'exécution de travaux de raccordement, dans le respect du principe d'égalité devant le service public, en fonction, notamment, de leur coût, de l'intérêt public et des conditions d'accès à d'autres sources d'alimentation en eau potable. Le juge de l'excès de pouvoir exerce alors, en cas de refus, un contrôle restreint à l'erreur manifeste d'appréciation.

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le terrain des requérants n'est pas situé dans la zone desservie par le réseau d'eau potable de la commune de Flagey, et que cette dernière n'est pas dotée d'un schéma de distribution d'eau potable. Par suite, la commune n'était pas dans l'obligation de faire droit à la demande des requérants tendant à la réalisation de travaux de raccordement mais se devait seulement d'apprécier, en fonction des critères rappelés au point précédent, la suite à donner à cette demande.

7. D'une part, la commune de Flagey qui ne compte que soixante-dix-sept habitants, selon les dernières données disponibles, présente un budget annexe " adduction d'eau " déficitaire depuis l'exercice 2016. Si les requérants font valoir que les travaux s'élèveraient à la somme de 22 500 euros, et que la collectivité publique pourrait obtenir une subvention couvrant une part substantielle de ces dépenses, à hauteur de 80%, aucun élément du dossier ne permet toutefois d'établir que la commune bénéficierait de cette subvention dans les proportions précitées. Il s'ensuit que le coût des travaux doit être regardé comme s'élevant à environ 300 euros par habitant. D'autre part, eu égard à la situation très excentrée de l'habitation des requérants, en dehors des zones urbanisées de la commune, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existerait un intérêt public à réaliser le raccordement en litige, l'intérêt commercial allégué n'étant par ailleurs en tout état de cause pas démontré. Enfin, il est constant que M. et Mme A... C... disposent d'une source d'alimentation en eau potable avec un puits extérieur relié à une pompe dont le débit peut se réduire lors des périodes de sécheresse. Dans ces conditions, compte tenu du coût des travaux à réaliser au regard de la capacité financière de la commune, à l'intérêt public réduit de ces travaux et en dépit de la fragilité ponctuelle de l'alimentation en eau du terrain de M. et Mme A... C..., dont au demeurant ils avaient connaissance lors de l'achat de ce bien, ces derniers ne sont pas fondés à soutenir que la décision implicite rejetant leur demande de raccordement serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'habitation des requérants est, ainsi qu'il a été dit au point précédent, très excentrée par rapport au village de Flagey, et ne se trouve pas placée dans la même situation que les habitations voisines de la commune. Par suite, M. et Mme A... C... ne sont pas fondés à soutenir que le refus opposé à leur demande d'extension de la canalisation du réseau public d'eau potable jusqu'à leur propriété révélerait une rupture d'égalité des usagers devant le service public.

9. En troisième lieu, si les requérants soutiennent que la commune de Flagey aurait dû prendre des mesures sociales pour rendre effectif leur droit d'accès à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables, sur le fondement de l'article L. 2224-12-1-1 du code général des collectivités territoriales, il est toutefois constant que la décision en litige n'a pas pour objet de leur refuser le bénéfice de telles mesures, qu'ils n'ont d'ailleurs pas sollicité. Par suite, le moyen soulevé en ce sens doit être écarté comme inopérant.

10. En quatrième lieu, la décision par laquelle un maire refuse, pour des motifs d'intérêt général, l'extension du réseau public communal d'eau potable pour desservir une construction à usage d'habitation déjà dotée d'un dispositif autonome n'a pas le caractère d'une ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale ou des biens au sens des stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son premier protocole additionnel. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Il en va de même, en tout état de cause, du moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la décision litigieuse n'ayant ni pour objet ni pour effet de soumettre les requérants à des traitements inhumains et dégradants au sens de ces stipulations.

11. En cinquième et dernier lieu, M. et Mme A... C... ne peuvent utilement se prévaloir, à l'encontre de la décision attaquée, de l'objectif à valeur constitutionnelle du droit à un logement décent dès lors que celui-ci n'est invocable qu'à l'encontre d'une norme de portée générale, et non d'un acte individuel.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la commune de Flagey, que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision implicite de rejet de leur demande de raccordement au réseau public d'eau potable. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la commune de Flagey, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge des requérants la somme demandée par la commune de Flagey au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2100049 du 29 mars 2022 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. et Mme A... C... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et le surplus des conclusions de leur requête d'appel sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Flagey au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... C... et Mme E... C..., et à la commune de Flagey.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- M. Barteaux, président assesseur,

- M. Lusset, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.

Le rapporteur,

Signé : A. Lusset

La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne à la préfète de la Haute-Marne, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

N° 22NC01395 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01395
Date de la décision : 21/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: M. Arnaud LUSSET
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : LEGIPLANET AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 26/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-21;22nc01395 ?
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