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20/06/2024 | FRANCE | N°23NC00959

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 20 juin 2024, 23NC00959


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 10 mars 2023 par lequel le préfet du Doubs a décidé de la remettre aux autorités roumaines ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département du Doubs pendant quarante-cinq jours.



Par un jugement n° 2300427 du 20 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.


r> Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 28 mars 2023, Mme B... A..., représentée...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 10 mars 2023 par lequel le préfet du Doubs a décidé de la remettre aux autorités roumaines ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département du Doubs pendant quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2300427 du 20 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 mars 2023, Mme B... A..., représentée par Me Bertin demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les arrêtés du préfet du Doubs du 10 mars 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification du présent arrêt, ou, à défaut, de réexaminer sa demande d'admission provisoire au séjour dans un délai de huit jours à compter de cette même notification ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- soient examinés en priorité les moyens permettant l'enregistrement de sa demande d'asile ;

Sur la décision portant remise aux autorités roumaines :

- elle est insuffisamment motivée dès lors que la décision ne vise pas le règlement (UE) n° 603/2013 et qu'elle ne mentionne ni le relevé d'empreintes en Allemagne le 11 janvier 2022, ni les raisons ayant conduit au choix de la Roumanie comme Etat membre responsable de la demande d'asile, ce qui révèle un défaut d'examen sérieux de sa situation, ni le rejet de sa demande d'asile par la Roumanie ; le premier juge n'a pas visé sa critique, soulevée à l'audience, sur l'absence de mention de la prise d'empreinte en Allemagne, et n'y a pas répondu ; les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3§2 du règlement Dublin, de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme n'ont pas été examinés ;

- elle méconnaît les articles 4 et 20 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et l'article 29 du règlement n° 603/2013 dès lors qu'il n'est pas démontré que les informations prévues par cet article lui ont été remises, dans une langue qu'elle comprend, dès le début de la procédure ;

- elle méconnaît l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 car il n'est pas démontré que l'entretien a été mené par un agent qualifié en vertu du droit national ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dans les conséquences du transfert aux autorités roumaines sur sa situation personnelle dès lors que le préfet n'a pas vérifié qu'elle avait épuisé toutes les voies de recours en Roumanie et qu'elle pourra déposer une nouvelle demande d'asile après le rejet de la première ;

- elle est également entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en raison d'une part, des actes violents qu'elle a subis en Roumanie et d'autre part, de la situation de violence généralisée en Somalie dans l'hypothèse où elle y serait renvoyée ;

Sur la décision d'assignation à résidence :

- elle est dépourvue de base légale, en raison de l'illégalité de la décision portant transfert aux autorités roumaines.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert ont perdu leur objet, cette décision ne pouvant plus être légalement exécutée compte tenu de l'expiration du délai de transfert prévu à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Par un mémoire, enregistré le 27 novembre 2023, le préfet du Doubs a présenté ses observations sur le moyen susceptible d'être relevé d'office, en faisant valoir que Mme B... A... avait été déclarée en fuite et que, dès lors, le délai de transfert avait été prolongé jusqu'au 20 septembre 2024.

Par un mémoire, enregistré le 1er décembre 2023, Mme B... A... a présenté ses observations sur le moyen susceptible d'être relevé d'office.

Elle fait valoir qu'elle s'oppose à l'application de l'article 29 du règlement UE 604/2013 du 26 juin 2013.

Mme B... A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Samson-Dye a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., ressortissante somalienne, née le 6 juin 1978, entrée irrégulièrement en France, a présenté une demande d'asile le 7 décembre 2022. La consultation du fichier " Eurodac " a révélé qu'elle avait préalablement sollicité l'asile en Roumanie. Les autorités roumaines, saisies d'une demande de reprise en charge, ont fait connaître explicitement leur accord le 17 janvier 2023 en application de l'article 18-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par deux arrêtés du 10 mars 2023, le préfet du Doubs a décidé de remettre Mme B... A... aux autorités roumaines au motif que la Roumanie était responsable de l'examen de sa demande d'asile, et a assigné à résidence Mme B... A... dans le département du Doubs pour une durée de quarante-cinq jours. Mme B... A... relève appel du jugement du 20 mars 2023 par lequel le magistrat désigné par le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, Mme B... A... fait grief au premier juge de ne pas avoir mentionné, que ce soit dans les visas ou dans le corps du jugement, la critique qu'elle a évoquée au cours de l'audience, concernant l'absence de mention, dans l'arrêté litigieux, de ce que ses empreintes avaient été relevées non seulement par les autorités roumaines le 31 juillet 2021, mais aussi par les autorités allemandes le 11 janvier 2022. Toutefois, il s'agissait seulement de nouveaux arguments qui venaient au soutien des moyens contestant la motivation de l'arrêté de transfert et l'existence d'un examen particulier de la situation de l'intéressée. Le jugement attaqué a expressément écarté ces moyens. Le premier juge n'avait pas, à peine d'irrégularité, à répondre spécifiquement à chaque argument invoqué au soutien des moyens soulevés.

3. En second lieu, la requérante soutient que les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3.2 du règlement Dublin, de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme n'ont pas été examinés. Il ressort toutefois des termes mêmes du jugement attaqué que ces moyens ont été écartés par le premier juge.

4. Il suit de là que le moyen contestant la régularité du jugement doit être écarté, dans toutes ses branches.

Sur la légalité des arrêtés litigieux :

En ce qui concerne l'arrêté de transfert aux autorités roumaines :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsque aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. " Aux termes de l'article 18 de ce même règlement " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre. (...) ".

6. Il résulte de l'avis n° 420900 du Conseil d'Etat du 7 décembre 2018 que lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile sur le territoire d'un autre Etat membre, elle peut être transférée vers cet Etat, à qui il incombe de la reprendre en charge, sur le fondement des b), c) et d) du paragraphe 1 de l'article 18 du chapitre V et du paragraphe 5 de l'article 20 du chapitre VI du règlement (UE) n° 604/2013. Les dispositions de l'article 18-1, b) à d) de ce règlement doivent être regardées comme figurant au nombre des critères énumérés dans le règlement, au sens du 2 de l'article 3 du règlement. Par suite, lorsqu'une personne a antérieurement présenté des demandes d'asile auprès d'un ou de plusieurs Etats membres, avant d'entrer sur le territoire d'un autre Etat membre pour y solliciter de nouveau l'asile dans des conditions permettant à cet Etat de demander sa reprise en charge sur le fondement des dispositions de l'article 18-1 b) , c) ou d) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, sa situation ne relève pas des dispositions du premier alinéa du 2 de l'article 3 du règlement, qui concernent le cas dans lequel aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans ce règlement. Dans cette hypothèse d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert à fin de reprise en charge qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.

7. Il ressort des termes même de l'arrêté contesté que, pour prononcer le transfert de Mme B... A... aux autorités roumaines, le préfet, après avoir visé le règlement n° 604/2013, notamment ses articles 3 et 18, a indiqué qu'après consultation du fichier Eurodac, il est apparu que l'intéressée avait été identifiée en Roumanie le 31 juillet 2021 pour le dépôt d'une demande d'asile, antérieurement à la demande d'asile qu'elle a entendu présenter en France, qu'elle n'établit pas avoir, depuis lors, quitté le territoire des Etats membres pendant une durée au moins égale à trois mois et, enfin, que les autorités roumaines, saisies d'une demande de reprise en charge, l'ont explicitement acceptée le 17 janvier 2023 sur le fondement de l'article 18.1 d) du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Cette décision comporte, ainsi, un exposé suffisant des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. Contrairement à ce que soutient la requérante, cette décision n'avait pas à mentionner, en outre, le règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013, qui n'en constitue pas la base légale. S'il ressort des pièces du dossier que les recherches effectuées par les services du ministère de l'intérieur dans le fichier Eurodac le 6 décembre 2022, à partir du relevé décadactylaire des empreintes de Mme B... A..., ont également permis d'établir que ses empreintes avaient été relevées le 11 janvier 2022 par les autorités allemandes, l'arrêté prononçant le transfert de Mme B... A... aux autorités roumaines n'avait pas à faire état de cette circonstance. Il n'avait pas non plus à préciser que sa demande d'asile avait été rejetée en Roumanie.

8. En deuxième lieu, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'absence de mention du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 dans les visas de l'arrêté contesté révèlerait, par elle-même, une erreur de droit du préfet.

9. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Doubs n'aurait pas procédé à un examen sérieux et personnalisé de la situation de Mme B... A....

10. En quatrième lieu, d'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 : " Dans le cas de personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, les informations visées au paragraphe 1 du présent article sont fournies au moment où les empreintes digitales de la personne concernée sont relevées. (...) 3. Une brochure commune, dans laquelle figurent au moins les informations visées au paragraphe 1 du présent article et celles visées à l'article 4, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 604/2013 est réalisée conformément à la procédure visée à l'article 44, paragraphe 2, dudit règlement. ". L'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Il s'ensuit que la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles le préfet transfère un demandeur d'asile aux autorités compétentes de l'Etat qui s'est reconnu responsable de l'examen de sa demande.

11. D'autre part, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ". Aux termes de l'article 20 de ce même règlement : " Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'État membre concerné. Dans le cas d'une demande non écrite, le délai entre la déclaration d'intention et l'établissement d'un procès-verbal doit être aussi court que possible. ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

12. Il ressort des pièces du dossier que les brochures en question, en langue somali, ont été remises à l'intéressée le 7 décembre 2022, date à laquelle l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Si Mme B... A... fait valoir que ces documents lui ont été remis après la date à laquelle ses empreintes ont été relevées, cette circonstance est, par elle-même, sans incidence sur la régularité de la procédure dès lors qu'il n'est pas contesté que ces documents lui ont été remis au plus tard lors de l'entretien. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point 1 doit donc être écarté.

13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".

14. S'il ne résulte ni des dispositions citées au point précédent ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a bien, en application des dispositions précitées de l'article 5.5 du règlement du 26 juin 2013, été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".

15. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... A... a bénéficié d'un entretien individuel le 7 décembre 2022, lors duquel elle était assistée d'un interprète en langue somali, à la préfecture de police de Paris. Le préfet du Doubs soutient que l'entretien a été mené par un agent de cette préfecture, ce qui est corroboré par les mentions figurant dans le compte-rendu de cet entretien, produit par l'administration, qui comporte le cachet de la préfecture de police de Paris ainsi qu'un code permettant d'identifier l'agent. En l'absence de contestation spécifique, un membre du personnel de la préfecture est réputé qualifié, au sens des dispositions citées au point 13. Dès lors que la requérante ne fait pas valoir d'éléments circonstanciés de nature à mettre en cause la qualité d'agent de la préfecture de la personne ayant mené l'entretien, ou sa qualification, le préfet doit être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, que l'entretien a été mené par une personne qualifiée. Enfin, l'absence de mention, sur le compte-rendu de l'entretien individuel, de l'identité et de la qualité de l'agent qui a mené l'entretien, ainsi que l'absence de signature, n'ont pas privé l'intéressée d'une garantie. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.

16. En sixième lieu, aux termes de l'article 34 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Chaque État membre communique à tout État membre qui en fait la demande les données à caractère personnel concernant le demandeur qui sont adéquates, pertinentes et raisonnables pour : (...) c) la mise en œuvre de toute obligation découlant du présent règlement. 2. Les informations visées au paragraphe 1 ne peuvent porter que sur : (...) g) la date d'introduction d'une éventuelle demande de protection internationale antérieure, la date d'introduction de la demande actuelle, l'état d'avancement de la procédure et, le cas échéant, la teneur de la décision prise. (...) ".

17. Contrairement à ce que soutient la requérante, la seule circonstance que les autorités roumaines ont fait connaître leur accord pour sa reprise en charge au titre des dispositions du d) du 1. de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'imposait pas au préfet du Doubs d'interroger ces autorités sur les suites qu'elles entendaient réserver à la demande d'asile dont la requérante les avaient précédemment saisies, ni sur l'épuisement des voies de recours relatives à sa demande d'asile et la possibilité qu'elle aurait de déposer une nouvelle demande d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'absence de saisine de ces autorités doit être écarté.

18. En septième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes de l'article 17 de ce même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".

19. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

20. D'une part, la requérante soutient que son renvoi auprès des autorités roumaines l'exposerait à de mauvais traitements et à des violences à son encontre de la part de la police de cet Etat. Toutefois, il ne ressort pas des documents qu'elle produit que les autorités de la Roumanie, Etat membre de l'Union européenne, auraient une politique systématique de tortures et de violences à l'égard des demandeurs d'asile. Si elle se prévaut par ailleurs d'un certificat médical qui met en évidence plusieurs cicatrices constatées sur son corps, ce document ne permet pas de se prononcer pas sur l'origine de ces cicatrices et n'établit pas que les autorités roumaines seraient à l'origine de ces marques.

21. D'autre part, si la requérante émet des craintes concernant un possible éloignement vers son pays d'origine du fait du rejet de sa demande d'asile par les autorités roumaines, elle ne produit pas d'éléments probants tendant à démontrer que les autorités roumaines auraient pour pratique d'éloigner dans leurs pays d'origine les ressortissants d'Etat tiers qui y seraient exposés à des traitements prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Dès lors, il ne ressort pas des pièces du dossier que sa demande d'asile ne pourrait pas être examinée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que la Roumanie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

22. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le préfet du Doubs aurait commis une erreur manifeste d'appréciation quant à l'application des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, ou qu'il aurait fait une inexacte application de l'article 3.2 de ces règlements. Les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent également être écartés.

En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

23. Il résulte de ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de l'arrêté portant remise aux autorités roumaines à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté prononçant son assignation à résidence.

24. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme B... A... n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêtés du 10 mars 2023, ni à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande. Sa requête ne peut donc qu'être rejetée, dans toutes ses conclusions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- Mme Stenger, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : A. Samson-DyeL'assesseur le plus ancien,

Signé : E. Meisse

La greffière,

Signé : S. Blaise

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière :

S. Blaise

2

N° 23NC00959


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00959
Date de la décision : 20/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-20;23nc00959 ?
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