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23/07/2024 | FRANCE | N°23NC03284

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 23 juillet 2024, 23NC03284


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... F..., son épouse, Mme D... F..., et leurs deux enfants majeurs, M. B... F... et M. E... F... ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 18 août 2023 par lesquels la préfète des Vosges leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n°s 2302703-2302704-2302705-2302706 du 10 octobre 2023, la magistrate désignée par le présiden

t du tribunal administratif de Nancy a annulé les décisions fixant le pays de destination et rejeté ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F..., son épouse, Mme D... F..., et leurs deux enfants majeurs, M. B... F... et M. E... F... ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 18 août 2023 par lesquels la préfète des Vosges leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n°s 2302703-2302704-2302705-2302706 du 10 octobre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé les décisions fixant le pays de destination et rejeté le surplus de leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I.- Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2023, sous le n°23NC03284, M. H..., représenté par Me Géhin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 10 octobre 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 18 août 2023 lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ;

3°) d'enjoindre à la préfète des Vosges de réexaminer sa situation dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de son droit d'être entendu ;

- elle est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français aurait dû être considérée comme caduque en vertu du droit de l'Union européenne compte tenu de l'annulation de la décision fixant le pays de destination et le tribunal aurait dû prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la mesure d'éloignement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2024, la préfète des Vosges conclut au rejet de la requête et demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il a annulé la décision du 18 août 2023 fixant le pays de destination.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- la décision fixant le pays de destination n'a pas pour effet de séparer les membres de la famille.

II.- Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2023, sous le n° 23NC03285, Mme D... F..., représentée par Me Géhin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 10 octobre 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 18 août 2023 lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ;

3°) d'enjoindre à la préfète des Vosges de réexaminer sa situation dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de son droit d'être entendue ;

- elle est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle est entachée d'une erreur dans la qualification juridique ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français aurait dû être considérée comme caduque en vertu du droit de l'Union européenne compte tenu de l'annulation de la décision fixant le pays de destination et le tribunal aurait dû prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la mesure d'éloignement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2024, la préfète des Vosges conclut au rejet de la requête et demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il a annulé la décision du 18 août 2023 fixant le pays de destination.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- la décision fixant le pays de destination n'a pas pour effet de séparer les membres de la famille.

III.- Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2023, sous le n° 23NC03286, M. B... F..., représenté par Me Géhin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 10 octobre 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 18 août 2023 lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ;

3°) d'enjoindre à la préfète des Vosges de réexaminer sa situation dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de son droit d'être entendu ;

- elle est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle est entachée d'une erreur dans la qualification juridique ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français aurait dû être considérée comme caduque en vertu du droit de l'Union européenne compte tenu de l'annulation de la décision fixant le pays de destination et le tribunal aurait dû prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la mesure d'éloignement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2024, la préfète des Vosges conclut au rejet de la requête et demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il a annulé la décision du 18 août 2023 fixant le pays de destination.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- la décision fixant le pays de destination n'a pas pour effet de séparer les membres de la famille.

IV.- Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2023, sous le n° 23NC03287, M. E... F..., représenté par Me Géhin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 10 octobre 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 18 août 2023 lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ;

3°) d'enjoindre à la préfète des Vosges de réexaminer sa situation dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de son droit d'être entendu ;

- elle est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle est entachée d'une erreur dans la qualification juridique ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français aurait dû être considérée comme caduque en vertu du droit de l'Union européenne compte tenu de l'annulation de la décision fixant le pays de destination et le tribunal aurait dû prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la mesure d'éloignement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2024, la préfète des Vosges conclut au rejet de la requête et demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il a annulé la décision du 18 août 2023 fixant le pays de destination.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- la décision fixant le pays de destination n'a pas pour effet de séparer les membres de la famille.

M. C... F..., Mme D... F..., MM. B... et E... F... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du bureau d'aide juridictionnelle du 20 novembre 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport A... Barteaux a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme F..., respectivement de nationalité arménienne et kazakhe, sont entrés en France, selon leurs déclarations, le 2 juillet 2019, accompagnés de leurs quatre enfants mineurs, de nationalité kazakhe, dont MM. B... et E... F..., devenus depuis lors majeurs. Les demandes d'asile présentées par M. et Mme F... ainsi que pour leurs quatre enfants ont été rejetées par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 9 décembre 2020, confirmées par des décisions de la Cour nationale du droit d'asile des 15 juin et 28 août 2023. A la suite de ces rejets, la préfète des Vosges, par des arrêtés du 18 août 2023, pris sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a fait obligation à M. et Mme F... ainsi qu'à leurs deux fils majeurs de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourront être reconduits d'office. Par un jugement du 10 octobre 2023, dont M. et Mme F... ainsi que MM. B... et E... F... font appel, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé les décisions fixant le pays de destination et rejeté le surplus de leurs demandes. Par la voie de l'appel incident, la préfète demande l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a annulé les décisions du 18 août 2023 fixant le pays de destination.

2. Ces requêtes sont dirigées contre le même jugement qui concernent les membres d'une même famille. Il y a lieur de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Les requérants font valoir que dans sa décision du 14 mai 2020 (C-924/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que la décision fixant le pays de destination constituait l'un des deux éléments constitutifs de la décision de retour au sens de l'article 3 de la directive 2008/115/CE si bien que la modification de celle-ci est regardée comme une nouvelle décision de retour. Ils en déduisent que l'annulation par la magistrate désignée des décisions fixant le pays de destination prises à leur encontre entraîne nécessairement la caducité des mesures d'éloignement et qu'en conséquence, le premier juge aurait dû constater un non-lieu à statuer. Toutefois, il résulte des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la décision fixant le pays de destination est distincte de la décision d'éloignement, quand bien même elle constitue une décision de retour au sens de la directive n° 2008/115/CE. Il s'ensuit que si l'annulation de la décision fixant le pays de retour, implique, le cas échéant, pour l'autorité administrative l'édiction d'une nouvelle décision, susceptible d'être contestée, cette circonstance n'a pas pour effet de priver d'objet le litige concernant la légalité de la mesure d'éloignement proprement dite. Par suite, en ne prononçant pas un non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français contestée par chacun des requérants, la magistrate désignée n'a pas entaché ses jugements d'une irrégularité.

Sur l'appel des requérants :

4. En premier lieu, le droit d'être entendu, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Ce droit ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

5. Dans le cas prévu au 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision portant obligation de quitter le territoire français est prise, notamment, après que la qualité de réfugié a été définitivement refusée à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Or, celui-ci est conduit, à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile, à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit reconnu la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, laquelle doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles et il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux, notamment au regard de sa situation dans son pays d'origine ou de sa situation personnelle et familiale.

6. Il n'est pas contesté que les requérants ont pu faire valoir leurs observations dans le cadre de l'examen de leurs demandes d'asile. Ils ne pouvaient ignorer qu'en cas de rejet de leurs demandes, ils étaient susceptibles de faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Par ailleurs, ils ne soutiennent pas avoir vainement sollicité un entretien auprès des services préfectoraux, ni même avoir été empêchés de présenter des observations avant que la préfète des Vosges ne prononce les décisions portant obligation de quitter le territoire français en litige. En outre, ils ne font valoir aucun élément qui aurait été de nature à influencer les décisions prises à leur encontre. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

7. En deuxième lieu, les décisions portant obligation de quitter le territoire français mentionnent de manière suffisante et non stéréotypée, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les motifs de droit et de fait sur lesquels la préfète des Vosges s'est fondée. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

8. En troisième lieu, il ressort des motifs mêmes des décisions portant obligation de quitter le territoire français que la préfète des Vosges a procédé à un examen particulier de la situation des requérants au regard des éléments portés à sa connaissance. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier doit être écarté.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme F... et leurs deux fils majeurs étaient présents depuis quatre ans seulement à la date des décisions en litige. Ni les attestations qu'ils ont produites, convenues et stéréotypées, ni les efforts d'apprentissage du français ne sont de nature à justifier une intégration d'une particulière intensité dans la société française. Ils ne font valoir aucun élément qui s'opposerait à ce que la cellule familiale se reconstitue dans un pays où ils seront tous les quatre légalement admissibles et où les deux enfants encore mineurs A... et Mme F... pourront également reprendre leur scolarité. Dans ces conditions, les décisions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté, ainsi que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences des décisions en litige sur leur situation personnelle.

Sur l'appel incident de la préfète des Vosges :

11. L'arrêté du 18 août 2023 pris à l'encontre A... C... F... prévoit en son article 3 que l'intéressé pourra être éloigné à destination du pays dont il possède la nationalité, l'Arménie ou le Kazakhstan, ou de tout pays dans lequel il est légalement admissible. Les arrêtés du même jour pris à l'encontre de son épouse et de MM. B... et E... F..., de nationalité kazakhe, comportent le même dispositif. Si les motifs des arrêtés pris à l'encontre de chacun des requérants mentionnent qu'" en cas d'éloignement forcé, il n'est pas prévu de séparer la famille ", leur dispositif ne limite pas l'éloignement à destination du pays où l'ensemble des membres de la famille pourra être légalement admissible si bien qu'il ne peut être exclu, eu égard notamment à la nationalité A... C... F... qui est différente de celle des autres membres de la famille, que l'exécution forcée de la décision d'éloignement ait pour effet de séparer les membres de la cellule familiale. Ainsi, les décisions en litige méconnaissent l'intérêt supérieur des enfants mineurs A... et Mme F... tel que garanti par l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et portent au droit au respect de la vie privée et familiale de ces derniers ainsi que de MM. B... et E... F... une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elles ont été prises. Toutefois, cette illégalité n'entraine l'annulation de ces décisions qu'en tant qu'elles rendent possible l'éloignement des intéressés dans des pays différents. Par suite et contrairement à ce qu'a jugé la magistrate désignée, les décisions fixant le pays de destination doivent être annulées dans cette seule mesure et non dans leur intégralité.

12. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les requérants en première instance.

13. Il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé à l'encontre des décisions fixant le pays de destination et tiré, par voie d'exception, de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

14. Les requérants ne peuvent utilement se prévaloir des stipulations de l'article 9 de la convention internationale des droits de l'enfant qui sont dépourvues d'effet en droit interne.

15. Les décisions en litige, qui visent l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mentionnent que les requérants pourront être éloignés vers leur pays d'origine, où pour M. C... F... vers le pays où il a légalement résidé et dont son épouse à la nationalité, ou tout autre pays où ils établiraient être légalement admissibles avec les autres membres de la famille. Elles précisent encore qu'en cas d'éloignement forcé, il n'est pas prévu de séparer la famille. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation des décisions fixant le pays de destination doit être écarté.

16. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours. La préfète des Vosges est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée n'a pas annulé les décisions du 18 août 2023 en tant seulement qu'elles rendent possible l'éloignement des requérants vers des pays différents.

Sur les frais d'instance :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les requérants demandent au titre des frais qu'ils ont exposés à l'occasion du présent litige.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n°s 2302703-2302704-2302705-2302706 du 10 octobre 2023 est annulé en tant qu'il n'a pas annulé les décisions fixant le pays de destination en tant seulement que leur exécution rendait possible l'éloignement des requérants dans des pays différents.

Article 2 : Les arrêtés du 18 août 2023 sont annulés en tant seulement qu'ils rendent possible l'éloignement A... C... F..., Mme D... F..., MM. B... et E... F... dans des pays différents.

Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel incident de la préfète des Vosges est rejeté.

Article 4 : Les requêtes et le surplus des conclusions de la demande de première instance A... C... F..., Mme D... F..., MM. B... et E... F... sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F..., à Mme I..., à M. B... F..., à M. E... F... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie de l'arrêt sera adressée à la préfète des Vosges.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Bauer, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Barteaux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 juillet 2024.

Le rapporteur,

Signé : S. BARTEAUX

La présidente,

Signé : S. BAUERLe greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 23NC03284, ... 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03284
Date de la décision : 23/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BAUER
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : GEHIN - GERARDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-23;23nc03284 ?
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