Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy l'annulation de l'arrêté du 18 novembre 2022 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.
Par un jugement n° 2203487 du 9 février 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a, d'une part, annulé l'arrêté du 18 novembre 2022, d'autre part, enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai de deux mois suivant la notification de ce jugement et de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour, enfin, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 février 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2203487 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy du 9 février 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée en première instance par M. A....
Il soutient que :
- c'est à tort que la magistrate désignée a annulé la décision portant obligation de quitter le territoire français pour méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que la durée de la présence en France de Mme A... est faible, qu'elle s'est toujours présentée comme divorcée et n'a jamais fait état de sa relation avec un compatriote en situation régulière, qu'elle ne justifie pas de l'ancienneté et de la stabilité de cette relation, ni d'une intégration significative dans la société française et qu'elle possède des attaches familiales fortes dans son pays d'origine ;
- il renvoie à ses écritures de première instance s'agissant des autres moyens invoqués par Mme A... contre cette décision.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2023, Mme B... A..., représentée par Me Fournier, conclut au rejet de la requête, à l'annulation de l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 18 novembre 2022, à ce qu'il soit enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer sa situation ou de lui délivrer sous astreinte une carte de séjour temporaire " vie privée et familiale " ou " salarié " et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à bon droit que la magistrate désignée a annulé la décision portant obligation de quitter le territoire français pour méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision méconnaît également les article L. 421-1, L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 décembre 2022, maintenue par celle du 27 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Meisse ;
- et les observations de Me Fournier, pour Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A... est une ressortissante russe, née le 14 janvier 1972. Elle a déclaré être entrée en France le 21 mars 2019. Le 17 avril 2019, elle a présenté une demande d'asile, qui a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 10 août 2021, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 4 octobre 2022. Par un arrêté du 18 novembre 2022, pris en application des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière. Mme A... a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 18 novembre 2022. Le préfet
de Meurthe-et-Moselle relève appel du jugement du 9 février 2023, qui, d'une part, annule cet arrêté, d'autre part, lui enjoint de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois suivant sa notification et de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est arrivée en France, le 21 mars 2019, à l'âge de quarante-sept ans et justifiait ainsi d'une durée de séjour, à la date de la décision attaquée, de plus de trois ans. Elle justifie, par les éléments versés au dossier, vivre maritalement, depuis son entrée sur le territoire français, avec un compatriote, qu'elle a épousé religieusement en Ingouchie le 25 juillet 2018. Le conjoint de l'intéressée, présent en France depuis de nombreuses années, est titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle et travaille dans le secteur de la métallurgie. Divorcé depuis le 23 septembre 2015, il est le père de trois enfants, nés respectivement les 24 novembre 1994, 30 juillet 1997 et 25 avril 2004, qui sont titulaires chacun d'un titre de séjour. Bien que résidant auprès de leur mère à Valence, ces derniers rendent régulièrement visite à leur père et attestent de leurs bonnes relations avec sa nouvelle compagne. Mme A..., qui était professeur de littérature à Grozny et qui a suivi de façon intensive des cours de français, verse aux débats des photographies et des attestations permettant d'apprécier l'effectivité de sa communauté de vie, ses qualités humaines et ses efforts d'intégration. S'il est vrai, ainsi que le fait valoir l'administration, que ses attestations de demande d'asile successives portent la mention " divorcée " et font état d'une domiciliation dans un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile, il est constant que, lors d'un entretien du 25 mai 2021 avec l'officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, Mme A... a bien indiqué qu'elle était mariée et qu'elle vivait avec son mari. Dans ces conditions, alors même qu'elle n'est pas isolée dans son pays d'origine, où vivent notamment sa sœur et son frère, le préfet de Meurthe-et-Moselle, en prononçant à son encontre une obligation de quitter le territoire français, a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé pour ce motif l'arrêté du 18 novembre 2022 et enjoint le réexamen de la situation de la demanderesse dans un délai de deux mois suivant la notification de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
4. Le présent arrêt n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, en l'absence de conclusions à fin d'appel incident contestant la mesure d'injonction ordonnée par la magistrate désignée, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme A... ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de justice :
5. Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, accordé à Mme A... par une décision du 16 décembre 2022, ayant été maintenu par celle du 27 mars 2023, les conclusions de l'intéressée, présentées sur le seul fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de Meurthe-et-Moselle est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de Mme A... à fin d'injonction et à fin d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- M. Meisse, premier conseiller,
- Mme Stenger, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.
Le rapporteur,
Signé : E. Meisse
La présidente,
Signé : A. Samson-Dye
La greffière,
Signé : S. Blaise
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière :
S. Blaise
N° 23NC00497 2