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19/12/2024 | FRANCE | N°23NC03072

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 19 décembre 2024, 23NC03072


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 17 janvier 2023 par lequel le préfet de la Haute-Saône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans.



Par un jugement n° 2300534 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Be

sançon a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 17 janvier 2023 par lequel le préfet de la Haute-Saône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2300534 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 octobre 2023, Mme B..., représentée par Me Bach-Wassermann, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Saône de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié ", subsidiairement, de réexaminer sa demande dans le délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

S'agissant de la légalité du refus de séjour :

- la décision en litige est entachée d'un vice de procédure, en l'absence de saisine de la commission du titre de séjour ;

- elle porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

S'agissant de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision en litige porte atteinte à l'intérêt supérieur de ses trois enfants, tel que protégé par la convention internationale des droits de l'enfant ;

S'agissant de la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

- la décision en litige est manifestement disproportionnée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 décembre 2023, le préfet de la Haute-Saône conclut au rejet de la requête et, dans l'hypothèse où l'arrêté serait annulé, d'ordonner le réexamen de la situation de Mme B... et de limiter à 300 euros les frais accordés.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 14 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Brodier a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Après un premier séjour en France en 2008 afin de solliciter l'asile et un départ du territoire avec le bénéfice de l'aide au retour, Mme B..., ressortissante arménienne née en 1989, est de nouveau entrée sur le territoire français à la fin de l'année 2010 pour y solliciter l'asile. Elle se maintient en France depuis lors. Par un arrêté du 12 octobre 2021, le préfet de la Haute-Saône a refusé de faire droit à la demande d'admission exceptionnelle au séjour qu'elle avait présentée et lui a fait obligation de quitter le territoire français. Par un courrier du 12 septembre 2022, l'intéressée a présenté une nouvelle demande. Par un arrêté du 17 janvier 2023, le préfet de la Haute-Saône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans. Mme B... relève appel du jugement du 29 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité du refus de titre de séjour :

2. En premier lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14 ".

3. Il ressort des pièces du dossier que la commission du titre de séjour de la Haute-Saône a émis un avis, le 14 avril 2021, sur la situation de Mme B..., à la suite duquel le préfet a adopté l'arrêté du 12 octobre 2021 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour. Cet avis, défavorable, était motivé par le maintien irrégulier de l'intéressée sur le territoire entre 2011 et 2017 en dépit de la notification de cinq mesures d'éloignement, par le trouble grave à l'ordre public que son comportement constitue, par l'interdiction judiciaire du territoire dont son mari fait l'objet et dont il résulte que la cellule familiale a vocation à se reconstituer en Arménie, par l'absence d'activité ou de promesse d'embauche et pas la faible intégration sociale dont elle justifie. Si Mme B... soutient que le préfet de la Haute-Saône devait de nouveau saisir la commission du titre de séjour avant qu'intervienne la décision en litige du 17 janvier 2023, il ressort de sa demande de titre de séjour formée le 12 septembre 2022 qu'elle s'y prévaut uniquement du jugement du tribunal judiciaire d'Albertville du 15 avril 2022 la condamnant à trois ans d'emprisonnement. Ainsi, en l'absence d'élément nouveau susceptible de modifier le sens de l'avis de la commission, le seul temps écoulé depuis ce précédent avis ne suffit pas à imposer à l'autorité administrative une nouvelle saisine de la commission du titre de séjour. En tout état de cause, dans les circonstances de l'espèce, l'absence d'une telle saisine ne peut être regardée comme ayant privé la requérante, qui ne s'est pas présentée devant la commission, d'une garantie, ni comme ayant exercé d'influence sur le sens de la décision prise par le préfet de la Haute-Saône. Par suite, le moyen tiré d'un vice de procédure doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

5. Mme B... justifie résider sur le territoire français depuis plus de douze ans à la date de la décision en litige. Entrée en décembre 2010 au plus tard, elle s'est est maintenue en dépit de quatre mesures d'éloignement prononcées à son encontre les 21 mai 2012, 3 avril 2013, 30 janvier 2014, 15 janvier 2015, avant d'être placée sous mandat de dépôt le 22 janvier 2016 puis sous contrôle judiciaire par une décision du tribunal de grande instance d'Albertville du 20 mai 2016. Cette décision lui ayant interdit de sortir du territoire français jusqu'à l'intervention du jugement correctionnel. Elle a alors, pour ce motif, bénéficié de récépissés de carte de séjour d'une durée de trois mois, régulièrement renouvelés par la préfecture de la Haute-Saône, département dans lequel elle avait fixé sa résidence en 2017, entre le 9 novembre 2017 et le 15 décembre 2021. Par son jugement du 15 avril 2022, le tribunal judiciaire d'Albertville l'a condamnée à une peine de trois ans d'emprisonnement, dont une année avec sursis, pour des faits de détention frauduleuse de plusieurs faux documents administratifs, exécution en bande organisée d'un travail dissimulé, escroquerie réalisée en bande organisée, usage de faux document administratif et blanchiment commis sur la période du 1er janvier 2012 au 19 janvier 2016. Si les faits sont relativement anciens à la date de la décision en litige, le comportement de Mme B... a porté une atteinte grave à l'ordre public. Si la requérante justifie avoir cherché à s'insérer socialement, à partir de 2019, par des actions de bénévolat saluées par de nombreuses personnes, ce début d'intégration était encore récent à la date de la décision en litige. La promesse d'embauche comme employée de restauration qu'elle produit remonte à février 2022. Quant à la circonstance que ses trois enfants sont scolarisés et qu'elle s'investit dans la vie de leurs écoles, elle ne suffit pas à établir qu'elle aurait désormais ancré en France l'essentiel de sa vie privée et familiale. Dans les circonstances de l'espèce, compte tenu notamment de ses antécédents judiciaires, la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

6. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces dernières stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

7. Il n'est pas contesté que les trois enfants de Mme B... sont nés en France et y ont toujours résidé depuis leur naissance. Agés de 12 ans, 10 ans et 8 ans à la date de la décision en litige, ils étaient alors scolarisés en classes, respectivement, de 4ème au collège, et de CM1 et CE2 en école élémentaire. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la durée de leur séjour et scolarisation en France n'a été rendue possible que par le maintien de leurs parents en dépit de plusieurs mesures d'éloignement puis par le contrôle judiciaire dont ils faisaient tous deux l'objet dans une procédure pénale à l'issue de laquelle leur père a, lui, été condamné à quatre années d'emprisonnement par le tribunal judiciaire d'Albertville. Ce dernier avait par ailleurs déjà été condamné, par un jugement du tribunal de grande instance de Chambéry du 12 mai 2015, à deux mois d'emprisonnement et à une interdiction judiciaire du territoire français. La vie familiale des enfants de Mme B... ayant vocation à se poursuivre aux côtés de leur père, la requérante n'est pas fondée, dans les circonstances de l'espèce, à soutenir que la mesure d'éloignement prise à son encontre porterait une atteinte disproportionnée à l'intérêt supérieur de ses trois enfants.

Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

8. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

9. Pour faire interdiction à Mme B... de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans, le préfet de la Haute-Saône a retenu notamment qu'elle ne justifiait pas de liens forts et anciens sur le territoire français en dehors de son mari, qui fait l'objet d'une interdiction judiciaire de séjour en France, et de ses enfants, de l'absence d'intégration professionnelle ou extra-professionnelle depuis son arrivée sur le territoire, de l'absence d'exécution de cinq précédentes mesures d'éloignement et de ce que son comportement trouble l'ordre public. En se bornant à insister sur la durée de son séjour et sur la présence de ses trois enfants nés en France, Mme B... n'établit pas, en l'espèce et au regard des motifs énoncés au point 5 ci-dessus, que la décision en litige serait entachée d'erreur d'appréciation.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 janvier 2023. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris les conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Bach-Wassermann et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Saône.

Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

No 23NC03072


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03072
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : BACH-WASSERMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-19;23nc03072 ?
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