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23/07/2024 | FRANCE | N°23NC03662

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 23 juillet 2024, 23NC03662


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuses antérieures :



M. B... et Mme C... A... ont demandé chacun au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés des 20 juillet et 25 septembre 2023 par lesquels la préfète du Bas-Rhin, d'une part, a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de leur éventuelle reconduite d'office à la frontière, d'autre part, leur a interdit le retour en France pendant u

n an, enfin, a prononcé leur assignation à résidence dans le département du Bas-Rhin pou...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. B... et Mme C... A... ont demandé chacun au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés des 20 juillet et 25 septembre 2023 par lesquels la préfète du Bas-Rhin, d'une part, a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de leur éventuelle reconduite d'office à la frontière, d'autre part, leur a interdit le retour en France pendant un an, enfin, a prononcé leur assignation à résidence dans le département du Bas-Rhin pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2305458-2305459-2306806-2306808-2306809-2306810 du 6 octobre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a renvoyé à une formation collégiale de ce tribunal les conclusions à fin d'annulation de M. et de Mme A... en tant qu'elles sont dirigées contre les décisions du 20 juillet 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour, ainsi que les conclusions accessoires dont elles sont assorties, et a rejeté le surplus des conclusions des demandes.

Par deux jugements n° 2305458 et n° 2305459 du 28 novembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les conclusions à fin d'annulation de M. et de Mme A... en tant qu'elles sont dirigées contre les décisions du 20 juillet 2023 portant refus de séjour, ainsi que les conclusions accessoires dont elles sont assorties.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 16 décembre 2023, sous le n° 23NC03662, Mme C... A..., représentée par Me Kling, doit être regardée comme demandant à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2305458-2305459-2306806-2306808-2306809-2306810 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 6 octobre 2023 en tant qu'il se prononce sur ses demandes ;

2°) d'annuler les décisions de la préfète du Bas-Rhin des 20 juillet et 25 septembre 2023 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixation du pays de destination, interdiction de retour en France pendant un an et assignation à résidence, prises à son encontre ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relatif à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours méconnaît les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision méconnaît également les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision portant interdiction de retour en France est insuffisamment motivée ;

- cette décision est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;

- la décision portant assignation à résidence est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors que la préfète du Bas-Rhin ne démontre pas en quoi il était justifié et proportionné de prendre à son encontre une telle mesure.

La requête a été régulièrement communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas défendu dans la présente instance.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 décembre 2023.

II. Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2023, sous le n° 23NC03663, M. B... A..., représenté par Me Kling, doit être regardé comme demandant à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2305458-2305459-2306806-2306808-2306809-2306810 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 6 octobre 2023 en tant qu'il se prononce sur ses demandes ;

2°) d'annuler les décisions de la préfète du Bas-Rhin des 20 juillet et 25 septembre 2023 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixation du pays de destination, interdiction de retour en France pendant un an et assignation à résidence, prises à son encontre ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relatif à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours méconnaît les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision méconnaît également les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision portant interdiction de retour en France est insuffisamment motivée ;

- cette décision est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;

- la décision portant assignation à résidence est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors que la préfète du Bas-Rhin ne démontre pas en quoi il était justifié et proportionné de prendre à son encontre une telle mesure.

La requête a été régulièrement communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas défendu dans la présente instance.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 décembre 2023.

III. Par une requête, enregistrée le 12 février 2024, sous le n° 24NC00307, M. B... A..., représenté par Me Kling, doit être regardé comme demandant à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2305458 du tribunal administratif de Strasbourg du 28 novembre 2023 ;

2°) d'annuler la décision de la préfète du Bas-Rhin du 20 juillet 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour, prise à son encontre ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relatif à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la décision portant refus de séjour méconnaît les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision méconnaît également les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

La requête a été régulièrement communiquée à la préfète du Bas-Rhin, qui n'a pas défendu dans la présente instance.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er février 2024.

IV. Par une requête, enregistrée le 12 février 2024, sous le n° 24NC00308, Mme C... A..., représentée par Me Kling, doit être regardée comme demandant à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2305459 du tribunal administratif de Strasbourg du 28 novembre 2023 ;

2°) d'annuler la décision de la préfète du Bas-Rhin du 20 juillet 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour, prise à son encontre ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relatif à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de séjour méconnaît les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision méconnaît également les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

La requête a été régulièrement communiquée à la préfète du Bas-Rhin, qui n'a pas défendu dans la présente instance.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er février 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Meisse a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 23NC03662, 23NC03428, 24NC00307 et 24NC00308, présentées pour M. B... et pour Mme C... A..., concernent la situation d'un couple d'étrangers au regard de son droit au séjour en France. Elles soulèvent des questions analogues et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. M. et Mme C... A... sont des ressortissants kosovares, nés respectivement les 21 mars 1990 et 24 janvier 1991. Ils ont déclaré être entrés irrégulièrement en France le 27 février 2014. Ils ont présenté chacun une demande d'asile, qui a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 18 novembre 2014, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 23 juin 2015. Mme A... ayant sollicité, le 24 mars 2014, son admission au séjour en raison de son état de santé, les intéressés ont été mis en possession d'un titre de séjour, délivré le 18 février 2015 et renouvelé jusqu'au 17 février 2017. A la suite du rejet de leur seconde demande de renouvellement, le 27 décembre 2017, ils ont fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, dont la légalité a été confirmée par un jugement n° 1801950-1801951 du tribunal administratif de Strasbourg du 2 août 2018 et à laquelle ils n'ont pas déféré. Les 8 avril 2019, 14 août 2020 et 12 février 2021, les intéressés ont présenté une demande d'admission au séjour en se prévalant de la durée de leur présence en France et de leurs attaches privées et familiales. Ces différentes demandes se sont heurtées à des refus de l'administration, assortis d'une obligation de quitter le territoire français, les 19 juin 2019, 23 mars 2021 et 24 novembre 2021. Malgré le rejet de leurs recours contentieux successifs formés contre les arrêtés en cause, par les jugements n° 1906026-1906027, n° 2103277 et n° 2108714 du tribunal administratif de Strasbourg des 7 novembre 2019, 8 juillet 2021 et 25 février 2022, M. et Mme A... n'ont exécuté aucune des mesures d'éloignement prises à leur encontre. Le 27 décembre 2022, ils ont, une nouvelle fois, sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, par deux arrêtés du 20 juillet 2023, la préfète du Bas-Rhin a refusé de faire droit à ces nouvelles demandes, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Les intéressés n'ayant pas déféré à ces mesures d'éloignement dans le délai qui leur était imparti, la préfète a pris quatre autres arrêtés, le 25 septembre 2023, leur interdisant le retour en France pendant un an et les assignant à résidence dans le département du Bas-Rhin pour une durée de quarante-cinq jours. M. et Mme A... ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg de demandes tendant à l'annulation des arrêtés des 20 juillet et 25 septembre 2023. Ils relèvent appel des jugements n° 2305458-2305459-2306806-2306808-2306809-2306810, n° 2305458 et n° 2305459 des 6 octobre 2023 et 28 novembre 2023, qui rejettent l'ensemble de leurs demandes.

En ce qui concerne les décisions portant refus de délivrance d'un titre de séjour :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfants : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

4. Les requérants se prévalent, pour l'essentiel, de la durée de leur séjour en France, de la scolarisation de leur fils aîné, né le 10 décembre 2012, de la naissance à Schiltigheim de leurs filles cadettes les 11 décembre 2016 et 8 septembre 2020, ainsi que de la présence régulière des parents, des trois frères et de deux oncles de Mme A.... Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les intéressés sont arrivés sur le territoire français, le 27 février 2014, à l'âge de vingt-trois ans et que, ayant été admis à séjourner uniquement en qualité d'étranger malade et accompagnant d'un étranger malade, ils n'ont pas vocation à y demeurer. Ils se sont soustraits chacun à l'exécution de trois mesures d'éloignement pris à leur encontre. Nonobstant la durée de leur séjour et la présence régulière en France d'une partie de leur famille, les requérants ne justifient pas d'une insertion significative sur le territoire français, ni y avoir noué des liens familiaux, personnels ou professionnels d'une intensité particulière. Ils n'établissent pas être isolés dans leur pays d'origine, où résident notamment les deux sœurs de Mme A.... S'ils font valoir qu'ils maîtrisent le français, que leur comportement ne présente pas une menace pour l'ordre public, que leurs enfants sont scolarisés en France, que M. A... a travaillé comme manœuvre dans le secteur du bâtiment de décembre 2015 à décembre 2016, puis de mai 2017 à décembre 2017, et qu'il est titulaire d'une promesse datée du 10 novembre 2022 en vue de l'occupation d'un emploi de chef de chantier, de telles circonstances ne suffisent pas à démontrer qu'ils auraient fixé sur le territoire français le centre de leurs intérêts matériels et moraux. Enfin, M. et Mme A... faisant tous deux l'objet d'une nouvelle obligation de quitter le territoire français, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que la cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer dans le pays d'origine, ni que leur fils et leurs deux filles se trouveraient dans l'impossibilité d'y accompagner leurs parents et d'y poursuivre une existence et une scolarité normales. Par suite et alors que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantit pas à l'étranger le droit de choisir le lieu qu'il estime le plus approprié pour y développer une vie privée et familiale, il y a lieu d'écarter les moyens tirés respectivement de la méconnaissance de ces stipulations, de celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ".

6. Eu égard notamment aux circonstances qui ont été analysées au point 4 du présent arrêt, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'admission exceptionnelle au séjour de M. et de Mme A... répondrait à des considérations humanitaires ou se justifierait au regard de motifs exceptionnels qu'ils auraient fait valoir. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut être accueilli.

7. En troisième et dernier lieu, pour les motifs exposés précédemment, M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que la préfète du Bas-Rhin, en refusant de les admettre au séjour, aurait commis une erreur manifeste d'appréciation de leur situation au regard de son pouvoir discrétionnaire de régularisation à titre exceptionnel. Par suite, ce dernier moyen doit être écarté.

En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français :

8. Compte tenu de ce qui précède, il a lieu d'écarter les moyens tirés respectivement de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences des décisions en litige sur la situation personnelle de M. et de Mme A....

En ce qui concerne les décisions portant fixation du pays de destination :

9. Compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré de ce que les décisions en litige seraient illégales en raison de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les décisions portant interdiction de retour en France pendant un an :

10. Aux termes de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 613-2 du même code : " (...) les décisions d'interdiction de retour et de prolongation d'interdiction de retour prévues aux articles L. 612-6, L. 612-7, L. 612-8 et L. 612-11 sont distinctes de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Elles sont motivées. ".

11. Il résulte des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, tenir compte des critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. Ainsi, la décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Par ailleurs, si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

12. Pour justifier l'adoption d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée un an à l'encontre de M. et de Mme A..., la préfète du Bas-Rhin, après avoir mentionné l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et retenu que les intéressés se sont maintenus sur le territoire français au-delà du délai de départ volontaire qui leur avait été accordé pour le quitter et qu'ils n'ont pas fait valoir de circonstances humanitaires justifiant qu'une telle mesure ne soit pas prononcée, lesquelles ne ressortent pas davantage des pièces du dossier, s'est bornée à affirmer, sans autre précision, que leurs liens personnels et familiaux en France, au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, ne sont pas tels que la durée de la présente interdiction porterait une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale. Dans ces conditions, alors que, au demeurant, les requérants se sont soustraits chacun à l'exécution de trois mesures d'éloignement, l'autorité administrative ne peut être regardée comme s'étant prononcée au regard des critères énumérés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, M. et Mme A... sont fondées à soutenir que les décisions en litige sont insuffisamment motivées et qu'elles doivent, pour ce motif, être annulées.

En ce qui concerne les décisions portant assignation à résidence :

13. Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) ".

14. Ainsi qu'il a été dit précédemment, M. et Mme A... se sont maintenus sur le territoire français au-delà du délai de départ volontaire qui leur avait été accordé. Dans ces conditions, en les assignant à résidence dans le département du Bas-Rhin, la préfète a pris des mesures adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu'elles poursuivent. Par suite, alors que l'éloignement des intéressés demeure une perspective raisonnable, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation ne peut qu'être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... sont seulement fondés à demander l'annulation des décisions de la préfète du Bas-Rhin du 25 septembre 2023 portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes en tant qu'elles étaient dirigées contre ces décisions.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

16. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. et Mme A... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais de justice :

17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. et Mme A... en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2305458-2305459-2306806-2306808-2306809-2306810 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 6 octobre 2023 est annulé uniquement en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. et Mme A... dirigées contre les décisions de la préfète du Bas-Rhin du 25 septembre 2023 portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Article 2 : Les décisions de la préfète du Bas-Rhin du 25 septembre 2023 portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an sont annulées.

Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Mme C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Bauer, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Barteaux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 juillet 2024.

Le rapporteur,

Signé : E. MEISSE

La présidente,

Signé : S. BAUER

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 23NC03662, 23NC03428, 24NC00307 et 24NC00308 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03662
Date de la décision : 23/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BAUER
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : KLING

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-23;23nc03662 ?
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