Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner l'établissement public local d'enseignement agricole (EPLEA) de Besançon à lui verser la somme de 56 377,30 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.
Par un jugement n° 1900925 du 28 janvier 2021, le tribunal administratif de Besançon a condamné l'établissement public local d'enseignement agricole de Besançon à verser à Mme B... une somme de 1 000 euros et assorti cette somme des intérêts au taux légal à compter du 8 février 2019 et de la capitalisation des intérêts échus au 8 février 2020.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 mars 2021, Mme B..., représentée par Me Dravigny, demande à la cour :
1°) d'infirmer le jugement du tribunal administratif de Besançon en tant qu'il a limité la réparation à 1 000 euros et rejeté sa demande de frais irrépétibles ;
2°) de condamner l'EPLEA à lui verser une somme de 56 377, 30 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis ;
3°) de mettre à la charge de l'EPLEA le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son ancienneté professionnelle n'a été reprise que partiellement en 1999 ;
- une promesse d'évolution professionnelle lui avait été faite en 2009 ;
- elle est victime de harcèlement moral dès lors que l'administration n'a eu aucune reconnaissance de son travail ce qui a engendré un syndrome anxio-dépressif réactionnel, l'administration lui a retiré des tâches à responsabilité sans aucune concertation, ses compétences n'ont pas été reconnues et notamment sa candidature au poste d'adjoint au conseiller principal d'éducation a été rejetée, elle ne pouvait faire autrement que d'intégrer un nouveau bureau qui ne lui convenait pas et avait un caractère isolé, le fait de l'avoir placée dans ce bureau qui constitue un poste de travail inadapté démontre la dégradation de ses conditions de travail, le fait de la maintenir dans ce bureau vient en méconnaissance des restrictions médicales liées à son statut de travailleur handicapé ;
- l'indemnisation de son préjudice à raison de l'absence d'évaluation entre 2008 et 2017 ne peut être limitée à 1 000 euros.
L'EPLEA de Besançon n'a pas présenté d'observations en défense.
Par une ordonnance du 23 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Peton,
- les conclusions de Mme Bourguet-Chassagnon, rapporteure publique,
- et les observations de Me Coissard, substituant Me Dravigny, pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... a été recrutée par l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole (EPLEA) de Besançon en qualité d'adjoint administratif en 1994 par un contrat emploi consolidé. Ce contrat a été transformé en contrat de travail à durée indéterminée au titre de l'emploi consolidé le 1er juillet 1997 puis un nouveau contrat de travail à durée indéterminée a été conclu le 1er juillet 2001. S'estimant victime de fautes commises dans la gestion de sa carrière et de harcèlement moral, Mme B... a demandé le 6 février 2019 au directeur de l'établissement de l'indemniser des préjudices qu'elle a subis. Cette demande a été rejetée le 1er avril suivant et Mme B... a saisi le tribunal administratif de Besançon d'une demande tendant à ce que l'EPLEA soit condamné à lui verser une somme de 56 377,70 euros en réparation des préjudices subis. Par un jugement du 28 janvier 2021, le tribunal administratif de Besançon a condamné l'EPLEA à verser à Mme B... une somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral. Mme B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses demandes.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les fautes commises par l'EPLEA de Besançon :
S'agissant de la gestion de la carrière de Mme B... :
2. En premier lieu, Mme B... soutient que l'EPLEA a commis une faute dès lors que son ancienneté professionnelle n'a été reprise que partiellement en 1999 et se prévaut à cet égard d'un certificat de travail au sein des établissements Jaeger pour la période du 1er septembre 1976 au 31 mai 1988. Toutefois, ce seul document, en l'absence de tout autre élément et notamment de précisions quant aux conditions effectives de la reprise d'ancienneté dont la requérante a bénéficié, ne permet pas à la cour d'apprécier la faute que selon la requérante l'établissement aurait commise à ce titre.
3. En deuxième lieu, Mme B... soutient que l'EPLEA, en ne lui proposant aucune évolution professionnelle, a manqué à ses obligations. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, qu'en 2009, Mme B... a été chargée de mener une réflexion sur la restructuration du secrétariat afin, notamment, de pallier l'absence du conseiller principal d'éducation l'après-midi, ce qui a conduit à la création d'un secrétariat " vie du centre " d'une part et, d'autre part, qu'elle a effectué des tâches supplémentaires à compter de 2010. La requérante allègue qu'il avait été convenu avec le directeur alors en fonction qu'après deux ans de fonctionnement afin de vérifier la pertinence et le bon fonctionnement de ce nouveau service, un avancement devait être envisagé. Toutefois, Mme B... ne justifie pas d'une promesse claire et non équivoque qui aurait été faite en ce sens. Par ailleurs, eu égard aux propos qu'elle rapporte, cette éventualité était conditionnée par l'évolution du service et ne constituait pas une certitude. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'EPLEA a commis une faute.
S'agissant du harcèlement moral :
4. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".
5. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
6. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultat de ces agissements doit alors être intégralement réparé.
7. En premier lieu, Mme B... soutient que son état de santé s'est dégradé en raison de ses conditions de travail et qu'elle a notamment fait l'objet d'un arrêt de travail en 2014 pour un syndrome anxiodépressif. Toutefois, la note d'alerte syndicale du 26 juin 2014 dont se prévaut la requérante, si elle indique des conditions de travail difficiles au sein de l'établissement, est rédigée en des termes très généraux et ne fait pas état de sa propre situation. Par ailleurs, le médecin traitant de Mme B... lui a prescrit un arrêt de travail de trois jours en juin 2014 pour un syndrome anxiodépressif sans toutefois lier cet état de santé aux conditions de travail de l'agent. En outre, si le dossier de médecine du travail établi lors d'une consultation du 27 septembre 2018 mentionne un tel lien, les mentions en ce sens ne rendent compte que des déclarations de la patiente mais ne résultent pas d'un constat du médecin du travail. En conséquence, ces seuls éléments ne suffisent pas à caractériser l'existence d'une situation de harcèlement.
8. En deuxième lieu, alors qu'elle bénéficiait d'un bureau situé au rez-de-chaussée, Mme B... s'est vu attribuer un bureau au deuxième étage de l'établissement en juin 2015. Dans un courrier du 3 septembre 2015, Mme B... précise n'avoir eu aucune réserve à ce déplacement mais avoir émis une réserve concernant la température de la pièce située sous les combles. Si Mme B... soutient ne pas avoir été en mesure de refuser ce bureau, elle ne l'établit pas. Ensuite, il résulte de l'instruction que, pour tenir compte de l'état de santé de l'agent, l'EPLEA de Besançon a installé un climatiseur, à la demande de l'intéressée. Le tuyau d'extraction de ce climatiseur, initialement placé à travers une fenêtre et générant des nuisances sonores, a ensuite été déplacé au grenier, toujours à la demande de l'intéressée. La circonstance que le bureau de Mme B... est resté à une température élevée en dépit de la présence d'un climatiseur et d'un ventilateur ne suffit pas à caractériser une intention de nuire. Par ailleurs, si Mme B... reproche le caractère isolé de ce bureau et l'éloignement des autres secrétaires, il apparait que la pièce est située à proximité du centre de documentation et d'information de l'établissement et d'un point service utilisé fréquemment par les apprenants et que la différence de mission des autres secrétaires ne justifiait plus qu'elle soit localisée auprès de ces dernières. Enfin, si Mme B... fait état de difficultés ergonomiques liées à l'utilisation du photocopieur du centre documentation et d'information reconnues par l'étude de son poste de travail en 2017, ceci ne suffit pas à justifier de l'existence d'une situation de harcèlement.
9. En troisième lieu, Mme B... soutient que son état de santé s'est dégradé en raison de ses conditions de travail. Toutefois, les trois arrêts de travail dont elle se prévaut pour les années 2019 et 2020 ne suffisent pas à établir l'existence d'une situation de harcèlement.
S'agissant de l'indemnisation :
10. Il est constant qu'en ne procédant pas à l'évaluation professionnelle de Mme B... entre 2007 et 2018, d'une part, et en s'abstenant de prendre position sur la demande de révision du compte-rendu de l'entretien professionnel de Mme B... présentée en juillet 2019, d'autre part, l'EPLEA a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité. En allouant une somme de 1 000 euros en réparation du préjudice moral en ayant résulté pour Mme B..., le tribunal a insuffisamment apprécié ce préjudice, dont il y a lieu de faire une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 2 000 euros. En revanche, les fautes commises par l'établissement d'enseignement n'ont aucun lien avec le préjudice financier dont se prévaut Mme B....
En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :
11. D'une part, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1231-6 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. Par suite, Mme B... a droit aux intérêts au taux légal afférents à la somme de 2 000 euros à compter du 8 février 2019, date à laquelle sa demande indemnitaire a été notifiée à l'EPLEA de Besançon.
12. D'autre part, en application de l'article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.
13. La capitalisation des intérêts a été demandée le 24 mai 2019. A cette date, il n'était pas dû plus d'une année d'intérêts. Dès lors, compte tenu de ce qui vient d'être dit au point 11, il y a seulement lieu de faire droit à cette demande à compter du 8 février 2020, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts sur la somme de 2 000 euros.
En ce qui concerne la demande présentée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative devant le tribunal administratif :
14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
15. En jugeant qu'il n'y avait pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EPLEA de Besançon la somme que Mme B... demandait au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, et alors qu'il n'a fait que très partiellement droit aux conclusions de la requérante, le tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation de la situation.
16. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a limité le montant total de son indemnisation à 1 000 euros.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EPLEA de Besançon une somme de 1 500 euros à verser à Mme B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'établissement public local d'enseignement agricole de Besançon est condamné à verser à Mme B... une somme de 2 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 8 février 2019. Les intérêts échus à la date du 8 février 2020 seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à compter de cette date puis de chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 2 : Le jugement n° 1900925 du tribunal administratif de Besançon du 28 janvier 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'EPLEA de Besançon versera à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à l'établissement public local d'enseignement agricole de Besançon.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président de chambre,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024.
La rapporteure,
Signé : N. Peton
Le président,
Signé : A. Durup de Baleine
Le greffier
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
N° 21NC00919 2