Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel le préfet de la Meuse lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et l'a assignée à résidence.
Par un jugement n° 2301888 du 27 juin 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 septembre 2023, Mme B... A..., représentée par Me Lévi-Cyferman, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 27 juin 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel le préfet de la Meuse lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'an et l'a assignée à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Meuse de lui délivrer un titre de séjour avec une autorisation de travail et, subsidiairement, de réexaminer sa situation et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
à l'encontre du jugement :
- le jugement, qui n'a pas tenu compte des arguments invoqués en première instance, est insuffisamment motivé ;
- le jugement écarte à tort les moyens tirés du défaut de motivation de la décision en litige, du défaut d'examen de sa situation particulière et de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation ;
à l'encontre de l'arrêté en litige :
- l'insuffisante motivation de l'arrêté révèle un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle n'a pas pu présenter ses observations en méconnaissance de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la compétence du signataire de l'arrêté n'est pas établie ;
- le préfet s'est estimé en situation de compétence liée en s'abstenant d'examiner s'il y avait lieu de prolonger le délai de départ volontaire en violation de l'article 7 de la directive n° 2008/115/CE et de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision méconnaît le droit d'être entendu garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de droit, méconnaît les articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la mesure d'interdiction de séjour, sur son principe et sa durée n'est pas justifiée alors même qu'il existe des circonstances humanitaires s'opposant à son prononcé ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- par exception d'illégalité l'obligation de quitter le territoire sera également annulée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 novembre 2023, le préfet de la Meuse conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est tardive ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 7 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barteaux, président,
- et les observations de Mme A..., requérante.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante albanaise, est entrée en France, selon ses déclarations, en 2022, accompagnée de son époux et de leurs trois enfants, mineurs. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 8 juillet 2022, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 29 novembre 2022. Par un arrêté du 5 juin 2023, pris sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Meuse lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et l'a assignée à résidence. Par un jugement du 27 juin 2023, dont Mme A... fait appel, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ne ressort ni des motifs du jugement attaqué, ni des pièces du dossier que le tribunal administratif n'aurait pas tenu compte des arguments invoqués par Mme A... pour établir l'insuffisante motivation de l'arrêté contesté. La critique d'une part, de l'appréciation que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a porté sur le caractère suffisant de la motivation de l'arrêté et d'autre part, de l'examen par le préfet de sa situation relèvent du bien-fondé du jugement est sans incidence sur sa régularité.
3. Si la requérante conteste également l'appréciation portée par la magistrate désignée sur les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'erreur manifeste d'appréciation, de tels moyens, qui relèvent du bien-fondé du jugement, sont également sans incidence sur sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, la requérante reprend les moyens tirés de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté, de l'insuffisance de motivation de l'arrêté en litige, du défaut d'examen particulier, de la méconnaissance de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration et de la méconnaissance du droit à être entendu garanti par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à juste titre par la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy aux points 4, 6, 5 et 7 à 8 qui n'appellent aucune précision.
5. En deuxième lieu, les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent être utilement invoqués à l'encontre de l'arrêté en litige qui ne refuse aucun titre de séjour.
6. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. D'autre part, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée en France en mars 2022, soit depuis à peine plus d'un an à la date de la décision attaquée. Son époux, de même nationalité qu'elle, fait également l'objet d'une mesure d'éloignement. Si la requérante se prévaut de ses efforts d'intégration notamment par son engagement dans une association et l'apprentissage du français, elle n'apporte, toutefois, aucun autre élément de nature à justifier de liens qu'elle aurait tissés sur le territoire en dehors de ceux établis avec sa famille. Si ses enfants sont scolarisés en France, elle ne fait état d'aucune circonstance qui s'opposerait à la reconstitution de la cellule familiale dans son pays d'origine, où les enfants pourront poursuivre leur scolarité. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doivent être écartés.
9. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 8, Mme A... n'établit pas que le préfet de la Meuse aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation en édictant l'arrêté contesté.
10. En cinquième lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui a repris les dispositions de l'article L. 513-2 du même code, abrogées depuis mai 2021 : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
11. Mme A... fait valoir qu'elle sera exposée à des risques de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 en cas de retour en Albanie en raison de menaces dont son époux a fait l'objet. Pour établir la réalité de ses craintes, l'intéressée a produit un bulletin d'hospitalisation de son époux, le 8 décembre 2021, à la suite de blessures corporelles, un récépissé du dépôt d'une plainte, le 5 décembre 2021, pour des faits de menaces contre trois personnes non identifiées ainsi qu'une lettre anonyme de menaces que son frère aurait trouvée sur le palier de sa maison en Albanie. Toutefois, ces seuls éléments ne suffisent pas à établir que l'intéressée encourt des risques actuels et personnels, ni, à les supposer même établis, que les services de police ne seraient pas en mesure d'assurer sa protection et celle de sa famille. Au demeurant, ainsi qu'il a été exposé au point 1, sa demande d'asile a été rejetée. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
12. En dernier lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par adoption des motifs retenus par la magistrate désignée au point 16 de son jugement qui n'appellent aucune précision.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Il s'ensuit que ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie de l'arrêt sera adressée au préfet de la Meuse.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Barteaux, président assesseur,
- M. Lusset, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : S. Barteaux
La présidente,
Signé : V. Ghisu-DeparisLa greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
N° 23NC02931 2