La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/11/2024 | FRANCE | N°23NC02937

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 15 novembre 2024, 23NC02937


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. et Mme E... ont respectivement demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 31 mai 2023 par lesquels la préfète du Bas-Rhin a refusé de leur renouveler leur attestation de demande d'asile, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et leur a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2303915, 2303916 d

u 7 juillet 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme E... ont respectivement demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 31 mai 2023 par lesquels la préfète du Bas-Rhin a refusé de leur renouveler leur attestation de demande d'asile, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et leur a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2303915, 2303916 du 7 juillet 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête, enregistrée le 19 septembre 2023, sous le numéro 23NC02937, Mme A... D... épouse E..., représentée par Me Burkatzki, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler l'arrêté du 31 mai 2023 de la préfète du Bas-Rhin ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation, dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, dans l'attente, de lui délivrer l'autorisation provisoire de séjour prévue par l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de huit jours, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement est irrégulier au motif qu'il n'a pas été signé par le magistrat statuant seul et le greffier d'audience ;

- la procédure contradictoire prévue à l'article L. 5 du code de justice administrative n'a pas été respectée ;

- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

- il a été signé par une autorité incompétente ;

- il est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas été tenu compte de sa demande d'admission au séjour déposée antérieurement à son édiction.

- il est entaché d'un défaut d'examen sérieux ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- il méconnaît les dispositions du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'en l'absence de réponse à sa demande d'admission au séjour, elle ne peut être regardée comme s'étant vue refuser un titre de séjour.

La préfète du Bas-Rhin a produit une pièce qui a été enregistrée le 30 novembre 2023 et non communiquée.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 août 2023.

II) Par une requête, enregistrée le 19 septembre 2023, sous le numéro 23NC02938, M. C... E..., représenté par Me Burkatzki, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler l'arrêté du 31 mai 2023 de la préfète du Bas-Rhin ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation, dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, dans l'attente, de lui délivrer l'autorisation provisoire de séjour prévue par l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de huit jours, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il se prévaut des mêmes moyens que ceux soulevés dans la requête n° 23NC02937.

La préfète du Bas-Rhin a produit une pièce qui a été enregistrée le 30 novembre 2023, non communiquée.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 août 2023.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Stenger a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme E..., ressortissants russes, nés respectivement le 4 août 1983 et le 13 octobre 1987, sont entrés irrégulièrement en France le 1er décembre 2016 afin d'y solliciter l'asile. Leur demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 28 décembre 2018, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 19 juillet 2021. M. et Mme E... ont déposé des demandes de réexamen de leurs demandes d'asile, qui ont fait l'objet de deux décisions d'irrecevabilité de l'OFPRA du 24 août 2021, confirmées par des décisions de la CNDA du 24 novembre 2021. Le 31 mai 2023, les requérants ont chacun déposé une seconde demande de réexamen de leur demande d'asile. Toutefois, par deux arrêtés du même jour, soit le 31 mai 2023, la préfète du Bas-Rhin leur a refusé le renouvellement de leur attestation de demande d'asile, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et leur a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant un an. M. et Mme E... font respectivement appel du jugement du 7 juillet 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la jonction :

2. Les requêtes enregistrées sous les n° 23NC02937 et 23NC02938 concernent la situation d'un couple et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a dès lors lieu de les joindre pour y statuer par un même jugement.

Sur la régularité du jugement :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Aux termes de l'article R. 741-8 du code de justice administrative : " Si le président de la formation est rapporteur, la minute est signée, en outre, par l'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau. Lorsque l'affaire est jugée par un magistrat statuant seul, la minute du jugement est signée par ce magistrat et par le greffier d'audience ".

4. La minute du jugement comporte la signature du magistrat statuant seul, ainsi que celle du greffier d'audience. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R.741-7 du code de justice administrative doit être écarté comme manquant en fait, nonobstant la circonstance que l'expédition du jugement attaqué qui a été notifiée aux requérants ne comporte pas ces signatures.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes. " Aux termes de l'article R. 776-24 du même code applicable en l'espèce en vertu des dispositions de l'article R. 776-13-2 : " Après le rapport fait par le président du tribunal administratif ou par le magistrat désigné, les parties peuvent présenter en personne ou par un avocat des observations orales. Elles peuvent également produire des documents à l'appui de leurs conclusions. Si ces documents apportent des éléments nouveaux, le magistrat demande à l'autre partie de les examiner et de lui faire part à l'audience de ses observations ". Aux termes de l'article R. 776-26 du même code : " L'instruction est close soit après que les parties ont formulé leurs observations orales, soit, si ces parties sont absentes ou ne sont pas représentées, après appel de leur affaire à l'audience ".

6. Il ressort des pièces du dossier que le tribunal administratif de Strasbourg a été saisi, le 7 juin 2023, des demandes de M. et Mme E..., présentées par leur conseil et que, dès le 9 juin 2023, les parties ont été dûment convoquées à l'audience prévue le 29 juin 2023 suivant à 14 heures. La préfète du Bas-Rhin a produit un premier mémoire en défense le 15 juin 2023 auquel les requérants ont répliqué le jour de l'audience à 11 heures 41, la préfète ayant connaissance de cette réplique à 13 heures 02. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le second mémoire en défense de la préfète du Bas-Rhin a été présenté, le même jour, à 14 heures 10, soit pendant l'audience et avant la clôture d'instruction, comme le lui permet les dispositions précitées de l'article R. 776-24 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En tout état de cause, dès lors que pour prendre les arrêtés en litige, la préfète du Bas-Rhin s'est exclusivement fondée sur les dispositions du 4°) de l'article

L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les requérants ne sauraient utilement faire valoir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité au motif qu'il y est fait référence, à plusieurs reprises, au moyen nouveau soulevé par la préfète du Bas-Rhin, dans son second mémoire en défense, tiré de ce que leurs demandes d'admission exceptionnelle au séjour, présentées sur le fondement de l'article L. 435-1 du même code, avaient fait l'objet de décisions implicites de rejet. Par conséquent, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait méconnu le caractère contradictoire de la procédure en violation des dispositions précitées de l'article L. 5 du code de justice administrative doit être écarté.

7. En troisième lieu, le jugement attaqué est suffisamment motivé. Par suite,

M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir qu'il aurait été pris en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative.

Sur la légalité des arrêtés attaqués :

En ce qui concerne les décisions portant refus de renouvellement des attestations de demande d'asile, portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et interdisant le retour des requérants en France pendant une durée d'un an :

8. En premier lieu, par un arrêté du 6 avril 2023, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, la préfète du Bas-Rhin a donné délégation à M. B..., chef du bureau de l'asile et de la lutte contre l'immigration irrégulière, à l'effet de signer les mesures en matière de police des étrangers dans des conditions qui ne sont pas contestées. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions contestées doit être écarté comme manquant en fait.

9. En second lieu, aux termes de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : (...) 2° Lorsque le demandeur : (...) c) présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen ". Aux termes de l'article L. 611-1 du même code : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...)/

3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; ".

10. Il ressort des pièces du dossier, particulièrement des relevés Telemofpra produits par la préfète du Bas-Rhin devant les premiers juges et dont les mentions font foi jusqu'à preuve du contraire, qu'après le rejet de leurs demandes d'asile par l'OFPRA puis par la CNDA, les requérants ont respectivement présenté une première demande de réexamen, rejetée en dernier lieu par la CNDA par des décisions du 18 octobre 2021 notifiées le 6 décembre 2021. Par conséquent, lorsque les requérants ont présenté une nouvelle demande de réexamen, le 31 mai 2023, ils ne bénéficiaient plus du droit de se maintenir sur le territoire français conformément aux dispositions précitées de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ils pouvaient faire l'objet d'une mesure d'éloignement sur le fondement des dispositions du 4°) de l'article L. 611-1 du même code. Par suite, les requérants ne sauraient utilement soutenir que les arrêtés en litige sont entachés d'un vice de procédure au motif que les autorités préfectorales n'auraient pas tenu compte de leurs demandes d'admission au séjour, sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 dudit code, déposées le 23 décembre 2023 et implicitement rejetées par la préfète du Bas-Rhin.

11. En troisième lieu, la circonstance que les deux arrêtés en litige ne font pas mention de leurs demandes d'admission au séjour présentées le 23 décembre 2023 sur le fondement des dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne saurait caractériser un défaut d'examen sérieux de leur situation par la préfète du Bas-Rhin dès lors que, pour les raisons indiquées au point précédent, ces arrêtés ont été édictés sur le fondement des dispositions du 4°) de l'article L. 611-1. Par suite, ce moyen doit être écarté.

12. En quatrième lieu, il ne ressort pas des termes des décisions litigieuses que la préfète du Bas-Rhin a refusé d'admettre les requérants au séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces deux articles doit être écarté comme étant inopérant.

13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Il ressort des pièces des dossiers que la durée de présence en France des requérants résulte principalement de la durée d'instruction de leurs demandes d'asile devant l'OFPRA et la CNDA. Par ailleurs, par les éléments qu'ils produisent, consistant en des attestations de participation à des cours de français ou à diverses actions associatives ou sportives ainsi qu'une promesse d'embauche, M. et Mme E... n'établissent pas avoir transféré en France le centre de leurs intérêts personnels et familiaux. De même, les intéressés ne sauraient se prévaloir de la scolarisation en France de leurs enfants mineurs puisque ces derniers ont vocation à les suivre. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment aux conditions de séjour des requérants en France, la préfète du Bas-Rhin, en adoptant les décisions attaquées, n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés une atteinte disproportionnée par rapport au but en vue desquelles lesdites décisions ont été prises. Par suite, les décisions attaquées n'ont pas méconnu les normes ci-dessus reproduites et ne sont pas davantage entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle des requérants.

En ce qui concerne les décisions fixant le pays de destination :

14. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

15. Ainsi que l'a estimé la Cour nationale du droit d'asile dans sa décision n° 21068674 du 20 juillet 2023, lorsqu'il peut être tenu pour établir qu'un ressortissant russe est appelé dans le cadre de la mobilisation partielle des réservistes du décret présidentiel russe n° 647 du 21 septembre 2022 ou d'un recrutement forcé, il est probable qu'il soit amené à participer, directement ou indirectement, à la commission de crimes de guerre dans le cadre de son service, étant donné l'objet même de la mobilisation partielle, l'impossibilité de refuser un ordre de mobilisation et compte tenu des conditions de déroulement du conflit armé entre la Russie et l'Ukraine, marqué par la commission à grande échelle de crimes de guerre par les diverses unités des forces armées russes, que ce soit dans les territoires contrôlés par l'Ukraine ou dans les territoires actuellement placés sous contrôle des autorités russes. Dans ces conditions, les insoumis à cette mobilisation et les mobilisés ayant déserté sont exposés, à raison de leur refus de participer aux opérations militaires menées par l'armée russe en Ukraine, à des sanctions constitutives de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

16. Il appartient au requérant de fournir l'ensemble des éléments pertinents permettant d'établir qu'il est effectivement soumis à une obligation militaire qui l'amènerait à participer, directement ou indirectement, à la commission de crimes de guerre. La seule appartenance à la réserve mobilisable ne permet pas d'établir qu'un ressortissant russe serait effectivement amené à commettre de tels crimes. Il lui incombe de fournir les éléments permettant d'établir qu'il est effectivement appelé à servir dans les forces armées dans le cadre de la mobilisation partielle du décret du 21 septembre 2022 ou d'un recrutement forcé.

17. Il ressort des pièces du dossier qu'un ordre de mobilisation au nom de M. E... a été établi par le chef de service au commissariat militaire de la République de Tchétchénie dans le district de Nadterechny dans le cadre de la mobilisation partielle des réservistes décrétée le 21 septembre 2022, prescrivant à l'intéressé de se présenter le 6 décembre 2022 au commissariat militaire de la République de Tchétchénie situé à Znamenskoe pour satisfaire à ses obligations militaires. La préfète du Bas-Rhin, qui n'a pas produit de mémoire en défense, n'établit pas ni même n'allègue que ce document, qui porte le cachet et la signature de l'autorité émettrice et qui a fait l'objet d'une traduction, serait dénué d'authenticité. Au regard de ce qui précède, M. E..., qui refuse d'être enrôlé dans l'armée russe dans le cadre du conflit armé prévalant actuellement en Ukraine, établit les risques de persécution auxquels il s'expose en cas de retour en Russie. Par ailleurs, la mise à exécution d'une mesure éloignant Mme E... vers la Russie, pays vers lequel son époux ne peut être éloigné, aurait pour effet d'entraîner un éclatement de la cellule familiale ainsi que des risques de persécutions à l'égard de l'intéressée, eu égard à la désertion de M. E.... Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que les décisions contestées, en tant qu'elles fixent la Russie comme pays de renvoi potentiel, méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

18. Le présent arrêt, qui se borne à annuler les décisions fixant le pays de destination, en tant que ces décisions fixent la Russie comme pays de renvoi potentiel, n'implique aucune mesure d'exécution particulière. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par M. et Mme E....

Sur les frais liés à l'instance :

19. L'Etat n'étant pas pour l'essentiel la partie perdante dans la présente instance, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

D E C I D E :

Article 1er : Les décisions du 31 mai 2023 fixant le pays à destination duquel

M. et Mme E... sont susceptibles d'être éloignés, en tant qu'elles fixent la Russie comme pays de renvoi potentiel, sont annulées.

Article 2 : Le jugement n° 2303915, 2303916 du 7 juillet 2023 du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. et Mme E... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... épouse E... et M. C... E..., à Me Burkatzki et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Martinez, président,

- M. Agnel, président assesseur,

- Mme Stenger, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2024.

La rapporteure,

Signé : L. StengerLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

23NC02937, 23NC02368 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02937
Date de la décision : 15/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Laurence STENGER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : BERARD JEMOLI SANTELLI BURKATZKI BIZZARRI

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-15;23nc02937 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award