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19/12/2024 | FRANCE | N°23NC01611

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 19 décembre 2024, 23NC01611


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler l'arrêté du 13 mars 2023 par lequel la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin l'a assignée à résidence dans le département de Meurthe-et-Moselle pour une durée de quarante-cinq-jours avec obligation de se présenter, accompagnée de ses enfants mineurs, les mercredis, hors jours fériés, entre 9 heures et 10 heures à l'hôtel de police de Lunéville et, d'autre part, d'annuler

l'arrêté du 13 mars 2023, par lequel la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin a ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler l'arrêté du 13 mars 2023 par lequel la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin l'a assignée à résidence dans le département de Meurthe-et-Moselle pour une durée de quarante-cinq-jours avec obligation de se présenter, accompagnée de ses enfants mineurs, les mercredis, hors jours fériés, entre 9 heures et 10 heures à l'hôtel de police de Lunéville et, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 13 mars 2023, par lequel la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin a décidé de son transfert aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile .

Par un jugement n° 2301188, 2301189 du 26 avril 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 mai 2023, Mme A..., représentée par Me Lemonnier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 26 avril 2023 du tribunal administratif de Nancy ;

2°) d'annuler les arrêtés du 13 mars 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin d'enregistrer sa demande d'asile dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

S'agissant de la décision de transfert :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle et a entaché sa décision d'une erreur de fait dès lors qu'elle est de nationalité nigériane et non ivoirienne ;

- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des articles 3 et 17 du règlement n° 604/2013 du parlement et du conseil du 26 juin 2013 ;

S'agissant de la décision portant assignation à résidence :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle l'oblige à se présenter avec ses enfants mineurs auprès des services de police ;

- son éloignement ne constitue pas une perspective raisonnable ;

- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation et méconnait l'intérêt supérieur des enfants ;

- la préfète ne pouvait prévoir le renouvellement d'une telle décision.

La procédure a été communiquée à la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit de défense.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision à intervenir était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office tiré de ce que les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert ont perdu leur objet, cette décision ne pouvant plus être légalement exécutée compte tenu de l'expiration du délai de transfert prévu à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Peton a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante nigériane née en 1989 déclare être entrée en France le 29 décembre 2022 accompagnée de ses cinq enfants mineurs. Elle a présenté une demande d'asile le 10 février 2023. La consultation du fichier Visabio ayant révélé que Mme A... était en possession d'un visa délivré par les autorités allemandes périmé depuis moins de six mois au moment du dépôt de la demande d'asile, ces dernières ont été saisies d'une demande de prise en charge qu'elles ont acceptée le 20 février 2023. Par deux arrêtés du 13 mars 2023, la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin a assigné Mme A... à résidence et a décidé son transfert aux autorités allemandes, responsables de l'examen de la demande d'asile de l'intéressée. Mme A... relève appel du jugement du 26 avril 2023, par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.

En ce qui concerne la décision de transfert :

2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".

3. Le premier alinéa de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes de l'article L. 572-4 du même code : " L'étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 572-1 peut, dans les conditions et délais prévus à la présente section, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. (...) ". Aux termes de l'article L. 572-2 du même code : " (...) Lorsque le tribunal administratif a été saisi d'un recours contre la décision de transfert, celle-ci ne peut faire l'objet d'une exécution d'office avant qu'il ait été statué sur ce recours ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date de notification à l'autorité administrative du jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R.811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

5. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 13 mars 2023 par lequel la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin a ordonné le transfert de Mme A... aux autorités allemandes est intervenu moins de six mois après l'accord de ces autorités pour sa prise en charge, soit dans le délai d'exécution du transfert fixé par l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Toutefois, ce délai a été interrompu par l'introduction du recours que Mme A... a présenté devant le tribunal administratif de Nancy sur le fondement de l'article L. 572-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Un nouveau délai de six mois a commencé à courir le 27 avril 2023 à compter de la notification à la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin du jugement par lequel le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté le recours de Mme A.... Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète aurait décidé de porter à un an ou dix-huit mois le délai de transfert au motif d'un emprisonnement de l'intéressée ou au motif que celle-ci aurait pris la fuite. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la décision de transfert en litige aurait été exécutée au cours de ce délai. Par suite, ce nouveau délai de six mois étant expiré le 27 octobre 2023, l'Allemagne a été libérée, en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité n° 604/2013, de son obligation de prendre en charge Mme A... et la responsabilité de l'examen de la demande d'asile de cette dernière a été transférée, à cette date, à la France. Il s'ensuit qu'à cette date du 27 octobre 2023, la décision de transfert est devenue caduque et ne pouvait plus être légalement exécutée. Cette caducité étant intervenue postérieurement à l'introduction de l'appel, les conclusions de la requête de Mme A... à fin d'annulation de l'arrêté du 13 mars 2023 ainsi que ses conclusions à fin d'injonction sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.

En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :

6. En premier lieu, il ressort des termes de l'arrêté du 13 mars 2023 que la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin, après avoir visé l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a indiqué que Mme A... faisait l'objet d'une décision portant transfert aux autorités allemandes, qu'elle ne dispose pas des moyens lui permettant de se rendre en Allemagne, qu'elle n'a pas la possibilité d'acquérir légalement ces moyens et que son transfert demeure une perspective raisonnable. Cette décision comporte ainsi la mention des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et est suffisamment motivée.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge peut être assigné à résidence par l'autorité administrative pour le temps strictement nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile. (...) L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert lui a été notifiée. (...) ".

8. Si Mme A... soutient que son transfert vers l'Allemagne ne constitue pas une perspective raisonnable, elle n'apporte aucun élément probant au soutien de ses allégations. En conséquence, et dès lors qu'elle fait l'objet d'une décision de transfert, la préfète a pu, sans méconnaitre les dispositions précitées, décider de l'assigner à résidence.

9. Aux termes de l'article L. 751-4 du même code : " En cas d'assignation à résidence en application de l'article L. 751-2, les dispositions des articles L. 572-7, L. 732-1, L. 732-3, L. 732-7, L. 733-1 à L. 733-4 et L. 733-8 à L. 733-12 sont applicables. (...) ". Aux termes de l'article L. 733-1 de ce code : " L'étranger assigné à résidence en application du présent titre se présente périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. (...) ".

10. D'une part, les obligations de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, susceptibles d'être imparties par l'autorité administrative en vertu de l'article L. 733-1 précité, doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux finalités qu'elles poursuivent. Les modalités d'application de l'obligation de présentation sont soumises au contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qui, saisi d'un moyen en ce sens, vérifie notamment qu'elles ne sont pas entachées d'erreur d'appréciation. D'autre part, si une décision d'assignation à résidence doit comporter les modalités de contrôle permettant de s'assurer du respect de cette obligation et notamment préciser le service auquel l'étranger doit se présenter et la fréquence de ces présentations, ces modalités de contrôle sont divisibles de la mesure d'assignation elle-même.

11. Par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe ne fait légalement obstacle à ce que l'autorité administrative, lorsqu'elle assortit la décision de transfert d'une mesure d'assignation à résidence, mesure alternative moins contraignante au placement en rétention, oblige le ressortissant étranger devant quitter le territoire, dans le cadre de la fixation des modalités d'exécution de la mesure d'assignation à résidence et afin de permettre l'éloignement de ce ressortissant étranger et des enfants l'accompagnant, à se présenter auprès des services de police avec ses enfants mineurs, sous réserve d'une erreur d'appréciation.

12. L'arrêté du 13 mars 2023 prescrit à Mme A... de se présenter à l'hôtel de police de Lunéville tous les mercredis entre 9 heures et 10 heures accompagnée de ses enfants mineurs. Pour contester cette mesure, Mme A... soutient que sa fille ainée est collégienne et peut avoir cours le mercredi matin sans apporter aucun élément au soutien de ses allégations. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté en litige est entaché d'une erreur de droit ou d'une erreur d'appréciation.

13. Enfin, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin ne pouvait prévoir le renouvellement de la décision portant assignation à résidence dès lors que les dispositions précitées de l'article L. 751-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile renvoient aux dispositions de l'article L. 732-3 du même code prévoyant le renouvellement d'une telle mesure.

14. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

15. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par Mme A....

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement d'une somme à ce titre.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision portant transfert aux autorités allemandes.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Lemmonier et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Durup de Baleine, président de chambre,

- M. Barlerin, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024.

La rapporteure,

Signé : N. PetonLe président,

Signé : A. Durup de Baleine

Le greffier,

Signé : A. Betti

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

A. Betti

2

N° 23NC01611


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01611
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DURUP DE BALEINE
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET-CHASSAGNON
Avocat(s) : LEMONNIER

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-19;23nc01611 ?
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