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05/11/2024 | FRANCE | N°23NC02517

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 05 novembre 2024, 23NC02517


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté 6 décembre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné.



Par un jugement n° 2208627 du 8 mars 2023, la vice-présidente désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2023, M. B..., représenté pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté 6 décembre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné.

Par un jugement n° 2208627 du 8 mars 2023, la vice-présidente désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2023, M. B..., représenté par Me Carraud, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 mars 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 6 décembre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et subsidiairement de réexaminer sa situation, en lui délivrant, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous la même condition d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle n'est pas motivée et ne démontre pas un examen particulier de sa situation ;

- elle a été prise en violation du droit d'être entendu ;

- la préfète du Bas-Rhin s'est estimée tenue de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement sans examiner sa situation et a ainsi commis une erreur de droit ;

- la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

sur la décision portant fixant le pays de destination :

- elle n'est pas motivée et ne démontre pas un examen particulier de sa situation ;

- elle doit être annulée en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

La procédure a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 30 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Barteaux a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant turc d'origine kurde, né en 2000, est entré en France, selon ses déclarations, en 2020. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides du 9 septembre 2021, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 4 février 2022. Sa demande de réexamen a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides du 29 avril 2022. Par un arrêté du 6 décembre 2022, pris sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète du Bas-Rhin a fait obligation à l'intéressé de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné. Par un jugement du 8 mars 2023, dont M. B... fait appel, la vice-présidente désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. (...) ".

3. La décision en litige mentionne les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est ainsi suffisamment motivée alors même que la préfète du Bas-Rhin n'a pas repris l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

4. En deuxième lieu, il ressort des motifs de la décision en litige que la préfète du Bas-Rhin a procédé à un examen de la situation personnelle et familiale de M. B... avant d'édicter à son encontre une mesure d'éloignement. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier doit être écarté.

5. En troisième lieu, le droit d'être entendu, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Ce droit ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

6. Dans le cas prévu au 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision portant obligation de quitter le territoire français est prise, notamment, après que la qualité de réfugié a été définitivement refusée à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Or, celui-ci est conduit, à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile, à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit reconnu la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, laquelle doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles et il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux, notamment au regard de sa situation dans son pays d'origine ou de sa situation personnelle et familiale.

7. Il n'est pas contesté que M. B... a pu faire valoir ses observations dans le cadre de l'examen initial de sa demande d'asile, puis de sa demande de réexamen en raison d'éléments nouveaux. Il ne pouvait ignorer qu'en cas de rejet de sa demande, il était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Par ailleurs, il ne soutient pas avoir vainement sollicité un entretien auprès des services préfectoraux, ni même avoir été empêché de présenter des observations avant que la préfète ne prenne la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les éléments qu'il invoque, notamment pour justifier des risques encourus en cas de retour en Turquie, auraient été de nature à influencer la décision prise à son encontre. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

8. En quatrième lieu, il ne ressort pas des motifs de la décision en litige que la préfète du Bas-Rhin, qui a examiné la situation du requérant, ainsi qu'il a été exposé au point 4, se serait crue tenue de prononcer une mesure d'éloignement à son encontre à la suite du rejet de sa demande d'asile. Le moyen tiré de l'erreur de droit doit, dès lors, être écarté.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré en France à l'âge de vingt ans. S'il se prévaut de la présence régulière sur le territoire français de deux cousins et d'un oncle, il n'apporte aucun élément pour établir l'intensité de leurs relations. En outre, il ne justifie pas avoir noué, au cours de la courte période de présence sur le territoire français en comparaison de celle passée dans son pays d'origine, des liens intenses et stables. Il n'est, en outre, pas isolé en Turquie où résident encore sa mère, son frère et sa sœur. Si sa maison a été détruite lors du séisme du 6 février 2023, cette circonstance, au demeurant postérieure à la décision contestée, n'est pas de nature à lui conférer un droit au séjour au titre de la vie privée et familiale. L'exercice d'une activité professionnelle en qualité d'agent polyvalent dans un restaurant ne suffit pas à établir que le centre de ses intérêts est désormais en France. Par suite, la préfète du Bas-Rhin n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes raisons, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

11. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé à l'encontre de la décision fixant le pays de destination et tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire, ne peut qu'être écarté.

12. En deuxième lieu, la décision en litige, après avoir visé notamment l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mentionne que M. B... n'a pas allégué être exposé à des peines ou traitements contraires à cette convention en cas de retour dans son pays d'origine. Elle comporte ainsi les motifs de droits et de fait qui en constituent le fondement.

13. En troisième lieu, il ne ressort ni de la décision en litige, ni d'aucune autre pièce du dossier que la préfète du Bas-Rhin n'aurait pas procédé à un examen de la situation de M. B... avant de déterminer le pays de renvoi. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier doit être écarté.

14. En quatrième lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

15. M. B... fait valoir qu'il encourt des risques de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 en cas de retour en Turquie en raison de ses origines kurdes pour lesquelles il a été victime durant son enfance de discriminations, de sa participation à une manifestation organisée par le parti démocratique du peuple à la suite de laquelle il a été interpellé par la police, de son objection de conscience et de propos qu'il a publiés et qui lui ont valu une condamnation à une peine d'emprisonnement. A l'appui de ce moyen, l'intéressé a produit la traduction d'une condamnation du 5 août 2020 à une pénalité administrative en répression du délit de déserteur, celle d'un acte d'accusation pour une insulte envers le président de la République de Turquie ainsi que la copie d'une demande d'émission d'un mandat d'arrêt pour l'exécution d'un jugement du 14 septembre 2021 le condamnant à une peine de 2 ans, 2 mois et 17 jours pour l'infraction d'insulte au président de la République et d'apologie de l'organisation terroriste du parti des travailleurs du Kurdistan. Toutefois, la seule production de ces documents, dont l'authenticité n'est aucunement établie et qui sont antérieurs à l'examen de sa demande d'asile, ne suffit pas à démontrer qu'il encourt réellement le risque de subir des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Turquie. La réalité des discriminations du fait de son origine kurde dont il se déclare victime, y compris lorsqu'il travaillait, n'est établie par aucune pièce. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 4 février 2022 et l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté, le 29 avril suivant, sa demande de réexamen. Enfin, la destruction de la maison de l'intéressé par un séisme est sans incidence sur le bien-fondé de la décision en litige. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

16. En cinquième et dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 10, les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation et de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la vice-présidente désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Il s'ensuit que ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie de l'arrêt sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- M. Barteaux, président assesseur,

- M. Lusset, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.

Le rapporteur,

Signé : S. Barteaux

La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

N° 23NC02517 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02517
Date de la décision : 05/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : CARRAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-05;23nc02517 ?
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