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23/07/2024 | FRANCE | N°21NC00888

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 23 juillet 2024, 21NC00888


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société La Poste a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le centre hospitalier intercommunal (CHI) de la Haute-Saône à l'indemniser, d'une part, à titre de subrogation dans les droits de son agent M. A..., des préjudices subis par ce dernier, d'autre part, en sa qualité d'employeur, des charges patronales exposées à l'occasion du congé maladie de son agent.



Par un jugement n° 1800067 du 26 janvier 2021, le tribunal administrati

f de Besançon a condamné le groupement hospitalier de la Haute-Saône à verser à la société La Poste...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Poste a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le centre hospitalier intercommunal (CHI) de la Haute-Saône à l'indemniser, d'une part, à titre de subrogation dans les droits de son agent M. A..., des préjudices subis par ce dernier, d'autre part, en sa qualité d'employeur, des charges patronales exposées à l'occasion du congé maladie de son agent.

Par un jugement n° 1800067 du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Besançon a condamné le groupement hospitalier de la Haute-Saône à verser à la société La Poste une somme de 229 340,89 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 2017.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mars 2021, le groupement hospitalier de la Haute-Saône, représenté par Me Vilmin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 26 janvier 2021 du tribunal administratif de Besançon en tant qu'il a accordé à la société La Poste une somme de 104 249,14 euros au titre de la rente viagère d'invalidité allouée à M. A... ;

2°) de fixer à la somme de 8 550 euros l'indemnité susceptible d'être mise à sa charge à ce titre ;

3°) de mettre à la charge de la société La Poste une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en accordant à la société La Poste une somme de 104 249,14 euros avec intérêts à compter du 25 septembre 2017 au titre du capital représentant les arrérages à échoir de la rente viagère d'invalidité servie à son agent suite à l'infection nosocomiale subie par ce dernier au centre hospitalier de Vesoul, le tribunal a procédé à un calcul erroné de l'indemnisation dès lors qu'il convenait préalablement de déterminer l'assiette en droit commun du préjudice subi par M. A... pour ensuite accorder au tiers payeur les prestations versées par imputation sur les sommes réparant le préjudice de la victime ; en l'espèce, la perte de gains professionnels futurs subis par la victime est nulle et l'incidence professionnelle du dommage subi doit être évaluée à seulement 15 000 euros du fait de la perte du produit de la vente de calendriers de Noël ; la somme mise à la charge du tiers responsable doit ainsi être fixée à seulement 15 000 euros x 57 %, soit 8 550 euros au titre de ce poste de préjudice ;

Les parties ont été informées par courrier du 3 mai 2021, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré du défaut d'appel en la cause de la victime en méconnaissance de l'article L. 761-1 du code de la sécurité sociale, entachant d'irrégularité la procédure suivie devant le tribunal administratif de Besançon.

Par un mémoire, enregistré le 18 mai 2021, la société La Poste a présenté des observations en réponse au moyen d'ordre public communiqué.

Elle fait valoir qu'il résulte de la jurisprudence que la mise en cause de la victime est obligatoire en cas d'action dirigée par un organisme de sécurité sociale agissant contre une personne publique regardée comme responsable de l'accident, sauf lorsque la victime a conclu une transaction l'ayant définitivement indemnisée de ses préjudices, tel étant le cas en l'espèce.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2021, la société La Poste, représentée par Me Pujol, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du groupement hospitalier une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le tribunal a considéré qu'elle ne pouvait opérer un recours sur la totalité de la rente versée à M. A... mais uniquement sur 57 % de son montant total ; ce faisant, il a fait droit à l'argumentation développée en défense par le groupement hospitalier qui a eu gain de cause et n'a donc plus d'intérêt à agir ;

- subsidiairement, l'argumentation du groupement hospitalier est infondée dès lors que M. A... n'est plus recevable à exercer un recours contre l'établissement hospitalier, et qu'elle seule exerce un recours contre ce dernier ;

- à titre infiniment subsidiaire, le préjudice professionnel subi par M. A... est réel dès lors qu'il ne pouvait plus exercer sa profession ; il a ainsi sollicité une mise en retraite anticipée en mai 2013 et n'a perçu qu'une pension de retraite réduite à hauteur de 69,091 % ; il en est résulté une perte annuelle de 7 144,44 euros que la rente d'invalidité permet de compenser ; il y a lieu d'estimer le préjudice professionnel de M. A... à la somme de 85 000 euros pour l'incidence professionnelle et à la somme de 128 478,46 euros s'agissant de la perte de pension de retraite ; elle est ainsi recevable et fondée à exercer son recours subrogatoire sur ces sommes à hauteur de la somme de 104 249,14 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bauer,

- et les conclusions de M. Marchal, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société La Poste a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le groupement hospitalier de la Haute-Saône à l'indemniser, d'une part, à titre de subrogation dans les droits de son agent M. A..., des préjudices subis par ce dernier en raison de l'infection nosocomiale contractée par ce dernier lors de sa prise en charge dans l'établissement à la suite d'un accident de service survenu le 7 décembre 2009, d'autre part, en sa qualité d'employeur, des charges patronales exposées à l'occasion du congé maladie de son agent. Par un jugement du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Besançon a condamné le groupement hospitalier de la Haute-Saône à verser à la société La Poste une somme de 229 340,89 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 2017. Le groupement hospitalier de Haute-Saône relève appel de ce jugement en tant qu'il a accordé à la société La Poste une somme de 104 249,14 euros au titre de la rente viagère d'invalidité servie à son agent.

Sur la fin de non-recevoir soulevée :

2. L'intérêt à agir s'apprécie au regard du seul dispositif du jugement et non de ses motifs. En l'espèce, dès lors que le jugement attaqué met à la charge du groupement hospitalier une somme d'argent à verser à la société, ce dernier est recevable, par une argumentation nouvelle, à contester tout ou partie de ce montant en appel. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir du requérant doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. D'une part, en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, le juge saisi du recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime. Il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale.

4. D'autre part, eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale et à son mode de calcul en fonction du salaire, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité. Dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice.

5. Pour se conformer aux règles rappelées ci-dessus, il appartenait aux premiers juges de déterminer, en premier lieu, si l'incapacité permanente conservée par M. A... en raison des fautes commises par le groupement hospitalier de la Haute-Saône entraînait des pertes de revenus professionnels et une incidence professionnelle et, dans l'affirmative, d'évaluer ces postes de préjudice sans tenir compte, à ce stade, du fait qu'ils donnaient lieu au versement d'une pension d'invalidité. Pour déterminer ensuite dans quelle mesure ces préjudices étaient réparés par la pension, il y avait lieu de regarder cette prestation comme réparant prioritairement les pertes de revenus professionnels et, par suite, comme ne réparant tout ou partie de l'incidence professionnelle que si la victime ne subissait pas de pertes de revenus ou si le montant de ces pertes était inférieur au capital représentatif de la pension. Dès lors qu'il avait été définitivement jugé que les fautes commises par le centre hospitalier engageaient son entière responsabilité, le montant intégral des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle devait être mis à sa charge.

6. En l'espèce, il est constant que, à la suite de l'accident survenu le 7 décembre 2009 et de l'infection nosocomiale contractée, M. A... n'a pu reprendre son poste de facteur jusqu'à sa mise à la retraite le 1er décembre 2013. Il résulte du rapport de l'expertise médicale diligentée par la commission de conciliation et d'indemnisation que, sans la complication infectieuse survenue, il aurait pu reprendre ses fonctions à la date du 8 juin 2010, et, au vu des éléments figurant au dossier, bénéficier d'une retraite à taux plein au 1er mars 2017. L'intéressé doit ainsi être regardé comme ayant subi une perte de revenus sur la période du 8 juin 2010 au 1er mars 2017, avant indemnisation par son employeur, qui peut être évaluée, au regard des bulletins de paie antérieurs et postérieurs à l'accident produits, sur la base d'un salaire mensuel moyen sur la période de 1 700 euros nets, à la somme totale arrondie de 137 134 euros. Si l'intéressé a également indiqué avoir perdu le bénéfice de la vente de calendriers de Noël à ses clients, en l'absence de tout élément venant étayer les pertes ainsi alléguées, elles ne peuvent être retenues.

7. Par ailleurs, l'accident survenu a eu une incidence professionnelle pour la victime dans la mesure où, du fait de son incapacité à travailler, M. A... a bénéficié à sa demande d'une mise en retraite anticipée à compter du 1er décembre 2013, date à laquelle il ne justifiait que de 152 trimestres au lieu de 165 pour disposer d'une pension à taux complet. Il n'a de ce fait perçu une pension de retraite qu'à hauteur de 69,091 % de son traitement annuel au lieu de 75 %, soit, sur la base d'un traitement annuel normal de 23 114,42 euros (indice 479), un montant de 15 969,98 euros, qui représente une perte annuelle de 1 365,83 euros. Le préjudice total subi à ce titre par la victime, calculé sur la base du barème de capitalisation de la Gazette du Palais de 2022 fixant un coefficient de 23,569 pour un homme de 59 ans, âge de M. A... au 1er mars 2027, date de son départ normal à la retraite, s'établit au montant arrondi de 33 000 euros.

8. Il s'ensuit que le préjudice professionnel total de M. A... correspondant à l'assiette de l'indemnisation pouvant être mise à la charge du groupement hospitalier doit être évalué à la somme totale de 170 134 euros, dont il convient de déduire les sommes de 29 429,03 euros pour la perte de gains professionnels et 1 800 euros au titre de l'allocation temporaire d'invalidité allouées par le tribunal et non contestées, soit une assiette maximale de 138 904,97 euros pouvant être accordée en remboursement des prestations effectivement versées par la société La Poste en réparation du préjudice professionnel subi par la victime.

9. Il résulte de l'instruction que la société La Poste indique verser depuis le 1er décembre 2013 une rente d'invalidité annuelle consécutive à l'accident de service et sa complication infectieuse de 10 170,34 euros. Le recours subrogatoire de la société La Poste à l'encontre du groupement hospitalier ne s'exerce toutefois que sur la seule part de préjudice liée à l'infection nosocomiale, dont il résulte de l'instruction qu'elle ne correspond, sur les 44 % de taux de rente d'invalidité allouée à M. A..., qu'à 14 % au titre des lésions de la cheville droite, soit un pourcentage de 31,82 % de la rente et ainsi un montant annuel de 3 236,02 euros. La société La Poste établit verser cette rente depuis le 1er décembre 2013, soit à la date de lecture du présent arrêt le 23 juillet 2024, une somme de 34 461,37 euros (10,649 x 3 236,02). Par application du barème de capitalisation de 2022 publié par la Gazette du Palais au 23 juillet 2024 fixant à un coefficient de 17,472 pour un homme âgé de 67 ans, le montant des frais futurs que devra verser la société La Poste s'élève à la somme de 56 539,69 euros (3 236,02 x 17,472). Ainsi, le montant total des sommes déjà versées et à venir par la société La Poste au titre du montant de la rente d'invalidité lié à l'infection nosocomiale doit être évalué à la somme de 91 001,06 euros. Le groupement hospitalier de la Haute-Saône ayant été déclaré entièrement responsable du dommage lié à l'infection nosocomiale, cette dernière somme doit intégralement être mise à sa charge.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le groupement hospitalier est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal l'a condamné à verser à la société La Poste, au titre de l'indemnisation du versement de la rente d'invalidité servie à son assuré, la somme de 104 249,14 euros, cette dernière devant être ramenée au montant de 91 001,06 euros.

Sur les frais liés au litige :

11. Il n'y pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du groupement hospitalier de la Haute-Saône la somme demandée par la société La Poste au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées par le groupement hospitalier de la Haute-Saône au même titre doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 104 249,14 euros mise à la charge du groupement hospitalier de la Haute-Saône au titre de la rente viagère d'invalidité allouée à M. A... est ramenée à 91 001,06 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1800067 du tribunal administratif de Besançon du 26 janvier 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions du groupement hospitalier de la Haute-Saône est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société La Poste au titre des dispositions de de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société La Poste, au groupement hospitalier de la Haute-Saône, au ministre de l'économie et des finances et à la Mutuelle générale.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Bauer, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Barteaux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 juillet 2024.

La présidente- rapporteure,

Signé : S. BAUERL'assesseur le plus ancien

dans l'ordre du tableau,

Signé : E. MEISSE

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

F. LORRAIN

N° 21NC00888 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00888
Date de la décision : 23/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Sandra BAUER
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : SCP VILMIN CANONICA REMY

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-23;21nc00888 ?
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