Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Baumert a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser la somme de 379 803,58 euros, augmentée des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices subis à raison de l'illégalité de la décision du 16 septembre 2014 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Centre a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi.
Par un jugement no 1903268 du 12 octobre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'Etat à verser à la société Baumert la somme de 350 745,12 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2019, ainsi que la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 13 décembre 2021 et 9 janvier 2023, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Baumert ;
3°) de mettre à la charge de la société Baumert la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le jugement attaqué est entaché d'insuffisance de motivation s'agissant de l'illégalité retenue pour caractériser une faute lourde de l'Etat ;
Sur le principe de la responsabilité de l'Etat :
- le tribunal ne pouvait pas, pour caractériser la faute lourde, retenir une illégalité qui n'est pas le moyen d'annulation de la décision d'homologation auquel la cour administrative d'appel a fait droit dans son arrêt du 2 juillet 2015 ;
- l'existence d'une faute lourde n'est pas caractérisée ;
- les premiers juges n'ont pas tenu compte de cause limitative ou exonératoire de la responsabilité de l'Etat, résultant du comportement de la société qui a concouru, par son abstention, à la réalisation et à l'aggravation du dommage subi, alors qu'il y a lieu de limiter la part de responsabilité de l'Etat à la moitié du dommage ;
- l'existence de préjudices réparables ne pouvait pas être retenue, en application de la théorie du risque accepté ;
- le montant du préjudice réparable devrait, au plus, être limité à 233 186,76 euros ;
- les condamnations prononcées par la cour d'appel de Versailles au titre de l'article 700 du code de procédure civile ne sont pas strictement liées à l'illégalité commise par l'administration ;
- les honoraires d'avocats engagés par la société dans le cadre du recours pour excès de pouvoir contre la décision d'homologation du 16 septembre 2014 ne pouvaient pas, de nouveau, être mis à la charge de l'Etat ;
- le lien direct et certain entre les honoraires sollicités au titre de la défense de la société devant les juridictions prud'homales et la cour d'appel et l'illégalité commise par l'administration n'est pas établi et les notes d'honoraires ne sont pas suffisamment précises pour établir la réalité du préjudice.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2022, la société Baumert, représentée par Me Dumontel, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il est possible de retenir un régime de responsabilité de l'Etat pour faute simple ;
- en se déclarant compétente, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) du Centre a également commis une faute antérieurement à l'exercice de son pouvoir d'homologation ;
- la faute lourde est caractérisée ;
- aucune cause exonératoire de la responsabilité de l'Etat ne peut être retenue ;
- elle n'avait pas connaissance d'un quelconque risque qui aurait dû la conduire à s'abstenir de licencier les salariés ;
- il y a lieu pour l'Etat de réparer intégralement le préjudice et le ministre ne peut pas remettre en cause ce que la cour d'appel de Versailles a condamné la société à verser à ses salariés au titre de l'article L. 1235-16 du code du travail ;
- le lien direct et certaine entre la faute commise par la DIRECCTE du Centre et les préjudices subis par la société Baumert est établi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de procédure civile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brodier,
- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique,
- les observations de Mme A..., représentant la ministre du travail et de l'emploi.
Considérant ce qui suit :
1. La société Baumert, qui est spécialisée dans la protection des personnes et des biens, possédait deux établissements, l'un à Schaeffersheim dans le Bas-Rhin, l'autre à Dreux en Eure-et-Loir. Elle appartient au groupe Gorgé. Le 20 juin 2014, elle a informé les directeurs des unités territoriales de ces deux départements de son projet de délocalisation de son activité du site de Dreux et de l'engagement d'une procédure de licenciement collectif pour motif économique. Par une décision du 16 septembre 2014, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Centre a homologué le document unilatéral établi par la société Baumert. Cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 26 février 2015. L'appel formé par la société Baumert devant la cour administrative d'appel de Nancy a été rejeté par un arrêt du 2 juillet 2015. Le Conseil d'Etat a, par une décision du 23 décembre 2015, n'a pas admis le pourvoi en cassation de la société.
2. Par des demandes préalables datées du 28 décembre 2018 et 25 février 2019, la société Baumert a sollicité de l'Etat qu'il l'indemnise des préjudices résultant de l'illégalité de la décision d'homologation du 16 septembre 2014, à hauteur d'un total de 379 803,58 euros. Le silence gardé par la DIRECCTE sur sa demande ayant fait naître une décision implicite de rejet, la société Baumert a saisi le tribunal administratif de Strasbourg. Par un jugement du 12 octobre 2021, le tribunal a condamné l'Etat à l'indemniser à hauteur de 350 745,12 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2019. Le ministre du travail relève appel de ce jugement, en sollicitant, à titre principal, son annulation et le rejet de la demande de la société.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
4. Il ressort du jugement attaqué que les premiers juges ont énoncé de manière suffisamment détaillée les raisons pour lesquelles l'erreur de droit commise par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Centre dans l'examen des mesures prévues dans le plan de sauvegarde de l'emploi était constitutive d'une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Si le ministre du travail conteste que les premiers juges aient examiné le caractère fautif d'une illégalité non retenue par la cour administrative d'appel de Nancy pour confirmer le jugement annulant la décision portant homologation du document unilatéral de la société Baumert, ce moyen se rapporte au bien-fondé du jugement et est sans incidence sur le caractère suffisamment motivé de celui-ci. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement du 12 octobre 2021 doit être écarté.
Sur la responsabilité de l'Etat :
5. Aux termes des dispositions de l'article L. 1233-57-3 du code du travail, dans sa version applicable à la date de la décision d'homologation en cause : " En l'absence d'accord collectif (...), l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise et, le cas échéant, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de l'instance de coordination mentionnée à l'article L. 4616-1, le respect, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 et le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : 1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe ; 2° Les mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de licenciement ; 3° Les efforts de formation et d'adaptation tels que mentionnés aux articles L. 1233-4 et L. 6321-1. / (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-57-4 du même code, dans sa version applicable à la date de la même décision : " L'autorité administrative notifie à l'employeur (...) la décision d'homologation dans un délai de vingt et un jours à compter de la réception du document complet élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4. / Elle la notifie, dans les mêmes délais, au comité d'entreprise (...). La décision prise par l'autorité administrative est motivée. / Le silence gardé par l'autorité administrative pendant les délais prévus au premier alinéa vaut décision d'acceptation (...) d'homologation. / (...) ".
6. D'une part, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier la conformité de ce document et du plan de sauvegarde de l'emploi dont il fixe le contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles applicables, en s'assurant notamment du respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du même code. A ce titre elle doit, au regard de l'importance du projet de licenciement, apprécier si les mesures contenues dans le plan sont précises et concrètes et si, à raison, pour chacune, de sa contribution aux objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à ces objectifs compte tenu, d'une part, des efforts de formation et d'adaptation déjà réalisés par l'employeur et, d'autre part, des moyens dont disposent l'entreprise et, le cas échéant, l'unité économique et sociale et le groupe. Les moyens du groupe s'entendent des moyens, notamment financiers, dont dispose l'ensemble des entreprises placées, ainsi qu'il est dit au I de l'article L. 2331-1 du code du travail, sous le contrôle d'une même entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce, ainsi que de ceux dont dispose cette entreprise dominante, quel que soit le lieu d'implantation du siège de ces entreprises.
7. D'autre part, dans les conditions où il est organisé, l'exercice par l'autorité administrative du pouvoir d'homologation du document élaboré par l'employeur qu'elle tient de l'article L. 1233-57-3 du code du travail en matière de plan de sauvegarde de l'emploi, qui s'inscrit dans le cadre d'un contrôle complexe soumis à des délais brefs aux termes desquels le silence gardé par l'administration fait naître une décision implicite d'acceptation de l'homologation, ne peut engager la responsabilité de l'Etat que si l'exercice de ce contrôle révèle l'existence d'une faute lourde commise par l'administration.
En ce qui concerne l'existence d'une faute lourde :
8. Par un jugement du 26 février 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 16 septembre 2014 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Centre a homologué le document unilatéral valant plan de sauvegarde de l'emploi élaboré par la société Baumert, aux motifs tirés, d'une part, de l'incompétence territoriale de l'autorité administrative, d'autre part, de ce qu'en examinant le caractère suffisant des mesures contenues dans le plan de sauvegarde de l'emploi seulement par référence aux moyens de l'entreprise et non du groupe Gorgé auquel elle appartient, l'administration n'avait pas procédé au contrôle qui lui incombe en vertu de l'article L. 1233-57-3 du code du travail. Les motifs de ce jugement, qui a été confirmé par un arrêt de la cour administratif d'appel de Nancy du 2 juillet 2015 et est devenu définitif, sont le soutien nécessaire du dispositif d'annulation. La circonstance que la cour n'a, pour confirmer le jugement d'annulation, retenu que le motif tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision du 16 septembre 2014, " sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen d'annulation ", ne fait pas obstacle à ce que ce second motif d'illégalité de cette décision soit, notamment en tant qu'élément confortatif, invoqué par la société Baumert pour engager la responsabilité de l'Etat.
9. En l'espèce, le ministre du travail ne conteste pas que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Centre a, pour homologuer le document unilatéral élaboré par la société Baumert, et notamment apprécier si les mesures contenues dans le plan étaient, prises dans leur ensemble, suffisantes pour satisfaire aux objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, omis de tenir compte des moyens financiers dont disposait le groupe Gorgé. Il résulte par ailleurs de l'instruction, et n'est pas contesté, que l'autorité administrative a sciemment restreint son examen aux moyens de l'entreprise, en dépit des termes mêmes de l'article L. 1233-57-3 du code du travail qui fixent le cadre de son contrôle, tandis qu'elle n'ignorait pas que la société Baumert appartenait au groupe Gorgé. Le ministre du travail se prévaut, pour minimiser la gravité de la faute, de ce que l'autorité administrative a effectué des diligences en amont de sa saisine afin que la société améliore le contenu de son plan de sauvegarde de l'emploi et de ce que la référence au périmètre adéquat n'aurait probablement pas modifié le niveau des mesures retenues. Toutefois, une telle argumentation est seulement de nature à rompre, le cas échéant, le lien de causalité entre la faute commise et les préjudices dont se prévalaient les salariés mais demeure sans incidence sur le caractère fautif de l'illégalité commise par l'administration en n'examinant pas le périmètre et les moyens du groupe. Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction que la DIRECCTE aurait pris la même décision si elle avait procédé au contrôle qu'elle doit porter sur le plan de sauvegarde de l'emploi au regard des moyens du groupe. Dans les circonstances de l'espèce, alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le projet de la société Baumert aurait présenté des caractéristiques présentant des difficultés particulières, la carence de l'administration à examiner les moyens du groupe pour apprécier les mesures contenues dans le plan de sauvegarde de l'emploi revêt le caractère d'une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
En ce qui concerne le partage de responsabilité :
10. En application des principes généraux de la responsabilité de la puissance publique, il peut le cas échéant être tenu compte, pour déterminer l'étendue de la responsabilité de l'Etat à l'égard de l'employeur à raison de l'édiction d'une décision d'homologation d'un document unilatéral valant plan de sauvegarde de l'emploi entaché d'illégalité, au titre notamment du versement aux salariés licenciés des indemnités mises à la charge de l'employeur par le juge judiciaire, de la faute également commise par l'employeur en sollicitant la délivrance d'une telle décision.
11. Le ministre du travail se prévaut de ce que la société Baumert n'avait transmis aucun élément relatif à la situation du groupe auquel elle appartient. La société Baumert, qui fait valoir que l'autorité administrative n'ignorait pas son appartenance au groupe Gorgé, se borne à produire la lettre du 28 juillet 2014 par laquelle elle avait demandé l'homologation de son document unilatéral, dont l'entête fait état du groupe Gorgé, et dans laquelle apparaît la mention que les procédures de reclassement ont été initiées auprès des personnels concernés, " en vue de leur proposer les solutions alternatives existantes au sein du groupe ". Il ressort du document d'information du comité d'entreprise, transmis en vue de la consultation de celui-ci lors de la réunion exceptionnelle du 24 juin 2014, qu'il ne comporte, dans sa présentation des mesures d'accompagnement intégrant le plan de sauvegarde de l'emploi, aucune précision ni développement relatif aux différentes sociétés du groupe Gorgé, ni la moindre indication quant aux moyens d'accompagnement, notamment financiers, dont le groupe aurait disposé. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que la société Baumert, qui n'a pas même joint un organigramme du groupe Gorgé à sa demande d'homologation, aurait, pour proposer les mesures de son plan de sauvegarde de l'emploi telles qu'exigées par les articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du code du travail, tenu compte des moyens, notamment financiers, dont le groupe disposait. Dans les circonstances de l'espèce, la propre carence de l'employeur à fournir les éléments requis par la loi est de nature à exonérer l'Etat de la moitié de sa responsabilité.
Sur les préjudices :
12. La responsabilité d'une personne publique n'est susceptible d'être engagée que s'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes commises par cette personne et le préjudice subi par la victime.
13. Le ministre du travail ne saurait utilement soutenir qu'en mettant en œuvre les procédures de licenciement de ses salariés à la suite de la réception de la décision du 16 septembre 2014 portant homologation du document unilatéral valant plan de sauvegarde de l'emploi, la société Baumert s'est exposée en toute connaissance de cause au risque ayant entraîné les dommages dont elle demande la réparation. Il n'est ainsi pas fondé à soutenir que la société Baumert ne peut, par principe, prétendre à la réparation d'aucun préjudice.
En ce qui concerne le préjudice résultant des condamnations prononcées par les juridictions sociales :
14. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1235-16 du code du travail : " L'annulation de la décision de validation mentionnée à l'article L. 1233-57-2 ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-3 pour un motif autre que celui mentionné au dernier alinéa du présent article et au deuxième alinéa de l'article L. 1235-10 donne lieu, sous réserve de l'accord des parties, à la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. / A défaut, le salarié a droit à une indemnité à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9. / (...) ". Cette disposition est applicable aux annulations prononcées pour un motif autre que l'insuffisance de motivation de la décision administrative et que l'absence ou l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné à l'article L. 1233-61.
15. Il résulte de l'instruction que, par des arrêts du 20 septembre 2018, la cour d'appel de Versailles a, après avoir indiqué que les dispositions de l'article L. 1235-16 précité trouvaient à s'appliquer à la suite de l'annulation de la décision d'homologation de la DIRECCTE pour incompétence territoriale de son auteur, condamné la société Baumert à verser à chacun des salariés licenciés l'indemnité prévues à cet article compte tenu, notamment, de l'âge du salarié au moment de son licenciement, de son ancienneté dans l'entreprise et de la rémunération dont il bénéficiait. Le ministre du travail ne saurait à cet égard utilement contester devant le juge administratif le montant accordé à chacun des salariés. Par ailleurs, si le juge judiciaire a motivé ses arrêts en retenant le motif d'annulation confirmé par la cour administrative d'appel de Nancy, il aurait procédé à la même indemnisation, sur le même fondement, s'il avait également tenu compte de l'illégalité tenant à l'erreur de droit de la DIRECCTE dans la mise en œuvre de son contrôle. Par suite, le ministre du travail n'est pas fondé à soutenir que le préjudice résultant pour la société Baumert de sa condamnation à indemniser ses salariés licenciés à hauteur d'un total de 283 225,12 euros ne présente pas de lien direct et certain avec l'illégalité fautive de la décision d'homologation. Compte tenu du partage de responsabilité décidé ci-dessus, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Baumert de la somme de 141 612,56 euros.
16. En deuxième lieu, par des jugements des 7 juin et 8 juillet 2016, confirmés sur ce point par les arrêts de la cour d'appel de Versailles, la société Baumert a été condamnée à verser à chacun des quatorze salariés 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Il résulte de l'instruction que, dans huit des quatorze affaires, la société Baumert avait également été condamnée à verser à ses salariés soit un rappel d'indemnité de reclassement rapide soit le montant de primes d'objectifs. Toutefois, eu égard aux faibles montants accordés par rapport aux montants des indemnités mises à sa charge sur le fondement l'article L. 1235-16 du code du travail, la société Baumert doit être regardée, dans ces huit affaires, comme ayant essentiellement perdu ses procès au titre des conséquences de l'annulation de la décision homologuant son document unilatéral. Dans ces conditions, la condamnation de la société défenderesse à verser 1 000 euros à chacun des quatorze salariés, en application de l'article 700 du code de procédure civile, est en lien direct et certain avec la faute commise par l'administration. Compte tenu du partage de responsabilité décidé ci-dessus, il y a toutefois lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Baumert de la somme de 7 000 euros.
En ce qui concerne l'indemnisation des frais de justice exposés par la société :
17. En premier lieu, les frais de justice exposés devant le juge administratif en conséquence directe d'une faute de l'administration sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à celle-ci, dans les conditions suivantes. Lorsqu'une partie avait la qualité de demanderesse à une instance à l'issue de laquelle le juge annule pour excès de pouvoir une décision administrative illégale, la part de son préjudice correspondant à des frais exposés et non compris dans les dépens est réputée intégralement réparée par la décision que prend le juge dans l'instance en cause sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Lorsqu'en revanche une partie autre que l'administration ayant pris la décision illégale avait la qualité de défenderesse à une telle instance ou relève appel du jugement rendu à l'issue de l'instance ayant annulé cette décision, les frais de justice utilement exposés par elle, ainsi que, le cas échéant, les frais mis à sa charge par le juge au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à l'administration.
18. Il résulte de ce qui précède que la société Baumert est fondée à demander la réparation du préjudice résultant pour elle des frais de justice qu'elle a exposés devant le tribunal administratif de Strasbourg, pour un montant non contesté de 2 400 euros. Par suite, le ministre du travail n'est pas fondé à soutenir que ce préjudice serait sans lien direct et certain avec la faute commise. Compte tenu du partage de responsabilité décidée ci-dessus, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Baumert de la somme de 1 200 euros.
19. En second lieu, les frais et dépens qu'a définitivement supportés une personne en raison d'une instance judiciaire dans laquelle elle était partie, sont au nombre des préjudices dont elle peut obtenir réparation devant le juge administratif de la part de l'auteur du dommage, sauf dans le cas où ces frais et dépens sont supportés en raison d'une procédure qui n'a pas de lien de causalité directe avec le fait de cet auteur.
20. Il résulte des notes d'honoraires produites par la société Baumert qu'un certain nombre ne comportent pas l'intitulé du cabinet d'avocat qui les a émises. Par ailleurs, leurs intitulés " Baumert PSE ", " Baumert PSE (salariés protégés) ", " PSE ", " divers salariés (PSE), " Baumert PSE - salariés cadres et non cadres ", ne permettent pas, compte tenu de la période qu'elles couvrent, d'établir qu'elles couvriraient de manière certaine les frais engagés par la société Baumert devant le conseil de prud'hommes puis la cour d'appel de Versailles pour les seuls besoins des demandes formées par quatorze salariés sur le terrain de l'article L. 1235-16 du code du travail. Ainsi, la société Baumert n'établit pas qu'elle aurait supporté, à hauteur de 51 200 euros, des frais et dépenses dans les procédures judiciaires présentant un lien direct avec le dommage résultant pour elle de l'illégalité de la décision d'homologation. Par suite, le ministre du travail est fondé à soutenir que la société Baumert ne peut pas prétendre à une telle indemnisation au titre de ce chef de préjudice.
21. Il résulte de tout ce qui précède et compte tenu du partage de responsabilité ci-dessus établi, le montant de l'indemnité que l'Etat est condamné à verser à la société Baumert doit être fixé à la somme totale de 149 812,56 euros. Par suite, le ministre du travail est seulement fondé à demander la réformation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à la société Baumert une somme supérieure à ce montant.
Sur les frais liés au litige :
22. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la société Baumert et non compris dans les dépens.
23. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Baumert une somme au titre des frais exposés par l'Etat et non compris dans les dépens, dont il n'est au demeurant pas justifié.
D E C I D E :
Article 1er : La somme mise à la charge de l'Etat à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par la société Baumert est ramenée à 149 812,56 euros.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par le ministre du travail est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Baumert tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre du travail et de l'emploi et à la société par actions simplifiée Baumert.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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No 21NC03249