Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E..., Mme J..., M. L..., Mme M..., M.et Mme B... et M. G... ont demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 23 janvier 2019 par lequel le préfet du Jura a déclaré d'intérêt général et autorisé les travaux de mise en conformité de la répartition des débits de la rivière Seille, au droit du seuil " Planche de Juhans ", sur le territoire de la commune de Ruffey-sur-Seille, et la décision implicite rejetant leur recours gracieux, ainsi que, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 7 juin 2019 par lequel le préfet du Jura a modifié son arrêté du 23 janvier 2019.
Par un jugement n° 1901015, 1901298 du 6 avril 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 8 juin 2021, le 12 septembre 2022 et le 3 mai 2023, M. E..., Mme J..., M. L..., Mme M..., M. et Mme B... et M. G..., représentés par Me Remy, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 6 avril 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 janvier 2019 du préfet du Jura ainsi que sa décision implicite portant rejet de leur recours gracieux ;
3°) d'annuler l'arrêté du 7 juin 2019 du préfet du Jura modifiant son arrêté du 23 janvier 2019 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement a méconnu le principe du contradictoire ;
- les travaux d'aménagement constituant une modification substantielle de l'ouvrage, le dossier déposé par la communauté de communes Bresse Haut Seille est incomplet, ne respectant ni les dispositions des articles R. 181-1 et suivants du code de l'environnement ni les dispositions des articles L. 181-14 et suivants et R. 181-46 de ce code quant à la modification des autorisations existantes ;
- les arrêtés contestés portent atteinte à l'intérêt protégé par les dispositions du 5° du I de l'article L. 211-1 du code de l'environnement, visé par l'article L. 181-3 du code de l'environnement, et en particulier en réduisant le droit d'usage de l'eau attaché aux moulins situés sur le canal de la Molette.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 février 2022 et le 14 novembre 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés et s'en remet pour le surplus aux écritures présentées par le préfet du Jura en première instance.
La requête a été communiquée à la communauté de communes Bresse Haute Seille qui n'a pas présenté d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michel, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- et les observations de Me Remy, pour M. E... et autres.
Considérant ce qui suit :
1. La communauté de communes Bresse Haute-Seille a souhaité engager en 2018 des travaux sur le seuil de la Planche de Juhans, pour rééquilibrer les débits des différentes dérivations dont fait l'objet la rivière Seille. Après avoir organisé une participation du public, le préfet a déclaré d'intérêt général ces travaux et les a autorisés par un arrêté du 23 janvier 2019, modifié par un arrêté du 7 juin 2019. M. E..., Mme J..., M. L..., Mme M..., M. et Mme B... et M. G..., en leur qualité de propriétaires de moulins pouvant utiliser la ressource en eau des effluents situés en aval des travaux ainsi autorisés, relèvent appel du jugement du 6 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces deux arrêtés et de la décision implicite de rejet de leur recours gracieux formé contre l'arrêté du 23 janvier 2019.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ".
3. Il résulte des pièces des dossiers de première instance que les seconds mémoires en défense du préfet du Jura ont été enregistrés au greffe du tribunal administratif le 12 mars 2021, avant la clôture de l'instruction qui a eu lieu trois jours francs avant l'audience, soit le 12 mars à minuit, en application de l'article R. 613-2 du code de justice administrative. Ces mémoires ont été communiqués le 15 mars 2021, postérieurement à la clôture pour une audience fixée au 16 mars suivant. En communiquant ces mémoires, auxquels étaient joints un complément du " porter à connaissance " du cabinet Reilé ainsi qu'une note de ce cabinet relative au jaugeage de la réparation des débits à la Planche de Juhans, vingt-quatre heures seulement avant l'audience, le tribunal n'a pas mis en mesure M. E... et autres de présenter utilement leurs observations en méconnaissance du principe du contradictoire. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que le jugement attaqué est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par M. E..., Mme J..., M. L..., Mme M..., M. et Mme B... et M. G... devant le tribunal administratif de Besançon.
Sur les conclusions à fin d'annulation des arrêtés du préfet du Jura des 23 janvier et 7 juin 2019 et de sa décision implicite portant rejet du recours gracieux :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable au litige :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (...) ". Aux termes de l'article L. 211-1 de ce code : " I. - Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : (...) 5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource (...) ". / II.- La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences : (...) /3° (...) de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique (...) ". Aux termes de l'article L. 181-14 du même code, dans sa version en vigueur à la date des décisions en litige : " Toute modification substantielle des activités, installations, ouvrages ou travaux qui relèvent de l'autorisation environnementale est soumise à la délivrance d'une nouvelle autorisation, qu'elle intervienne avant la réalisation du projet ou lors de sa mise en œuvre ou de son exploitation. / En dehors des modifications substantielles, toute modification notable intervenant dans les mêmes circonstances est portée à la connaissance de l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation environnementale dans les conditions définies par le décret prévu à l'article L. 181-31. / L'autorité administrative compétente peut imposer toute prescription complémentaire nécessaire au respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4 à l'occasion de ces modifications, mais aussi à tout moment s'il apparaît que le respect de ces dispositions n'est pas assuré par l'exécution des prescriptions préalablement édictées ".
6. D'autre part, aux termes de l'article R. 181-46 du code de l'environnement, dans sa version alors applicable : " I. - Est regardée comme substantielle, au sens de l'article L. 181-14, la modification apportée à des activités, installations, ouvrages et travaux soumis à autorisation environnementale qui : / 1° En constitue une extension devant faire l'objet d'une nouvelle évaluation environnementale en application du II de l'article R. 122-2 ; / 2° Ou atteint des seuils quantitatifs et des critères fixés par arrêté du ministre chargé de l'environnement ; / 3° Ou est de nature à entraîner des dangers et inconvénients significatifs pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3. / La délivrance d'une nouvelle autorisation environnementale est soumise aux mêmes formalités que l'autorisation initiale. / II. - Toute autre modification notable apportée aux activités, installations, ouvrages et travaux autorisés, à leurs modalités d'exploitation ou de mise en œuvre ainsi qu'aux autres équipements, installations et activités mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 181-1 inclus dans l'autorisation doit être portée à la connaissance du préfet, avant sa réalisation, par le bénéficiaire de l'autorisation avec tous les éléments d'appréciation. / S'il y a lieu, le préfet, après avoir procédé à celles des consultations prévues par les articles R. 181-18 et R. 181-21 à R. 181-32 que la nature et l'ampleur de la modification rendent nécessaires, fixe des prescriptions complémentaires ou adapte l'autorisation environnementale dans les formes prévues à l'article R. 181-45 ".
En ce qui concerne les moyens soulevés par les requérants :
7. En premier lieu, par un arrêté du 10 mai 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, le préfet du Jura a donné délégation à M. H..., directeur départemental des territoires du Jura, notamment pour signer les autorisations en matière d'environnement. Par un arrêté du 13 mai 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du même jour, pris en application des dispositions de l'article 38 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements, M. H... a donné subdélégation à M. K... C..., chef du service de l'eau, des risques, de l'environnement et de la forêt à la direction départementale des territoires, pour les autorisations relevant du même domaine. Il résulte de ce qui précède que M. C... était régulièrement habilité, par l'effet de la subdélégation, à signer l'arrêté en litige du 7 juin 2019. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cette décision doit être écarté.
8. En deuxième lieu, les travaux prévus par les arrêtés en litige ont notamment pour objet d'aménager la planche de Juhans, d'une part, au niveau de son seuil, consistant à reboucher l'échancrure existante et à placer la nouvelle échancrure entre l'ancienne échancrure et la rive droite et, d'autre part, au niveau de l'entrée du canal, de réduire l'échancrure actuelle et de rehausser la section d'entrée du canal. Ces aménagements concourent à mettre en conformité la répartition des débits à la planche de Juhans au regard des dispositions de l'article L. 214-18 du code de l'environnement afin de maintenir dans le lit de la Seille un débit minimal en période d'étiage, et de garantir les conditions de bon état écologique de la rivière.
9. Les requérants soutiennent que les travaux, notamment par la construction de batardeaux en béton, conduisent, hors période d'étiage, lorsque le débit est supérieur à 770 l/s, à limiter la quantité d'eau exploitable par leurs moulins situés sur le canal de la Molette, à hauteur de 72 % de leur potentiel de production d'énergie hydraulique entraînant ainsi des inconvénients significatifs et que, par suite, l'autorisation prévue par le 3° du I de l'article R. 181-46 du code de l'environnement précité était nécessaire.
10. Il résulte en particulier du " porter à connaissance " du cabinet Reilé du mois de juin 2018 et de son complément du mois d'août relatifs à la répartition des débits hors période de basses eaux, lorsqu'en particulier le débit de la Seille à l'amont du barrage de la planche de Juhans est supérieur à 770 l/s, soit statistiquement plus de 300 jours par an, que les modifications apportées par les aménagements quant à la répartition des débits ne sont pas significatives. Ces éléments du cabinet Reilé ne sont pas sérieusement remis en cause par l'étude du cabinet Opt'Hydro de 2023, réalisée à la demande des requérants, laquelle n'est fondée que sur des calculs théoriques de production d'énergie hydraulique des moulins et ne comporte aucun relevé des débits du canal de la Molette au droit des ces ouvrages et notamment hors période de basses eaux. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que les aménagements de la planche de Juhans modifient en période de moyennes et hautes eaux la capacité de production d'électricité hydraulique des moulins des requérants au titre de l'intérêt protégé par les dispositions du 5° du I de l'article L. 211-1 du code de l'environnement.
11. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les aménagements en litige ne sont pas de nature à entraîner des inconvénients significatifs au sens des dispositions du 3° du I de l'article R. 181-46 du code de l'environnement et qu'ainsi, le préfet a fait une exacte application de ces dispositions en considérant qu'elles n'étaient pas substantielles. Il en résulte par voie de conséquence que ces aménagements ne nécessitaient pas au préalable une instruction selon les modalités prévues par le code de l'environnement applicables à une nouvelle autorisation.
12. En troisième lieu, pour les motifs exposés au point 10 ci-dessus, les aménagements de la planche de Juhans ne portent pas une atteinte significative à la capacité de production d'électricité hydraulique des moulins des requérants au titre de l'intérêt protégé par les dispositions du 5° du I de l'article L. 211-1 du code de l'environnement, ni au droit d'eau fondé en titre attaché à ces moulins présents sur le canal de la Molette.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1901015, 1901298 du 6 avril 2021 du tribunal administratif de Besançon est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. E..., Mme J..., M. L..., Mme M..., M. et Mme B... et M. G... devant le tribunal administratif de Besançon ainsi que leurs conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., à Mme O... J..., à M. I... L..., à Mme F... M..., à M. Michel B..., à Mme N... B..., à M. A... G..., au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à la communauté de communes Bresse Haute-Seille.
Copie en sera adressée au préfet du Jura.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Rousselle, présidente,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Michel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : A. MichelLa présidente,
Signé : P. Rousselle
La greffière,
Signé : V. Firmery
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
V. Firmery
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N° 21NC01677