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17/10/2024 | FRANCE | N°23NC02757

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 17 octobre 2024, 23NC02757


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... et Mme D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés des 17 et 18 juillet 2023, respectivement, par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle, d'une part, leur a fait obligation de quitter le territoire français sans délai ainsi qu'interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de dix-huit mois et, d'autre part, les a assignés à résidence.



Par un jugement n° 2302182, 2302195 du 25 juillet 2023, le

magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... et Mme D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés des 17 et 18 juillet 2023, respectivement, par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle, d'une part, leur a fait obligation de quitter le territoire français sans délai ainsi qu'interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de dix-huit mois et, d'autre part, les a assignés à résidence.

Par un jugement n° 2302182, 2302195 du 25 juillet 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I.) Par une requête, enregistrée le 24 août 2023 sous le n° 23NC02757, Mme B..., représentée par Me André, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il la concerne ;

2°) d'annuler les arrêtés du 18 juillet 2023 ;

3°) de prendre une mesure d'injonction de la décision à intervenir, dans les plus brefs délais, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision en litige est entachée d'insuffisance de motivation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations des articles 3-1, 9 et 16 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

S'agissant de la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;

S'agissant de la légalité de la décision d'assignation à résidence :

- la décision en litige est entachée de défaut de motivation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2023, la préfète de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

II.) Par une requête, enregistrée le 24 août 2023 sous le n° 23NC02758, M. A..., représenté par Me André, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 25 juillet 2023 en tant qu'il le concerne ;

2°) d'annuler les arrêtés du 17 juillet 2023 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il développe les mêmes moyens et fait valoir les mêmes arguments que son épouse dans la requête n 23NC02757.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2023, la préfète de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brodier,

- les observations de Me André, avocat de M. A... et de Mme B..., présents.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... et Mme B..., ressortissants arméniens nés tous les deux en 1993, sont entrés sur le territoire français le 24 août 2014 et, respectivement, en novembre 2018. Ils ont été placés en retenue pour vérification de leur droit au séjour par la police aux frontières de Villers-lès-Nancy suite à une procédure judiciaire de faux et usage de faux, tentative d'obtention d'un document administratif et déclaration mensongère. Par des arrêtés des 17 et 18 juillet 2023 respectivement, le préfet de Meurthe-et-Moselle leur a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et leur a fait interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de dix-huit mois. Par des arrêtés des mêmes jours, il les a également assignés à résidence. Par leurs requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul arrêt, M. A... et Mme B... relèvent appel du jugement du 25 juillet 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la légalité des obligations de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, il ressort des termes mêmes des décisions portant obligation de quitter le territoire français, adoptées sur le fondement du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'elles rappellent que M. A... a fait l'objet d'un refus implicite de délivrance d'un titre de séjour par une décision du 6 juillet 2020 et Mme B... par une décision du 19 août 2019. Elles comportent ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation des décisions en litige doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. Si M. A... résidait sur le territoire français depuis presque neuf ans à la date de la décision en litige, son épouse n'y séjournait que depuis quatre ans et huit mois. Ils doivent la durée de leur séjour en France à leur maintien sur le territoire en dépit de trois mesures d'éloignement pour le requérant, d'une pour la requérante. Le requérant dispose d'attaches familiales en France, ses parents, son frère et sa sœur étant en situation régulière à la date de la décision en litige. Toutefois, il n'est entré sur le territoire que deux à quatre années après eux et n'établit pas l'intensité des liens qu'ils auraient renoués en France. Mme B... n'allègue pas disposer d'autres attaches personnelles sur le territoire. Les requérants ne produisent pas la moindre pièce permettant d'établir leur intégration dans la société française. Enfin, la seule circonstance que leur fille est née en France et y est scolarisée en maternelle n'est pas de nature à établir qu'ils auraient définitivement ancré sur le territoire l'essentiel de leur vie privée et familiale. Dans ces conditions, et alors que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantit pas à l'étranger le droit de choisir le lieu le plus approprié pour poursuivre sa vie familiale, M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions en litige méconnaissent ces stipulations.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

6. Contrairement à ce que les requérants soutiennent, les décisions en litige, qui ont pour objet de les éloigner tous deux du territoire français n'ont pas pour effet de les séparer de leur fille de trois ans. Par ailleurs, il n'est pas justifié que leur cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer en Arménie, qui est leur pays de nationalité. Il n'est pas non plus établi que la petite fille, qui commençait seulement sa scolarité en France, ne pourrait pas la poursuivre dans le pays d'origine de ses parents. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, et de l'article 16 de la même convention, doit être écarté.

7. En quatrième lieu, les stipulations de l'article 9-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ne créant que des obligations entre Etats, les requérants ne sauraient utilement s'en prévaloir pour contester les mesures d'éloignement en litige.

8. En dernier lieu, les décisions par lesquelles le préfet a fait obligation à M. et Mme A... de quitter le territoire français sont distinctes des décisions fixant le pays à destination duquel ils pourront être éloignés. Les premières n'ayant ni pour objet ni pour effet de fixer le pays de destination, les requérants ne sauraient utilement, pour les contester, soutenir qu'ils seront exposés à des menaces à raison de la situation financière et militaire de l'Arménie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté comme inopérant.

Sur la légalité des décisions portant interdiction de retour sur le territoire français :

9. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

10. Pour prononcer des interdictions de retour d'une durée de dix-huit mois, le préfet de Meurthe-et-Moselle a retenu que les intéressés avaient déjà fait l'objet de précédentes mesures d'éloignement, qu'ils faisaient l'objet d'une procédure judiciaire pour usage de faux documents, a tenu compte de la durée de leur séjour en France, de ce qu'ils pouvaient reconstituer leur cellule familiale en Arménie avec leur fille, et a indiqué qu'ils ne justifiaient d'aucune circonstance humanitaire particulière. S'il n'est pas contesté que les requérants ont des attaches familiales en France, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'eu égard notamment aux conditions de séjour des intéressés sur le territoire, les interdictions de retour prononcées à leur encontre seraient entachées d'erreur d'appréciation de leur situation.

Sur la légalité des décisions d'assignation à résidence :

11. En premier lieu, il ressort des termes mêmes des décisions en litige qu'elles comportent l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de ces décisions au regard des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ne peut qu'être écarté.

12. En deuxième lieu, les décisions en litige assignent M. et Mme A... à résidence au sein de la Métropole du Grand Nancy, leur imposent une présentation les lundi et mercredis auprès des services de police et de demeurer quotidiennement dans leur logement de 6 heures à 9 heures. Contrairement à ce que les requérants soutiennent, ils ne sont pas privés de leur liberté de circulation. La circonstance qu'ils n'ont jamais fait l'objet d'une condamnation pénale est sans incidence sur la légalité des mesures en litige. Enfin, l'assignation à résidence étant moins coercitive qu'une mesure de rétention administrative, et le préfet de Meurthe-et-Moselle ayant tenu compte de leur situation, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les décisions en litige seraient disproportionnées ni qu'elles méconnaîtraient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... et M. A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés des 17 et 18 juillet 2023. Par suite, leurs requêtes doivent être rejetées en toutes leurs conclusions, y compris celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes de Mme B... et de M. A... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.

Délibéré après l'audience du 26 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 23NC02757, 23NC02758


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02757
Date de la décision : 17/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : ANDRE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-17;23nc02757 ?
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