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20/06/2024 | FRANCE | N°23NC00648

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 20 juin 2024, 23NC00648


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 6 octobre 2021 par lequel le préfet de la Marne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et lui a interdit le retour en France pendant six mois.



Par un jugement n° 2102461 du 8 mars 2022, le président du tribunal administratif d

e Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 6 octobre 2021 par lequel le préfet de la Marne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et lui a interdit le retour en France pendant six mois.

Par un jugement n° 2102461 du 8 mars 2022, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 février 2023, M. B... A..., représenté par Me Gabon, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2102461 du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 8 mars 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Marne du 6 octobre 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relatif à l'aide juridique.

Il soutient que :

- l'arrêté en litige du 6 octobre 2021 a été pris par une autorité incompétente ;

- il est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'un défaut d'examen particulier et approfondi de sa situation personnelle ;

- il est également entaché d'un vice de procédure, dès lors que, en méconnaissance du droit d'être entendu garanti à l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il n'a pas été mis à même de formuler des observations, assisté, conformément aux articles L. 141-2 à L. 141-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'un interprète dûment qualifié.

- il méconnaît les articles L. 613-3 à L. 613-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il n'a pas bénéficié, dans une langue qu'il comprend, des informations prévues par les dispositions en cause lors de la notification des décisions portant obligation de quitter sans délai le territoire français et interdiction de retour en France pendant six mois ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les dispositions des articles L. 431-2, L. 423-23 et 435-1 du code de l'entrée et du séjour ders étrangers et du droit d'asile ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- le préfet de la Marne ne pouvait légalement prendre à son encontre une obligation de quitter le territoire français et une interdiction de retour en France de six mois, dès lors qu'il a produit des documents authentiques attestant de son état civil et qu'il peut prétendre de plein droit à la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;

- l'arrêté en litige méconnaît l'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement n° 2100534 du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 21 avril 2021 devenu définitif ;

- le préfet de la Marne ne pouvait légalement prendre une interdiction de retour sur le territoire français sur le fondement de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision méconnaît les dispositions des articles L. 612-6, L. 612-9

et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et droit d'asile ;

- l'arrêté en litige est entaché d'une erreur de fait, d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation au regard des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions du second alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté en litige est également entaché d'illégalité en ce qu'il prévoit, sans le déterminer au préalable, son renvoi dans tout pays où il serait légalement admissible.

La requête a été régulièrement communiquée au préfet de la Marne, qui n'a pas défendu dans la présente instance.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;

- le décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Meisse a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Se déclarant ressortissant guinéen, né le 28 février 1998, M. B... A... est entré irrégulièrement en France en 2018. Il a présenté une demande d'asile, qui a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 24 octobre 2019, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 13 janvier 2020. Il s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français, sans avoir cherché à régulariser sa situation. L'intéressé ayant été placé, le 10 mars 2021, en retenue administrative pour vérification de son droit au séjour, le préfet de la Marne, par un arrêté du 11 mars 2021, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour en France pendant un an. Par un jugement n° 2100534 du 21 avril 2021, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé cet arrêté pour méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a enjoint à l'administration de réexaminer la situation de l'intéressé dans un délai de deux mois suivant la notification de ce jugement et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour. A l'issue de ce réexamen, remettant en cause l'authenticité des documents d'état civil produits par le requérant pour attester de son identité, le préfet a pris un nouvel arrêté, le 6 octobre 2021, par lequel il réitère son obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixe le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et prononce une interdiction de retour en France de six mois. M. A... a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 6 octobre 2021. Il relève appel du jugement du 8 mars 2022, qui rejette sa demande.

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en litige du 6 octobre 2021 a été signé, " pour le préfet et par délégation ", par M. Emile Soumbo, secrétaire général de la préfecture de la Marne. Or, par un arrêté du 30 août 2021, régulièrement publié le jour même au bulletin d'information et recueil n° 8-12 des actes administratifs de la préfecture, le préfet de la Marne a consenti à M. C... une délégation de signature à l'effet de signer notamment tous arrêtés ou décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département, à l'exception de certaines catégories de mesures au nombre desquelles ne figurent pas les actes pris au titre de la police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité signataire manque en fait et il ne peut, dès lors, qu'être écarté.

3. En deuxième lieu, l'arrêté en litige, qui énonce, dans ses visas et motifs, les considérations de droit et de fait constituant le fondement de chacune des décisions qu'il comporte, est suffisamment motivé. Par suite, et alors que cet arrêté fait notamment état de la présence en France de la mère et de la fratrie de M. A... et qu'il indique que l'intéressé n'établit pas être exposé à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Guinée, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et il ne peut, dès lors, qu'être écarté.

4. En troisième lieu, il ne résulte, ni des motifs de l'arrêté en litige, ni d'aucune des autres pièces du dossier, que le préfet de la Marne se serait abstenu de procéder à un examen particulier et approfondi de la situation personnelle de M. A.... Par suite, le moyen tiré du défaut d'un tel examen doit également être écarté.

5. En quatrième lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : a) le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ".

6. D'une part, M. A... ne saurait utilement invoquer une méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui s'adresse exclusivement, ainsi qu'il résulte des dispositions en cause, aux institutions, organes et organismes de l'Union. Dès lors, ce moyen doit être écarté comme inopérant.

7. D'autre part, à supposer même que le requérant ait entendu se prévaloir des principes généraux du droit de l'Union européenne garantissant le droit d'être entendu, il ressort des pièces du dossier qu'il lui a été loisible d'apporter à l'administration toutes les précisions jugées utiles aux fins notamment de lui permettre d'apprécier son droit au séjour en France, non seulement lors de l'instruction de sa demande d'asile, mais également lors de son placement en retenue administrative pour vérification du droit au séjour le 10 mars 2021, puis, à la suite de l'annulation par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de la mesure d'éloignement prise à son encontre, lors du réexamen de sa situation par le préfet de la Marne. Si M. A... fait valoir dans ses écritures qu'il aurait souhaité présenter des observations sur la présence de sa famille en France et sur la validité des actes d'état-civil qu'il a produits, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait sollicité en vain un entretien auprès des services de la préfecture, ni qu'il aurait été en mesure de fournir des éléments susceptibles d'aboutir à l'édiction d'un arrêté différent de celui contesté. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu, tel que garanti par les principes généraux du droit de l'Union, ne peut qu'être écarté comme manquant en fait.

8. Enfin, M. A... ne saurait utilement invoquer une méconnaissance des articles L. 141-2 à L. 141-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'imposent pas, par eux-mêmes, au bénéfice de l'étranger concerné, l'assistance d'un interprète dûment qualifié pour présenter ses observations. Dans ces conditions, ce moyen doit être écarté comme inopérant.

9. En cinquième lieu, les irrégularités, dont est entachée, le cas échéant, la notification de l'arrêté en litige, étant sans incidence sur la légalité de cet acte, le requérant ne saurait utilement soutenir que, lors de la notification des décisions portant obligation de quitter sans délai le territoire français et interdiction de retour en France pendant six mois, il n'a été destinataire, dans une langue qu'il comprend, des informations prévues par les articles L. 613-3 à L. 613-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, il y a lieu d'écarter comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions en cause.

10. En sixième lieu, si l'intéresse mentionne les dispositions de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ne démontre pas en quoi elles auraient été méconnues.

11. En septième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Marne ait examiné d'office si M. A... pouvait être autorisé à séjourner sur les fondements des articles L. 423-23 ou L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi qu'il lui était loisible de le faire à titre gracieux. Dans ces conditions, le requérant, qui n'a pas sollicité son admission au séjour sur un fondement autre que l'asile, ne saurait utilement se prévaloir d'une méconnaissance des dispositions en cause par l'arrêté en litige. En outre, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé pourrait prétendre à la délivrance de plein droit d'un titre en application de l'article L. 423-23, au regard de ce qui est précisé au point 20, il n'est pas davantage fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur de droit en prononçant à son encontre une mesure d'éloignement. Par suite, les moyens invoqués en ce sens doivent être écartés comme inopérants.

12. En huitième lieu, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

13. Il résulte de ces dispositions de l'article 47 du code civil qu'en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger et pour écarter la présomption d'authenticité dont bénéficie un tel acte, l'autorité administrative procède aux vérifications utiles. Si l'article 47 du code civil pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays, il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve, par tout moyen, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. En revanche, l'autorité administrative n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont elle dispose sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

14. Aux termes, enfin, du II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : " Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet. / La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu / Un décret en Conseil d'Etat précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation. ". Aux termes de l'article 1er du décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère, applicable aux légalisations intervenues à compter du 1er janvier 2021 : " Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France ou devant un ambassadeur ou chef de poste consulaire français doit être légalisé pour y produire effet. La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. Elle donne lieu à l'apposition d'un cachet dont les caractéristiques sont définies par arrêté conjoint des ministres chargés de la justice et des affaires étrangères ".

15. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'est produit devant l'administration un acte d'état civil émanant d'une autorité étrangère qui a fait l'objet d'une légalisation, sont en principe attestées la véracité de la signature apposée sur cet acte, la qualité de celui qui l'a dressé et l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. En cas de doute sur la véracité de la signature, sur l'identité du timbre ou sur la qualité du signataire de la légalisation, il appartient à l'autorité administrative de procéder, sous le contrôle du juge, à toutes vérifications utiles pour s'assurer de la réalité et de l'authenticité de la légalisation. En outre, la légalisation se bornant à attester de la régularité formelle d'un acte, la force probante de celui-ci peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. Par suite, en cas de contestation de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il revient au juge administratif de former sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. A la condition que l'acte d'état civil étranger soumis à l'obligation de légalisation et produit à titre de preuve devant l'autorité administrative ou devant le juge présente des garanties suffisantes d'authenticité, l'absence ou l'irrégularité de sa légalisation ne fait pas obstacle à ce que puissent être prises en considération les énonciations qu'il contient.

16. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son identité et de sa nationalité, M. A... a transmis à l'administration un jugement supplétif n° 8372 du tribunal de première instance de Kaloum-Conakry du 10 novembre 2014 tenant lieu d'acte de naissance, un extrait du registre de l'état-civil de la commune de Kaloum, daté du 11 novembre 2014 et procédant à la transcription de ce jugement supplétif, ainsi qu'une copie de son passeport en cours de validité et d'une carte consulaire. Il verse également aux débats contentieux devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne un second jugement supplétif n° 812 du 20 septembre 2021, rendu par le juge de paix de Gaoual, un extrait du registre de l'état-civil de la commune de Gaoual, daté du 1er octobre 2021 et procédant à la transcription de ce jugement supplétif. Enfin, l'intéressé produit encore, à hauteur d'appel, un extrait du registre de transcription de la commune de Gaoual, daté du 11 février 2022 et procédant aussi à la transcription du jugement supplétif n° 812 du 20 septembre 2021.

17 . Le préfet de la Marne se prévaut, pour sa part, des conclusions défavorables de deux rapports d'examen technique documentaire des 10 août et 30 décembre 2021, établis par un analyste en fraude documentaire et à l'identité de la direction zonale de la police aux frontières Est, selon lesquels les documents d'état-civil produits par le requérant constituent des faux en écritures publiques au sens de l'article 441-4 du code pénal. Il résulte en particulier du premier rapport que le jugement supplétif n° 8372 du 10 novembre 2014 a été rendu sur la requête de M. A... lui-même, alors que celui-ci était encore mineur et ne pouvait ester en justice, qu'il a été transcrit sur le registre de l'état-civil dès le lendemain, alors que le délai recours n'était pas expiré et que des traces de falsification apparaissent sur ces deux pièces au niveau du prénom du père de l'intéressé. Le second rapport d'expertise, quant à lui, émet de fortes réserves sur la possibilité pour un même étranger d'être destinataire de deux jugements supplétifs tenant lieu d'acte de naissance, rendus par deux juridictions différentes et transcris dans des registres de l'état-civil tenus par deux communes différentes. Enfin, il ressort des termes mêmes de l'extrait du registre de transcription de la commune de Gaoual du 11 février 2022, produit en appel par M. A..., que c'est le tribunal de première instance de Conakry 3 - Mafanco, et non plus la justice de paix de Gaoual, qui a rendu le jugement supplétif n° 812 du 20 septembre 2011. En se bornant à faire valoir, sans autre précision, qu'il atteste de l'authenticité des actes d'état-civil produits et que celle-ci est corroborée par la production de sa carte consulaire et de son passeport, le requérant ne conteste pas sérieusement l'appréciation à laquelle s'est livré le préfet de la Marne, dans l'arrêté en litige, en se fondant notamment sur le rapport d'examen technique documentaire du 10 août 2021.

18. Au regard de la nature et de l'importance des anomalies relevées dans ce rapport et dans celui du 30 décembre 2021, propres à renverser la présomption d'authenticité résultant de l'article 47 du code civil, l'autorité préfectorale a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, écarter comme dépourvus de valeur probante les documents d'état-civil communiqués par l'intéressé. La même conclusion s'impose pour le passeport et les cartes d'identité consulaires de l'intéressé, qui ont été établis à partir des mentions figurant sur ces documents et qui, au demeurant, comportent des erreurs grossières quant au nom, au lieu de naissance ou au sexe du requérant. Par suite, eu égard à la circonstance nouvelle tenant au caractère frauduleux des documents d'état-civil produits par M. A..., le préfet de la Marne a pu, sans commettre d'erreur de droit, ni méconnaître l'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement d'annulation du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 21 avril 2021, devenu définitif, considérer que celui-ci ne remplissait pas les conditions de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile pour solliciter la délivrance d'un titre de séjour et prendre à nouveau à son encontre une mesure d'éloignement.

19. En neuvième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

20. Il ressort des pièces du dossier que M. A... n'est présent sur le territoire français que depuis 2018. Depuis le rejet de sa demande d'asile par la Cour nationale du droit d'asile le 13 janvier 2020, il n'a pas cherché à régulariser sa situation et, eu égard au caractère frauduleux des documents d'état-civil qu'il a produits, il ne justifie pas de son identité et, par voie de conséquence, de la réalité des attaches familiales en France dont il se prévaut. En tout état de cause, s'il fait valoir qu'il est hébergé à Reims par sa mère, titulaire d'une carte de résident en qualité de réfugiée valable jusqu'au 26 décembre 2026, qu'il vit à son domicile avec l'ensemble de sa fratrie et que son père réside à Poitiers, il n'est pas contesté que le requérant, qui a indiqué avoir été élevé en Guinée avec deux autres frères par un oncle, n'a pu bénéficier d'une mesure de regroupement familial en sa faveur et a vécu séparé de ceux qu'il présente comme des membres de sa famille vivant en France pendant plusieurs années. Il ne produit aucun élément permettant d'apprécier l'effectivité de ses liens avec les personnes concernées, ainsi que son intégration dans la société française. En outre, M. A..., qui indique être désormais père d'une petite fille, née à Reims le 28 septembre 2022, postérieurement à l'arrêté en litige, a vocation à constituer sa propre cellule familiale. Par suite, et alors que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantit pas à l'étranger le droit de choisir le lieu qu'il estime le plus approprié pour y développer une vie privée et familiale, l'arrêté litigieux n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Il y a donc lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations.

21. En dixième lieu, eu égard notamment aux circonstances qui ont été analysées au point précédent, le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. A... ne peut être accueilli.

22. En onzième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

23. D'une part, M. A... ne saurait utilement invoquer les stipulations et les dispositions en cause pour contester la légalité des décisions portant obligation de quitter sans délai le territoire française et interdiction de retour en France pendant six mois. De tels moyens, en tant qu'ils sont dirigés contre ces décisions, sont inopérants et ils ne peuvent, par suite, qu'être écartés.

24. D'autre part, à supposer que le requérant ait entendu contester la légalité de la décision portant fixation du pays de destination, M. A... se borne à alléguer qu'il a été victime de persécutions en Guinée mais ne produit aucun élément susceptible d'étayer ses allégations. Par suite, alors que, au demeurant, sa demande d'asile a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile, il y a lieu d'écarter les moyens tirés respectivement de ce que cette décision serait entachée d'une erreur de fait, d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation au regard des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions du second alinéa de

l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

25. En douzième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. ".

26. Il ressort clairement de ces dispositions que la fixation d'un pays de renvoi, qui ne serait pas celui de la nationalité de l'étranger ou celui pour lequel il disposerait d'un document de voyage en cours de validité, n'est possible qu'avec l'accord de l'intéressé et à la condition qu'il justifie lui-même être légalement admissible dans ce pays. Il est constant que M. A..., qui s'est présenté comme ressortissant guinéen, ne s'est prévalu d'aucune admission dans un autre Etat que la Guinée. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Marne, en ne déterminant pas expressément le ou les pays dans lesquels il serait légalement admissible, a entaché d'illégalité l'arrêté en litige. Dès lors, ce moyen doit être écarté.

27. En treizième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-7 du même code : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-8 du même code : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-9 du même code : " Sauf s'il n'a pas satisfait à une précédente décision portant obligation de quitter le territoire français ou si son comportement constitue une menace pour l'ordre public, les articles L. 612-6, L. 612-7 et L. 612-8 ne sont pas applicables à l'étranger obligé de quitter le territoire français au motif que le titre de séjour qui lui avait été délivré en application des articles L. 425-1 ou L. 425-3 n'a pas été renouvelé ou a été retiré ou que, titulaire d'un titre de séjour délivré sur le même fondement dans un autre Etat membre de l'Union européenne, il n'a pas rejoint le territoire de cet État à l'expiration de son droit de circulation sur le territoire français dans le délai qui lui a, le cas échéant, été imparti. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".

28. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. A... ne se trouve pas dans une situation mentionnée à l'article L. 612-6 ou L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, le préfet de la Marne pouvait légalement prendre à son encontre une interdiction de retour en France sur le fondement de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit ne peut qu'être écarté.

29. D'autre part, il est constant que M. A... bénéficie d'un délai de trente jours pour quitter volontairement le territoire français et qu'il n'a jamais été mis en possession d'un titre de séjour délivré sur le fondement de l'article L. 425-1 ou de l'article L. 425-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou d'un titre de séjour délivré sur le même fondement par un autre Etat membre de l'Union européenne. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 612-6 et L. 612-9 ne peuvent qu'être écartés.

30. Enfin, il ressort des pièces du dossier que, pour prononcer à l'encontre de M. A... une interdiction de retour en France de six mois, le préfet de la Marne a retenu que l'intéressé est présent sur le territoire français depuis 2018, qu'il est célibataire et sans enfant à charge, qu'il a présenté de faux documents d'identité en vue d'obtenir frauduleusement un titre de séjour, que, ne justifiant pas de son état-civil, il ne remplit pas les conditions prévues par l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour se voir reconnaître un droit de séjourner et que, la détention et l'usage de faux étant un délit au regard de l'article 441-1 du code pénal, son comportement est constitutif d'une menace à l'ordre public. Dans ces conditions, le requérant n'est fondé à soutenir que le préfet, qui a pris en considération l'ensemble des critères énumérés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aurait méconnu les dispositions en cause. Par suite, ce dernier moyen ne peut être accueilli.

31. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Marne du 6 octobre 2021, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Marne.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- Mme Stenger, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.

Le rapporteur,

Signé : E. Meisse

La présidente,

Signé : A. Samson-Dye

La greffière,

Signé : S. Blaise

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière :

S. Blaise

N° 23NC00648 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00648
Date de la décision : 20/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : GABON

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-20;23nc00648 ?
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