Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales qui leur ont été assignés au titre de l'année 2014.
Par un jugement n° 2100328 du 31 mai 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a déchargé, en droits et pénalités, les impositions contestées et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 novembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rétablir à la charge des époux C... les impositions et pénalités litigieuses.
Il soutient que :
- la proposition de rectification ayant été distribuée et l'accusé de réception ayant été signé par une personne qui s'avère être un préposé des époux C..., il leur appartenait de rapporter la preuve que cette personne n'aurait pas eu qualité pour recevoir en leur nom leur courrier ; c'est en conséquence à tort, et en renversant la charge de la preuve, que le jugement a estimé que cette proposition de rectification n'avait pu interrompre le délai de prescription du droit de reprise prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ;
- les autres moyens invoqués par les époux C... ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 30 janvier 2023, M. et Mme C..., représentés par Me Boultif, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens invoqués par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Agnel ;
- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Boultif représentant M. et Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C... et Mme A... C... ont fait l'objet au cours de l'année 2017 d'un contrôle sur pièces de leurs revenus imposables. Par une proposition de rectification du 14 décembre 2017, le service vérificateur a porté à leur connaissance qu'il envisageait, notamment, de remettre en cause, selon la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, le régime de report d'imposition sous lequel avait été placée la plus-value constatée au titre de l'année 2014 résultant de l'apport par M. C... de ses actions de la SAS Croisieuropefinance à la SAS Croisifi, dans la mesure de la soulte encaissée par l'intéressé en échange de cet apport. Cette rectification a été refusée le 16 janvier 2018 et la position de l'administration a été confirmée, par lettre du 6 juillet suivant, dans sa réponse aux observations des contribuables. Les suppléments d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales au titre de l'année 2014 ont été mis en recouvrement au 31 décembre 2018 et la réclamation des contribuables a été rejetée le 19 novembre 2020. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel du jugement du 31 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a déchargé intégralement les contribuables de ces impositions et majorations.
Sur le motif de décharge retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu (...), le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ". Aux termes de l'article L. 189 du même livre : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de rectification, par la déclaration ou la notification d'un procès-verbal, de même que par tout acte comportant reconnaissance de la part des contribuables et par tous les autres actes interruptifs de droit commun ". Aux termes de l'article L. 57 du même livre : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Afin de revêtir le caractère interruptif de la prescription du droit de reprise, la notification d'une proposition de rectification prévue par les dispositions ci-dessus rappelées doit être effectuée à la dernière adresse communiquée par le contribuable à l'administration fiscale aux fins d'y recevoir ses courriers et, en cas de changement de domicile, il appartient au contribuable d'établir qu'il a accompli les diligences nécessaires pour informer l'administration de sa nouvelle adresse. Cette adresse est celle connue de l'administration fiscale à la date d'envoi du pli contenant la proposition de rectification. Toutefois, lorsqu'elle rapporte la preuve de ce que le domicile dont l'adresse lui a été indiquée présente un caractère fictif, l'administration peut retenir une autre adresse, si elle a établi qu'elle est celle où il réside effectivement. Enfin, le contribuable n'est pas privé des garanties que lui assure la procédure d'imposition au seul motif que le pli contenant l'acte de procédure a été envoyé à une autre adresse si ce pli lui est effectivement parvenu.
3. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que le pli contenant la proposition de rectification du 14 décembre 2017 a été présentée le 15 décembre 2017 à l'adresse du 25 rue Haute Corniche à Obernai (Bas-Rhin) alors même que les contribuables avaient informé l'administration, à l'occasion du dépôt de leur déclaration d'ensemble des revenus de l'année 2015, que leur résidence principale, à compter du 1er janvier 2016, était située au n° 39 de la même rue. Il est également établi que ce pli a été remis le 15 décembre 2017 par le préposé de la Poste à une personne qui a signé l'accusé de réception. Il n'est pas contesté que cette personne serait un préposé de Mme C..., chargé d'accueillir les clients de la maison d'hôtes exploitée par celle-ci au 25 rue Haute Corniche. En dépit de ces éléments, le courrier recommandé n'ayant pas été présenté au domicile des contribuables, il ne résulte pas de l'instruction que le pli contenant la proposition de rectification du 14 décembre 2017 ou que ce document lui-même serait parvenu aux époux C..., d'une manière ou d'une autre, avant l'expiration du délai de prescription du droit de reprise de l'administration, le 31 décembre 2017. Si les époux C... ont présenté le 16 janvier 2018 des observations en réponse à la proposition de rectification, en indiquant expressément n'avoir jamais reçu le pli recommandé du 14 décembre 2017, ce n'est qu'à la suite de la réception d'un courriel du service du 12 janvier 2018, leur adressant une copie de cette proposition de rectification, postérieurement à l'expiration du délai. Si le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient que le préposé de Mme C... avait nécessairement mandat implicite pour recevoir le courrier des contribuables, une telle circonstance ne résulte pas de l'instruction et rien ne vient établir qu'il leur a présenté le pli litigieux avant l'expiration du délai de prescription. Par suite, le ministre chargé des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que la proposition de rectification a pu interrompre la prescription du droit de reprise de l'administration s'agissant des revenus de l'année 2014.
4. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre chargé des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg, lequel n'a nullement inversé la charge de la preuve, a fait droit à la demande des époux C....
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux époux C... de la somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera aux époux C... la somme globale de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., Mme A... C... et au ministre du budget et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : M. AgnelLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre du budget et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 22NC02890
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