Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 6 décembre 2021 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2200458 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 avril 2023, M. A..., représenté par Me Jeannot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 mai 2022 du tribunal administratif de Nancy ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 décembre 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " l'autorisant à travailler dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et immédiatement une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler sous astreinte de 150 euros par jour de retard ; et subsidiairement, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet n'a pas renversé la présomption de validité s'attachant aux actes d'état civil étrangers dès lors que le caractère frauduleux des documents n'est pas établi et que seules des irrégularités sont constatées ;
- le rapport documentaire qui fonde la décision ne présente pas les garanties d'une expertise judiciaire ;
- le préfet ne renverse pas la présomption d'authenticité de l'article 47 du code civil et s'est cru en situation de compétence liée ;
- il justifie de son identité de sorte que la décision de refus de séjour sera annulée pour erreur de fait, erreur de droit ou erreur manifeste d'appréciation ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen global de sa situation au regard des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire enregistré le 25 mai 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête de M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°+ 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Peton,
- et les observations de Me Jeannot, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant malien, est entré en France le 11 janvier 2019, selon ses déclarations. Il a été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département de Meurthe-et-Moselle. Il a entamé une formation en alternance au sein d'un centre de formation d'apprentis. Le 10 février 2021, il a sollicité la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 6 décembre 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle a rejeté cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un arrêté du 28 février 2022, le préfet de Meurthe-et-Moselle a assigné M. A... à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Par un premier jugement du 16 mars 2022, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision portant obligation de quitter le territoire français et la décision portant assignation à résidence. M. A... relève appel du jugement du 25 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 6 décembre 2021 portant refus de séjour.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la décision du 6 décembre 2021 aurait été prise sans examen de la situation personnelle de l'intéressé, telle qu'elle a été portée à la connaissance du préfet.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française ".
4. Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande :/ 1° Les documents justifiants de son état civil ; (..) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Enfin, aux termes de l'article 1 du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet. / Dans le délai prévu à l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorité administrative informe par tout moyen l'intéressé de l'engagement de ces vérifications. ".
5. Il résulte des dispositions de l'article 47 du code civil qu'en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger et pour écarter la présomption d'authenticité dont bénéficie un tel acte, l'autorité administrative procède aux vérifications utiles. Si l'article 47 du code civil pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays, il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve, par tout moyen, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. En revanche, l'autorité administrative n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont elle dispose sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
6. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
7. A l'appui de sa demande de titre de séjour, M. A... a produit des documents se présentant comme constituant jugement supplétif n° 1583 du 19 février 2019, un acte de naissance n° 796, un extrait d'acte de naissance n° 796 établi le 19 février 2019, un certificat de nationalité n° 9293 du 25 mars 2021, une carte d'identité consulaire n° 2151157 du 31 mai 2021 et un extrait du casier judiciaire n° 4943 du 15 février 2021.
8. Pour remettre en cause la présomption de validité de ces actes et conclure que le requérant ne justifiait pas de manière probante de son état civil et de sa nationalité, le préfet s'est notamment fondé sur un rapport d'examen technique documentaire établi le 8 septembre 2021 par la cellule fraude documentaire de la police aux frontières indiquant que l'acte de naissance de M. A... est un faux dès lors que l'intégralité des pré-impressions (cadres et texte pré-imprimé) du recto et du verso sont reproduites au toner au lieu de l'offset, que le numéro de série du document est imprimé au tampon encré au lieu de la technique d'impression sécurisée en typographie, que la dénomination de l'imprimeur accrédité par les autorités maliennes est absente, que les dimensions de découpe du document sont irrégulières, en particulier au niveau des largeurs en haut de document et en bas de document, que la qualité de l'officier d'état civil n'est pas précisée, ni dans la rubrique dédiée, ni dans le tampon humide, que le numéro d'identification nationale NINA n'est pas renseigné, que les informations relatives aux parents sont incomplètes, que le tampon humide de l'officier d'état civil en bas de page est différent de celui apposé sur l'extrait du jugement supplétif d'acte de naissance alors qu'ils sont censés être apposés par le même officier au moment de la transcription. Par ailleurs, le préfet a également remis en cause la force probante du jugement supplétif au motif que le document se révèle être un extrait et non l'expédition du jugement, que le support est en papier ordinaire, le texte est réalisé par impression au toner, les informations relatives à la motivation de la requête ainsi que la nature des pièces justificatives ne figurent pas sur le document. Le préfet précise également que la copie de la requête n'est pas annexée à l'expédition du jugement en méconnaissance de l'article 473 du code malien de procédure civile, et que la décision n'est pas accompagnée de son certificat de non-appel ce qui ne permet pas d'établir son caractère exécutoire. Se fondant sur ce rapport d'expertise, le préfet précise que l'extrait d'acte de naissance ne précise pas la qualité de l'officier d'état civil, ni dans la rubrique dédiée, ni dans le tampon humide, ce qui est de nature à générer une incertitude sur l'habilitation de cet officier. Il constate que le numéro d'identification nationale NINA n'est pas renseigné en méconnaissance de la loi malienne, que les informations relatives aux parents comportent des renseignements qui ne figurent pas sur le jugement supplétif, qu'une faute grossière est visible dans le texte pré-imprimé " officier ". Le certificat de nationalité ayant été délivré sur la base de la copie d'extrait d'acte de naissance n'est, dans ces conditions, pas probant et la carte consulaire de M. A... a pour seule vocation d'établir la preuve de résidence à l'étranger d'un ressortissant et ne saurait permettre de justifier de l'identité ou de l'état civil de l'intéressé. Ces circonstances sont propres à établir le caractère apocryphe des documents présentés comme constituant un extrait d'un jugement supplétif du 19 février 2019, un extrait d'acte de naissance du même jour et un acte de naissance. Elles sont de nature à renverser la présomption de validité qui s'attache, en vertu notamment des dispositions de l'article 47 du code civil, aux mentions contenues dans ces actes. A cet égard, l'attestation du consulat général de la république du Mali indiquant que l'informatisation n'est pas encore effective au Mali et qu'aucun support ou mode d'impression particulier n'est exigé ne suffit pas à remettre en cause le caractère apocryphe de ces documents.
9. Il résulte de ce qui précède, dès lors notamment que le numéro d'identification nationale NINA n'est pas renseigné et que le texte préimprimé de l'extrait d'acte de naissance comporte une erreur grossière, que le préfet a pu, sans commettre d'erreur de fait et sans méconnaitre les dispositions des articles 47 du code civil et L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni commettre d'erreur manifeste d'appréciation, estimer que les documents présentés par M. A... pour justifier de son identité et de son état civil étaient dépourvus de valeur probante et par suite refuser le titre de séjour sollicité par M. A....
10. En troisième lieu, pour délivrer un titre de séjour à M. A... sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de Meurthe-et-Moselle devait d'abord vérifier que ce dernier était dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire et avait été confié à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans. Dès lors que le préfet a valablement constaté que les documents présentés par M. A... ne permettaient pas d'établir son âge et, en conséquence, de justifier qu'il avait été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans, le préfet pouvait, pour ce seul motif, refuser la demande de titre de séjour présentée par le requérant. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet de Meurthe et Moselle a méconnu les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. En quatrième lieu, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que M. A... aurait sollicité un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté comme étant inopérant.
12. En cinquième lieu, M. A... soutient que la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard aux conséquences excessives qu'elle aura sur sa situation personnelle. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France en 2019 et a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. Il a suivi une formation en alternance en deuxième année de certificat d'aptitude professionnelle " restauration " dans le cadre de laquelle il bénéficie d'un contrat d'apprentissage avec un restaurant à Nancy et bénéficie d'un contrat jeune majeur avec le département de Meurthe-et-Moselle. M. A... est célibataire et sans charges de famille, et n'établit pas être dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine. Par conséquent, et malgré des efforts d'intégration, M. A... ne peut se prévaloir que d'une présence récente sur le territoire français et le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.
13. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ".
14. La circonstance que le requérant est entré en France en se disant mineur isolé, qu'il a des perspectives de travail, qu'il suit une formation pour obtenir un certificat d'aptitude professionnel " restauration ", qu'il a conclu un contrat d'apprentissage et qu'il bénéficie d'un contrat jeune majeur, ne constituent pas des motifs exceptionnels ou des circonstances humanitaires au sens de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, dans l'exercice du large pouvoir d'appréciation qu'il tient de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet aurait commis une erreur manifeste en ne faisant pas bénéficier M. A... d'une admission exceptionnelle au séjour.
15. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 6 décembre 2021. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président de chambre,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024.
La rapporteure,
Signé : N. PetonLe président,
Signé : A. Durup de Baleine
Le greffier,
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
2
N° 23NC01202