Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme H... B... et Mme I... A..., représentées par Me Levi-Cyferman, ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 28 juin 2022 par lequel la préfète de la Meuse a refusé d'admettre Mme E... B... au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, d'enjoindre à la préfète de lui délivrer un titre de séjour avec autorisation de travail ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation en lui délivrant, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à leur conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2202517, 2202518 du 10 octobre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 23NC02327 le 18 juillet 2023 Mme H... B... et Mme I... A..., représentées par Me Levi-Cyferman demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 10 octobre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 28 juin 2022 par lequel la préfète de la Meuse a refusé d'admettre Mme E... B... au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre à la préfète de lui délivrer un titre de séjour avec autorisation de travail ou, subsidiairement, de réexaminer leur situation en lui délivrant, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à leur conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elles soutiennent que :
- le tribunal a commis des erreurs de droit et des erreurs d'appréciation en écartant les moyens de leurs requêtes ;
- les arrêtés sont insuffisamment motivés ce qui révèle un défaut d'examen particulier de leur situation personnelle ;
- la procédure contradictoire prévue par l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration n'a pas été respectée ; le droit d'être entendu issu de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'a pas été respecté ;
- la préfète a commis une erreur de droit en n'examinant pas la possibilité d'accorder un délai de départ volontaire de plus de trente jours ;
- les décisions méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et son entachées d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur leur situation personnelle ;
- la préfète ne pouvait prononcer une obligation de quitter le territoire français sans examiner la demande de titre de Mme E... B... ;
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'erreur manifeste d'appréciation l'obligation de quitter le territoire français devra être annulée en conséquence de cette illégalité ;
- la préfète s'est estimée en situation de compétence liée en n'examinant pas s'il y avait lieu de prolonger le délai de départ volontaire d'un mois ;
- la décision fixant le pays de destination méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 novembre 2023, le préfet de la Meuse conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête est irrecevable, subsidiairement les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.
Mme E... B... et Mme D... A... ont été admises au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 15 juin 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Guidi, présidente, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mmes E... B... et F..., ressortissantes péruviennes, sont entrées sur le territoire français le 1er janvier 2018 selon leurs déclarations, afin d'y solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par des décisions du 5 mai 2021 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmées par des décisions du 15 novembre 2021 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par un arrêté du 28 juin 2022 le préfet de la Meuse a fait obligation à Mme E... B... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Mme E... B... et Mme D... A..., sa fille, relèvent appel du jugement du 10 octobre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de l'arrêté du 28 juin 2022 pris à l'encontre de Mme E... B....
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, l'arrêté attaqué est signé par M. Christian Robbe-Grillet, secrétaire général de la préfecture, auquel la préfète de la Meuse a, par un arrêté du 13 octobre 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le même jour, délégué sa signature à l'effet de signer notamment les décisions en matière d'éloignement des étrangers. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige doit, dès lors, être écarté.
3. En deuxième lieu, il ressort des dispositions du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français. Dès lors, la procédure contradictoire préalable prévue par les dispositions des articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration n'est pas applicable aux décisions énonçant une obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination. Par suite, Mmes E... B... et F... ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance de ces dispositions.
4. En troisième lieu, il ressort des mentions de l'arrêté attaqué que la préfète de la Meuse, après avoir constaté le rejet de la demande d'asile présentée par Mme E... B... par l'OFPRA et la CNDA, a examiné la demande d'admission au séjour présentée par l'intéressée ainsi que l'ensemble de sa situation personnelle et familiale et a vérifié, au vu des éléments dont elle avait connaissance, qu'aucune circonstance ne faisait obstacle à une mesure d'éloignement. S'agissant plus particulièrement de la décision fixant le pays de destination, cet arrêté vise notamment l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mentionne la nationalité de l'intéressée et indique qu'elle n'établit pas être exposée à des risques de traitement prohibé par ces stipulations en cas de retour dans son pays d'origine. S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, cet arrêté vise notamment l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne les éléments relatifs à la durée de la présence en France de l'intéressée et à ses liens sur le territoire et dans son pays d'origine dont il a été tenu compte pour fixer la durée de cette interdiction. Alors que l'autorité administrative n'est pas tenue de mentionner tous les éléments relatifs à la situation de l'étranger auquel elle fait obligation de quitter le territoire français, l'arrêté du 28 juin 2022 en litige comporte ainsi l'ensemble des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. Cette motivation révèle également que la préfète de la Meuse a procédé à un examen particulier de la situation de Mme E... B... et, en particulier, qu'elle a examiné la demande de titre de séjour présentée par l'intéressée, au regard des éléments qui avaient été portés à sa connaissance. Les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêté et du défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressée doivent, par suite, être écartés.
5. En quatrième lieu, le droit d'être entendu, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Ce droit ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
6. D'une part, dans le cas prévu au 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision portant obligation de quitter le territoire français est prise, notamment, après que la qualité de réfugié a été définitivement refusée à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Or, celui-ci est conduit, à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile, à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit reconnu la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, laquelle doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles et il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux, notamment au regard de sa situation dans son pays d'origine ou de sa situation personnelle et familiale.
7. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme E... B... a pu présenter sur sa situation les observations qu'elle estimait utile dans le cadre de l'examen de sa demande d'asile. Il ressort en outre des termes mêmes de l'arrêté en litige que la préfète de la Meuse a, avant de prononcer la mesure d'éloignement en litige, demandé à l'intéressée de produire ses observations. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
8. D'autre part, l'intéressée ayant présenté une demande de titre de séjour vie privée et familiale après avoir été informée que la préfète de la Meuse envisageait de prendre à son encontre une mesure d'éloignement consécutivement au rejet de sa demande d'asile, titre de séjour dont l'arrêté contesté lui refuse la délivrance, elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'aurait pas été en mesure de faire valoir ses observations préalablement à l'obligation de quitter le territoire français qui lui a été faite concomitamment au refus d'admission au séjour qui lui a été opposé par l'arrêté contesté.
9. En cinquième lieu, le seul dépôt d'une demande de titre de séjour ne saurait faire obstacle à ce que l'autorité administrative prononce une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger se trouvant dans l'un des cas mentionnés à l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et notamment au 4° de cet article. Il ne saurait en aller autrement que lorsque la loi prescrit l'attribution de plein droit d'un titre de séjour à l'intéressé, cette circonstance faisant alors obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'éloignement. En se bornant à indiquer que Mme E... B... a sollicité son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale, sans faire valoir aucun élément de nature à établir qu'elle pouvait prétendre à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour, les requérantes n'établissent pas que la préfète de la Meuse ne pouvait légalement prononcer la mesure d'éloignement en litige. A cet égard, la circonstance que la préfète de la Meuse aurait refusé de procéder à l'enregistrement de cette demande de titre de séjour est sans incidence sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français en litige.
10. En sixième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Mme E... B... se prévaut de la durée de son séjour en France où elle réside avec sa fille et les quatre enfants de celle-ci. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la durée de présence en France de plus de quatre ans de Mme E... B... ne s'explique que par la durée de l'examen de sa demande d'asile. L'intéressée ne démontre pas, par ailleurs, être dépourvue de tout lien dans son pays d'origine, où elle a vécu la majeure partie de sa vie, et n'établit pas que sa fille, dont la demande d'asile a également été rejetée, et ses petits-enfants auraient vocation à se maintenir durablement sur le territoire français. Elle n'établit pas davantage avoir tissé en France des liens d'une particulière intensité. La scolarisation de ses petits-enfants, les mesures d'assistance éducative dont ils font l'objet et leur suivi psychologique ne sauraient à eux seuls faire obstacle à l'éloignement de Mme E... B.... Dans ces conditions, l'obligation de quitter le territoire français ne peut être regardée comme portant au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme E... B... une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, par suite, être écarté.
12. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux qui ont été énoncés au point 11, et alors que les requérantes ne font valoir aucun autre élément, le moyen tiré de ce que la préfète de la Meuse aurait, en refusant d'admettre au séjour Mme E... B... et en l'obligeant à quitter le territoire, commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle et des conséquences de ses décisions doit être écarté.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant un délai de départ volontaire :
13. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation ".
14. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué que la préfète de la Meuse a examiné la situation personnelle de Mme E... B... et n'a pas méconnu l'étendue de sa propre compétence en décidant d'assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'un délai de départ volontaire de trente jours.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi :
15. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains dégradants ".
16. Mmes E... B... et F... invoquent les risques auxquels Mme E... B... serait exposée en cas de retour dans son pays d'origine. Les pièces qu'elles produisent, qui ne mentionnent que les violences physiques et psychologiques subies par Mme D... A... la part de son ex-époux ne permettent toutefois pas d'établir la réalité des risques ainsi invoqués. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que Mmes E... B... et F... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs requêtes.
18. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mmes E... B... et F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mmes H... B... et I... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Meuse.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Michel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024.
La rapporteure,
Signé : L. GuidiLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : V. Firmery
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
V. Firmery
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N° 23NC02327