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17/10/2024 | FRANCE | N°21NC02078

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 17 octobre 2024, 21NC02078


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société anonyme (SA) Rothenberger a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 13 décembre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. E... pour insuffisance professionnelle ainsi que la décision du 19 juin 2020 par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique.



Par un jugement n° 2004929 du 25 mai 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces deux

décisions, enjoint à l'administration de procéder à un réexamen de la demande d'autorisation de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Rothenberger a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 13 décembre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. E... pour insuffisance professionnelle ainsi que la décision du 19 juin 2020 par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique.

Par un jugement n° 2004929 du 25 mai 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces deux décisions, enjoint à l'administration de procéder à un réexamen de la demande d'autorisation de licencier M. E... présentée par la société Rothenberger, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 25 mai 2021 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la SA Rothenberger devant les premiers juges.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'aucun texte législatif ou réglementaire, ni aucun principe n'impose d'obligation de reclassement à l'employeur dans le cas du licenciement d'un salarié protégé pour insuffisance professionnelle, et que l'absence de recherche de poste de reclassement ne fait pas obstacle, par elle-même, à une autorisation administrative de licenciement pour insuffisance professionnelle ; la jurisprudence administrative précise que cette obligation de reclassement s'impose à l'employeur dans un tel cas et qu'il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier l'effectivité et le sérieux de la recherche de solution de reclassement ;

- en l'espèce, il ressort des rapports d'enquêtes administratives que la société Rothenberger n'a effectué aucune recherche de reclassement au bénéfice de M. E....

La requête a été communiquée le 20 juillet 2021 à la société anonyme (SA) Rothenberger et à M. E..., qui n'ont pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique, en présence de M. E... :

- le rapport de Mme Laurence Stenger, première conseillère,

- les conclusions de Mme B..., Mosser rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme (SA) Rothenberger, qui exerce une activité de commercialisation de fournitures et équipements industriels auprès d'entreprises et de commerces, a demandé, le 14 octobre 2019, l'autorisation de licencier pour insuffisance professionnelle M. E..., délégué commercial et salarié protégé en sa qualité de conseiller du salarié de la région Bourgogne-Franche-Comté. Par une décision du 13 décembre 2019, l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser ce licenciement. Le recours hiérarchique formé le 6 février 2020 par la société anonyme Rothenberger a fait l'objet d'une décision expresse de rejet édictée par la ministre du travail le 19 juin 2019. La ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion relève appel du jugement du 25 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a, la demande de SA Rothenberger, annulé ces deux décisions.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Pour annuler les deux décisions en litige, les premiers juges ont considéré que l'inspectrice du travail puis la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion avaient commis une erreur de droit au motif qu'aucun texte législatif ou réglementaire ni aucun principe n'impose d'obligation de reclassement à un employeur qui souhaite licencier un salarié auquel il reproche une insuffisance professionnelle, les dispositions du code du travail ne prévoyant une telle obligation que dans les hypothèses où le licenciement est justifié soit par un motif économique soit par l'inaptitude physique du salarié. Le tribunal administratif de Strasbourg a par conséquent estimé que l'absence de recherche de reclassement ne faisait pas, par elle-même, obstacle au licenciement pour insuffisance professionnelle de M. E....

3. Toutefois, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, ne peut intervenir que sur une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'insuffisance professionnelle, il appartient à l'inspecteur du travail et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette insuffisance est telle qu'elle justifie le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi, et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise.

4. Il ressort des pièces du dossier que la demande de licenciement de M. E..., salarié protégé en sa qualité de conseiller du salarié, présentée le 14 octobre 2019 par la société Rothenberger à l'autorité administrative, était expressément fondée sur l'insuffisance professionnelle de l'intéressé. Dans ces conditions, il appartenait à l'autorité administrative, eu égard aux règles rappelées ci-dessus, de vérifier que la société Rothenberger avait satisfait à l'obligation de rechercher la possibilité d'assurer le reclassement du salarié. Or, il ressort des deux rapports de l'inspectrice du travail en date des 13 mars et 5 juin 2020, que, préalablement au dépôt de sa demande d'autorisation de licenciement pour insuffisance professionnelle de M. E..., la SA Rothenberger n'a pas recherché la possibilité de le reclasser au sein de l'entreprise. Dans ces conditions, l'inspectrice du travail pouvait légalement et pour ce seul motif refuser d'autoriser ledit licenciement sans que la société Rothenberger puisse, à titre subsidiaire, utilement soutenir, dans le cadre de l'instance devant les premiers juges, qu'aucun poste de reclassement n'était en définitive possible. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont annulé les deux décisions en litige au motif que l'absence de recherche de reclassement ne faisait pas, par elle-même, obstacle au licenciement pour insuffisance professionnelle de M. E....

5. Il résulte de ce qui précède que la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a retenu ce moyen pour annuler les deux décisions du 13 décembre 2019 et du 6 février 2020. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Rothenberger à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de ces deux décisions.

Sur les autres moyens :

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 3 janvier 2020, le directeur général du travail a donné délégation de signature à Mme C... D..., directrice adjointe du travail, adjointe à la cheffe du bureau du statut protecteur, aux fins de signer, dans la limite des attributions du bureau du statut protecteur et au nom de la ministre chargé du travail tous actes, décisions ou conventions à l'exclusion des décrets. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte en litige doit être écarté.

7. En deuxième lieu, et comme il a été dit au point 4 du présent arrêt, la circonstance invoquée à titre subsidiaire par la société requérante, postérieurement à sa demande d'autorisation de licenciement du 14 octobre 2019, qu'aucun reclassement de M. E... n'était possible à la date du licenciement pour insuffisance professionnelle de ce dernier, en l'admettant même établie, est sans incidence sur la légalité des deux décisions contestées.

8. En troisième et dernier lieu, l'autorité administrative ne peut autoriser le licenciement d'un salarié protégé pour un motif distinct de celui invoqué par l'employeur à l'appui de sa demande. Il est constant que dans sa demande d'autorisation de licenciement du 14 octobre 2019, la SA Rothenbeger s'était bornée à invoquer l'insuffisance professionnelle de M. E.... Par conséquent, contrairement à ce que soutient la SA Rothenbeger, l'inspectrice du travail et la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ne pouvaient se prononcer qu'eu égard à ce motif, sans pouvoir rechercher si le comportement de M. E... était fautif.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions susvisées du 13 décembre 2019 et du 6 février 2020.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2004929 du tribunal administratif de Strasbourg du 25 mai 2021 est annulé.

Article 2 : La demande de la société Rothenberger présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre du travail et de l'emploi, à la SA Rothenberger et à M. A... E....

Délibéré après l'audience publique du 26 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Stenger, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.

La rapporteure,

Signé : L. Stenger Le président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre du travail et de l'emploi en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

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