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20/06/2024 | FRANCE | N°23NC00471

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 20 juin 2024, 23NC00471


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B..., née C..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés des 15 novembre et 28 décembre 2022 par lesquels la préfète du Bas-Rhin, d'une part, a ordonné son transfert aux autorité allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, d'autre part, a prononcé son assignation à résidence dans le département du Bas-Rhin pour une durée de quarante-cinq jours, renouvelable trois fois.



Par un jugement n° 2208

695 du 12 janvier 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B..., née C..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés des 15 novembre et 28 décembre 2022 par lesquels la préfète du Bas-Rhin, d'une part, a ordonné son transfert aux autorité allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, d'autre part, a prononcé son assignation à résidence dans le département du Bas-Rhin pour une durée de quarante-cinq jours, renouvelable trois fois.

Par un jugement n° 2208695 du 12 janvier 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 février et 2 août 2023, Mme A... C..., épouse B..., représentée

par Me Rafiei-Damneh, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2208695 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 12 janvier 2023 ;

2°) d'annuler les arrêtés de la préfète du Bas-Rhin des 15 novembre et 28 décembre 2022 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin, dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de cinquante euros par jour de retard, d'enregistrer sa demande d'asile selon la procédure normale ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relatif à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la décision de transfert est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- un retour en Allemagne lui fait encourir un risque de traitement inhumains et dégradants, au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la décision d'assignation à résidence est illégale en raison de l'illégalité de la décision de transfert.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que la requête d'appel, dont la motivation est identique à celle de la demande de première instance, n'est pas recevable et, subsidiairement, que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Meisse a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... C..., veuve B..., est une ressortissante arménienne, née le 9 avril 1959. Elle a déclaré être entrée irrégulièrement en France le 4 octobre 2022, accompagnée des deux enfants de son fils majeur, arrivé sur le territoire français peu de temps auparavant. Le 21 octobre 2022, elle s'est présentée au guichet unique de la préfecture du Bas-Rhin afin d'y solliciter l'asile. La consultation du fichier " Eurodac " ayant révélé que l'intéressée avait préalablement été enregistrée en Allemagne comme demandeur d'asile, une demande de reprise en charge a été adressée, le 25 octobre 2022, aux autorités allemandes compétentes, qui ont donné explicitement leur accord le 27 octobre suivant. Par un arrêté du 15 novembre 2022, la préfète du Bas-Rhin a décidé de transférer la requérante aux autorités concernées. Puis, par un arrêté du 28 décembre 2022, elle a assigné l'intéressée à résidence dans le département du Bas-Rhin pour une durée de quarante-cinq jours, renouvelable trois fois. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation des arrêtés préfectoraux des 15 novembre et 28 décembre 2022. Elle relève appel du jugement du 12 janvier 2023, qui rejette sa demande.

Sur la décision de transfert aux autorités allemandes :

2. En premier lieu, aux termes du quatorzième considérant du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " Conformément à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le respect de la vie familiale devrait être une considération primordiale pour les États membres lors de l'application du présent règlement. ". Aux termes de l'article 2 du même règlement : " Aux fins du présent règlement, on entend par : (...) g) "membres de la famille", dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d'origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des États membres : - le conjoint du demandeur, ou son ou sa partenaire non marié(e) engagé(e) dans une relation stable (...), - les enfants mineurs des couples visés au premier tiret ou du demandeur, à condition qu'ils soient non mariés (...), - lorsque le demandeur est mineur et non marié, le père, la mère ou un autre adulte qui est responsable du demandeur (...) ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".

3. Il résulte de ces dernières dispositions que la faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

4. Mme B..., qui est veuve, sans charge de famille et logée dans un hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile, fait valoir qu'elle ne possède aucune attache familiale ou personnelle, tant en Allemagne que dans son pays d'origine, et qu'elle a ainsi vocation à demeurer en France auprès de ses deux enfants majeurs et de ses six petits-enfants. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que le fils de la requérante, arrivé sur le territoire français peu de temps avant elle, s'y trouverait en situation régulière. Si sa fille est titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle et exerce la profession d'infirmière, il n'est pas contesté qu'elle a vécu séparée de sa mère depuis plusieurs années et il n'est versé aux débats contentieux aucun élément permettant d'apprécier la réalité, la stabilité et l'intensité des liens existant entre les intéressées. En tout état de cause, outre qu'il n'est pas démontré qu'ils seraient en mesure de l'accueillir dans leur logement respectif, les enfants de Mme B..., qui sont tous deux mariés et parents de trois enfants mineurs, doivent être regardés comme ayant constitué leur propre cellule familiale, indépendante de la sienne. Enfin, la requérante produit, à hauteur d'appel, plusieurs certificats médicaux indiquant qu'elle souffre d'une hypertension artérielle depuis 2010 et d'une insuffisance rénale chronique, diagnostiquée en janvier 2023 et nécessitant une prise en charge médicale spécialisée, ainsi qu'un suivi régulier et rapproché. Toutefois, ces seuls documents, eu égard notamment aux termes dans lesquels ils sont rédigés, ne suffisent pas établir qu'elle serait dans l'impossibilité de voyager sans risque à destination de l'Allemagne et d'y bénéficier effectivement de soins appropriés à ses pathologies. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la préfète du Bas-Rhin, en refusant de faire usage de la clause dérogatoire instituée au premier paragraphe de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, aurait commis une erreur manifeste d'appréciation.

5. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

6. Eu égard aux circonstances, qui ont été analysées au point 4 du présent arrêt, il y a lieu d'écarter les moyens tirés respectivement de ce que la décision en litige méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de ce qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme B....

Sur la décision d'assignation à résidence :

7. Compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait illégale en raison de l'illégalité de la décision de transfert de la requérante aux autorités allemandes ne peut qu'être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de

non-recevoir opposée en défense par la préfète du Bas-Rhin, que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêtés préfectoraux des 15 novembre et 28 décembre 2022, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et ses conclusions à fin d'application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., veuve B..., et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- Mme Stenger, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.

Le rapporteur,

Signé : E. Meisse

La présidente,

Signé : A. Samson-Dye

La greffière,

Signé : S. Blaise

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière :

S. Blaise

N° 23NC00471 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00471
Date de la décision : 20/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : RAFIEI-DAMNEH

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-20;23nc00471 ?
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