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20/06/2024 | FRANCE | N°23NC00910

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 20 juin 2024, 23NC00910


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés des 28 février 2023 par lesquels le préfet du Doubs, d'une part, a ordonné son transfert aux autorité portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile, d'autre part, a prononcé son assignation à résidence dans le département du Doubs pour une durée de quarante-cinq jours, renouvelable trois fois.



Par un jugement n° 2300338 du 6 mars 2023, le magistrat désign

par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté cette demande.



Procédure ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés des 28 février 2023 par lesquels le préfet du Doubs, d'une part, a ordonné son transfert aux autorité portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile, d'autre part, a prononcé son assignation à résidence dans le département du Doubs pour une durée de quarante-cinq jours, renouvelable trois fois.

Par un jugement n° 2300338 du 6 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 et 28 mars 2023, Mme C..., représentée par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2300338 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon du 6 mars 2023 ;

2°) d'annuler les arrêtés du préfet du Doubs du 28 février 2013 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de procéder, dans les délais respectifs de quarante-huit heures et de huit jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, à titre principal, à l'enregistrement de sa demande d'asile, à titre subsidiaire, au réexamen de sa demande d'admission provisoire au séjour ;

4°) de mettre à l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relatif à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la décision de transfert a été prise par une autorité incompétente ;

- la décision en litige est insuffisamment motivée en droit ;

- cette décision méconnaît les dispositions combinées du cinquième paragraphe de l'article 9 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, relatif aux conditions de relevé et d'exploitation des empreintes digitales, et de l'article 21 du règlement (UE) n° 767/2008 du Parlement européen et du Conseil du 9 juillet 2008, relatif au système d'information sur les visas (VIS) et l'échange de données entre les Etats membres sur les visas de court séjour ; le tribunal n'a pas statué sur le moyen qui avait été soulevé à cet égard ;

- cette décision méconnaît également le droit à l'information garanti par les dispositions combinées des articles 4 et 20 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, relatif aux critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, et de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- elle méconnaît encore l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il n'est pas établi que son entretien individuel a été mené par un agent qualifié en vertu du droit national ;

- elle méconnaît enfin l'article 53-1 de la Constitution, les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale, la convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, le premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, les articles 7 et 51 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et l'article 21 de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, dès lors que sa fille mineure souffre de drépanocytose et que l'administration ne démontre pas avoir informé en temps utile les autorités portugaises de son état de santé, avoir exigé d'elles des garanties de prise en charge adaptée et de s'être assurée de l'innocuité du transfert sur la pathologie de l'enfant et de la continuité des soins au Portugal ;

- la décision portant assignation à résidence doit être annulée pour défaut de base légale par voie de conséquence de l'annulation de la décision de transfert.

La requête a été régulièrement communiquée au préfet du Doubs, qui n'a pas défendu dans la présente instance.

Par un courrier du 24 novembre 2023, les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative que la cour été susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de que, du fait de l'expiration du délai de six mois, prévu à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, la présent requête est devenue sans objet et qu'il n'y a plus lieu d'y statuer.

Des observations en réponse au courrier du 24 novembre 2023, présentées par le préfet du Doubs, ont été reçues le 5 février 2022.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

- la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 767/2008 du Parlement européenne et du Conseil du 9 juillet 2008 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Meisse a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... est une ressortissante angolaise, née le 2 septembre 1992. Elle a déclaré être entrée en France, à une date indéterminée, en provenance du Portugal, accompagnée de sa fille mineure, née le 22 juillet 2018. La requérante s'étant présentée à la préfecture en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile, la consultation de la base de données biométriques " Visabio " a révélé que les autorités portugaises consulaires de Luanda en Angola avaient délivré à l'intéressée, le 14 juin 2022, un visa de type C, valable du 20 juin au 16 décembre 2022, l'autorisant à séjourner pour une durée de quatre-vingt-dix jours. Une demande de prise en charge a donc été adressée au Portugal, qui a donné son accord explicite le 12 décembre. Par deux arrêtés du 28 février 2023, le préfet du Doubs a ordonné le transfert de la requérante aux autorités portugaises compétentes et, aux fins d'exécution de cette mesure, a prononcé son assignation à résidence dans le département du Doubs pour une durée de quarante-cinq jours, renouvelable trois fois. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Besançon d'une demande tendant à l'annulation des arrêtés préfectoraux des 28 février 2023. Elle relève appel du jugement du 6 mars 2023, qui rejette sa demande.

Sur la décision de transfert aux autorités portugaises :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision en litige a été signée, " pour le préfet ", par M. Philippe Portal, secrétaire général de la préfecture du Doubs. Or, par un arrêté du 25 juillet 2022, régulièrement publié le même jour au recueil n° 25 des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Doubs a consenti à M. A... une délégation de signature à l'effet de signer notamment tous arrêtés ou décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département et notamment les " décisions de transfert des étrangers dont l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat membre ". Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité signataire de l'acte manque en fait et il ne peut, dès lors, qu'être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. ".

4. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. Ainsi, doit notamment être regardée comme suffisamment motivée, s'agissant d'un étranger en provenance d'un pays tiers, la décision de transfert à fin de prise en charge qui, après avoir visé le règlement, fait référence à la consultation de la base de données biométriques " Visabio ", relative aux visas délivrés dans l'Union européenne, sans autre précision, une telle motivation faisant apparaître que l'Etat responsable a été désigné en application du critère énoncé au deuxième paragraphe de l'article 12 du chapitre III du règlement.

5. Il ressort des pièces du dossier que la décision en litige mentionne, dans ses visas et motifs, le règlement (UE) n° 604/213 du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, et se réfère, sans autre précision, à la consultation de la base de données biométriques " Visabio ". Dans ces conditions, cette décision est suffisamment motivée en droit au regard des exigences du deuxième alinéa de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors même que ni le règlement (UE) n° 767/2008 du Parlement européenne et du Conseil du 9 juillet 2008, concernant le système d'information sur les visas (VIS) et l'échange de données entre les États membres sur les visas de court séjour, ni le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n ° 604/2013, n'y sont pas visés. Dès lors, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté comme manquant en fait.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Chaque État membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale âgé de 14 ans au moins et la transmet au système central dès que possible et au plus tard 72 heures suivant l'introduction de la demande de protection internationale (...). / (...) / 5. Le système central transmet automatiquement le résultat positif ou négatif de la comparaison à l'État membre d'origine. En cas de résultat positif, il transmet, pour tous les ensembles de données correspondant au résultat positif, les données visées à l'article 11, points a) à k), en même temps que la marque visée à l'article 18, paragraphe 1, le cas échéant. ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 21 du règlement (UE) n° 767/2008 du 9 juillet 2008 : " Les autorités compétentes en matière d'asile effectuent des recherches à l'aide des empreintes digitales du demandeur d'asile dans le seul but de déterminer l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile (...). / Lorsque les empreintes digitales du demandeur d'asile ne peuvent être utilisées ou en cas d'échec de la recherche par les empreintes digitales, la recherche est effectuée à l'aide des données visées à l'article 9, paragraphe 4, points a) et/ou c) ; cette recherche peut être effectuée en combinant ces données avec celles visées à l'article 9, paragraphe 4, point b). ". Aux termes de l'article 9 du même règlement : " L'autorité chargée des visas saisit les données suivantes dans le dossier de demande : (...) 4) les données suivantes extraites du formulaire de demande : a) nom, nom de naissance (...) ; prénom(s) ; sexe ; date, lieu et pays de naissance ; b) nationalité actuelle et nationalité à la naissance ; c) type et numéro du document de voyage, autorité l'ayant délivré et date de délivrance et d'expiration ; (...) ".

7. Mme B... fait valoir que la consultation de la base de données biométriques " Visabio " aux fins de la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile n'est possible qu'en cas d'échec de la recherche par les empreintes digitales et que, à défaut pour le préfet du Doubs de produire le document attestant de l'issue positive ou négative de la comparaison effectuée dans le système central " Eurodac ", il n'est pas établi que cette condition était remplie en l'espèce. Toutefois, la requérante ne soutient pas avoir sollicité l'asile dans un autre Etat membre que la France et ne conteste pas davantage avoir été mise en possession par les autorités consulaires portugaises de Luanda, le 14 juin 2022, d'un visa de type C, valable du 20 juin au 16 décembre 2022, l'autorisant à séjourner pour une durée de quatre-vingt-dix jours. Dans ces conditions, à supposer même que la consultation de la base de données biométriques " Visabio " ait été réalisée dans des conditions irrégulières, une telle circonstance n'a pas privé l'intéressée d'une garantie, ni exercé une influence sur le sens de la décision en litige. Par suite, le moyen ne peut être accueilli. En outre, le moyen tiré de ce que le premier juge n'aurait pas statué sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 9 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, tel qu'il était soulevé en première instance, manque en fait.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent (...) ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres 5 (...) ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. (...) ". Aux termes du deuxième paragraphe de l'article 20 du même règlement : " Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'État membre concerné. Dans le cas d'une demande non écrite, le délai entre la déclaration d'intention et l'établissement d'un procès-verbal doit être aussi court que possible. ". Aux termes de l'article 29 du règlement du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'État membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend (...). / 2. Dans le cas de personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, les informations visées au paragraphe 1 du présent article sont fournies au moment où les empreintes digitales de la personne concernée sont relevées. / (...) / 3. Une brochure commune, dans laquelle figurent au moins les informations visées au paragraphe 1 du présent article et celles visées à l'article 4, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 604/2013 est réalisée conformément à la procédure visée à l'article 44, paragraphe 2, dudit règlement. / (...) ".

9. D'une part, à la différence de l'obligation d'information instituée par le premier paragraphe de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Dans ces conditions, la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles le préfet transfère un demandeur d'asile aux autorités compétentes de l'Etat qui s'est reconnu responsable de l'examen de sa demande. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté comme inopérant.

10. D'autre part, il résulte du premier paragraphe de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application de ce règlement doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus par les dispositions en cause, par écrit et dans une langue qu'il comprend. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie dont la méconnaissance est de nature à entacher d'illégalité la décision ordonnant la remise de l'intéressé à l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile. L'annexe X au règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 précise le contenu de la " brochure commune " prévue par le troisième paragraphe de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

11. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a reçu successivement le guide du demandeur d'asile en France et la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande d'asile ' ", le 16 septembre 2022, puis le guide relatif au relevé des empreintes digitales et à leur exploitation dans le système " Eurodac " et la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie ' ", le 21 septembre 2022. Il n'est pas contesté que les informations contenues dans ces différents documents, qui portent la signature de la requérante et qui sont rédigés en portugais, langue que l'intéressée a déclaré comprendre, satisfont aux exigences de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Dans ces conditions, alors même que lesdits documents n'ont pas tous été remis le même jour, leur remise est néanmoins intervenue en temps utile pour permettre à la requérante de faire valoir ses observations lors de son entretien individuel, lequel s'est tenu le 21 septembre 2022 dans les locaux de la préfecture de police de Paris. Par suite, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions combinées des articles 4 et 20 du règlement du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type (...). ".

13. S'il ne résulte, ni du cinquième paragraphe de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni d'aucun principe, que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a bien, en application des dispositions en cause, été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".

14. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a bénéficié d'un entretien individuel au sein des locaux de la préfecture de police de Paris, le 21 septembre 2022. Il résulte du résumé de cet entretien, versé aux débats par le préfet du Doubs et sur lequel figurent notamment la signature de l'intéressée et le tampon du bureau de l'accueil de la demande d'asile de la délégation à l'immigration de la préfecture de police, que celui-ci a été conduit, dans des conditions en garantissant la confidentialité et avec l'assistance d'une interprète agréée en langue portugaise, par " un agent qualifié de la préfecture de police de Paris ", ainsi que le fait valoir le préfet dans ses écritures de première instance. La requérante ne fait état d'aucun élément susceptible de remettre en cause une telle mention, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire. Dans ces conditions, et alors qu'il ne résulte, ni des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni d'aucun principe, que devrait figurer sur le résumé la mention de l'identité de l'agent concerné, le préfet doit être regardé comme ayant apporté la preuve, qui lui incombe en cas de contestation, que l'entretien individuel du 21 septembre 2022 a bien été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ". Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen.

15. En sixième lieu, si Mme B... soutient que la décision en litige méconnaît les stipulations de la convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, le moyen ainsi articulé n'est pas assorti de précision suffisante pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, il ne peut qu'être écarté.

16. En septième et dernier lieu, aux termes, d'une part, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfants : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 51 de la même charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l'Union telles qu'elles lui sont conférées dans les traités. ". Aux termes de l'article 21 de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale : " Dans leur droit national transposant la présente directive, les États membres tiennent compte de la situation particulière des personnes vulnérables, telles que les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation génitale féminine. ".

17. Aux termes, d'autre part, de l'article 53-1 de la Constitution : " La République peut conclure avec les Etats européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d'asile et de protection des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile qui leur sont présentées. / Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. ". Aux termes du premier alinéa du premier paragraphe de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ".

18. Il résulte de ces dernières dispositions que la faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En particulier, lorsque le transfert d'un demandeur d'asile présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave entraînerait le risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens des articles 3 de cette convention et 4 de cette charte. Il appartient aux autorités nationales concernées de vérifier auprès de l'État membre responsable que les soins indispensables seront disponibles à l'arrivée et que le transfert n'entraînera pas, par lui-même, de risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de l'état de santé de l'intéressé ou, à défaut, d'examiner elles-mêmes la demande en faisant usage de la " clause discrétionnaire " prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

19. Il résulte notamment des comptes-rendus d'hospitalisation de l'enfant de la requérante dans le service pédiatrique du centre hospitalier de Besançon des 31 octobre, 28 novembre et 28 décembre 2022, que la fille de Mme B..., qui est scolarisée en classe de maternelle, présente un syndrome drépanocytaire majeur, qui nécessite la mise en œuvre d'un traitement médicamenteux et un suivi médical régulier. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressée se trouverait dans l'impossibilité de bénéficier effectivement d'un traitement approprié à sa pathologie au Portugal, ni que le transfert litigieux serait de nature à entraîner, par lui-même, un risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé. Dans ces conditions, si la requérante fait valoir que l'administration ne démontre pas avoir informé en temps utile les autorités portugaises de l'affection dont souffre sa fille, ni avoir exigé d'elles des garanties de prise en charge adaptée, ni s'être assurée de l'innocuité du transfert sur la situation médicale de l'enfant et de la continuité des soins sur le territoire portugais, de telles circonstances, à les supposer établies, demeurent sans incidence sur la légalité de la décision en litige. Par suite, et alors que les articles 31 et 32 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 imposent à l'État membre requérant, préalablement à l'exécution du transfert, de communiquer, le cas échéant, à l'État membre responsable les informations concernant l'état de santé du demandeur d'asile, le préfet du Doubs n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire usage de la " clause discrétionnaire " prévue à l'article 17. Il n'a pas davantage méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, ainsi que les dispositions combinées des article 7 et 51 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et celles de l'article 21 de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale.

Sur la décision d'assignation à résidence :

20. Compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait illégale en raison de l'illégalité de la décision de transfert de la requérante aux autorités portugaises ne peut qu'être écarté.

21. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêtés du préfet du Doubs du 28 février 2023, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions à fin d'application des dispositions combinées l'article L. 761 1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- Mme Stenger, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.

Le rapporteur,

Signé : E. Meisse

La présidente,

Signé : A. Samson-Dye

La greffière,

Signé : S. Blaise

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière :

S. Blaise

N°23NC00910 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00910
Date de la décision : 20/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-20;23nc00910 ?
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