Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 14 avril 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il serait éloigné.
Par un jugement n° 2302105 du 19 octobre 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 janvier 2024, M. A..., représenté par la SCP A. Levi-Cyferman et L. Cyferman, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 19 octobre 2023 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 14 avril 2023 pris à son encontre par le préfet de Meurthe-et-Moselle ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour avec autorisation de travail, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle ;
- le préfet a méconnu l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que l'examen du caractère réel et sérieux des études n'est pas une condition prévue par les dispositions de cet article ;
- il n'a pas été mis à même de présenter ses observations préalablement à l'édiction de l'arrêté en litige en méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- l'arrêté en litige a été pris par une autorité incompétente ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet n'a pas examiné s'il y avait lieu de prolonger le délai de départ volontaire en méconnaissance des dispositions du paragraphe 2 de l'article 7 de la directive 2008/115/CE et de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mai 2024, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il s'en remet à ses écritures de première instance
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michel, premier conseiller,
- et les observations de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant haïtien né le 20 novembre 2001, est entré le 10 juillet 2017 et a été muni d'un document de circulation pour enfant mineur valable du 10 octobre 2017 au 19 novembre 2019. Après sa majorité, il a sollicité un titre de séjour en qualité d'étudiant le 26 avril 2021 et a alors bénéficié de récépissés régulièrement renouvelés pour la période allant du 22 juin 2021 au 29 juin 2023. Par arrêté du 14 avril 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixé le pays de destination. Par un jugement du 19 octobre 2023, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. En premier lieu, l'arrêté en litige a été signé par M. Julien Le Goff, secrétaire général de la préfecture auquel le préfet de Meurthe-et-Moselle a, par un arrêté du 8 août 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le même jour, délégué sa signature à l'effet de signer, notamment, les décisions en matière de police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté.
3. En deuxième lieu, l'arrêté en litige indique les dispositions légales sur lesquelles il s'appuie et rappelle de manière suffisamment précise les éléments relatifs à la situation de M. A... et est, ainsi, suffisamment motivé.
4. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier et en particulier des termes mêmes de l'arrêté litigieux que le préfet de Meurthe-et-Moselle a procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de M. A....
5. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ".
6. D'une part, dès lors que l'arrêté intervient en réponse à la demande de titre de séjour présentée par M. A..., ce dernier ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration. D'autre part, il résulte des dispositions du livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français. Dès lors, la procédure contradictoire préalable prévue par les dispositions des articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration n'est pas applicable aux décisions énonçant une obligation de quitter le territoire français et aux décisions subséquentes. Par suite, M. A... ne peut utilement invoquer la méconnaissance de ces dispositions.
7. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 422-1 de ce code : " L'étranger qui établit qu'il suit un enseignement en France ou qu'il y fait des études et qui justifie disposer de moyens d'existence suffisants se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " d'une durée inférieure ou égale à un an (...) ".
8. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a sollicité le 26 avril 2021 la délivrance d'une première carte de séjour en qualité d'étudiant, en justifiant de son inscription en première année de licence langues, littératures et civilisations étrangères, option espagnole, à l'université de Lorraine et a ensuite bénéficié de récépissés régulièrement renouvelés pour la période allant du 22 juin 2021 au 29 juin 2023. Par l'arrêté en litige, le préfet a refusé de délivrer un titre de séjour à M. A... en se fondant sur l'absence de caractère réel et sérieux de ses études, condition qui n'est pas prévue par les dispositions précitées de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour la première délivrance d'une carte de séjour en qualité d'étudiant.
9. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
10. Le préfet de Meurthe-et-Moselle soutient que le motif tiré de l'absence de visa de long séjour peut être substitué au motif tiré de l'absence de caractère réel et sérieux des études poursuivies.
11. Aux termes de l'article L. 412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1 ". Aux termes de l'article R. 431-5 du même code : " Si l'étranger séjourne déjà en France, sa demande est présentée dans les délais suivants : / 1° L'étranger qui dispose d'un document de séjour mentionné aux 2° à 8° de l'article L. 411-1 présente sa demande de titre de séjour entre le cent-vingtième jour et le soixantième jour qui précède l'expiration de ce document de séjour lorsque sa demande porte sur un titre de séjour figurant dans la liste mentionnée à l'article R. 431-2. Lorsque sa demande porte sur un titre de séjour ne figurant pas dans cette liste, il présente sa demande dans le courant des deux mois précédant l'expiration du document dont il est titulaire ; / 2° Au plus tard la veille de son dix-neuvième anniversaire, pour l'étranger mentionné aux articles L. 421-22, L. 421-23, L. 421-26 à L. 421-29, L. 421-30 à L. 421-33, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L. 423-22, L. 424-1, L. 424-3, L. 424-24 ou L. 426-1 ; / 3° Au plus tard, deux mois après la date de son dix-huitième anniversaire, s'il ne remplit pas les conditions de délivrance de l'un des titres de séjour mentionnés au 2 (...) ".
12. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France le 10 juillet 2017 et a été muni d'un document de circulation pour enfant mineur valable du 10 octobre 2017 au 19 novembre 2019. Après sa majorité, l'intéressé a sollicité un titre de séjour en qualité d'étudiant le 26 avril 2021. Cette demande de délivrance d'une carte de séjour présente le caractère d'une première demande, soumise à la condition de la production d'un visa de long séjour. M. A... n'ayant pas justifié qu'il était titulaire d'un visa de long séjour lors de cette demande, l'administration pouvait légalement refuser de lui délivrer ce titre. Cette substitution de motif ne privant pas l'intéressé d'une garantie, il a lieu de faire droit à la substitution demandée.
13. En sixième lieu, le moyen tiré d'une atteinte au droit à la vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant pour contester le refus de délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étudiant, sauf dans l'hypothèse où le préfet examine d'office si l'étranger est susceptible de se voir délivrer un titre sur le fondement de la vie privée et familiale. Pour refuser de délivrer à M. A... un titre de séjour, il ressort des termes de la décision de refus de titre de séjour en litige que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas examiné d'office son droit au séjour au titre de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales présenté contre le refus de titre de séjour doit être écarté comme inopérant.
14. En septième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
15. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite du décès de sa mère, M. A... a été recueilli dès son plus jeune âge par une tierce personne de nationalité française avec laquelle il a constamment vécu en Haïti puis en République Dominicaine avant de rejoindre ensemble la France au mois de juillet 2017 et que par un acte du 14 août 2018, établi à Haïti, le père de l'intéressé a confié à cette tierce personne la charge notamment physique et morale de son fils alors mineur. Dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de l'ancienneté et de l'intensité particulière de la relation entre M. A... et cette tierce personne qui réside en France, la décision portant obligation de quitter le territoire français a porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il s'ensuit que la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions accordant un délai de départ volontaire de trente jours et fixant le pays de destination.
16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions du 14 avril 2023 par lesquelles le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
17. Le présent arrêt, qui fait seulement droit aux conclusions présentées par M. A... à fin d'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions du requérant tendant à ce que lui soit délivré un titre de séjour doivent être rejetées. Il y a seulement lieu d'enjoindre à la préfète de Meurthe-et-Moselle de statuer à nouveau sur la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans cette attente, et sans délai, une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais liés à l'instance :
18. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Annie Levi-Cyferman, conseil de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat d'une somme de 1 200 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2302105 du 19 octobre 2023 du tribunal administratif de Nancy est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation des décisions du 14 avril 2023 par lesquelles le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Article 2 : Les décisions du 14 avril 2023 du préfet de Meurthe-et-Moselle portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de Meurthe-et-Moselle de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'Etat versera à Me Annie Levi-Cyferman, avocat de M. A..., une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Annie Levi-Cyferman renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Annie Levi-Cyferman et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Michel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : A. MichelLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
V. Firmery
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N° 24NC00110