La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/05/2024 | FRANCE | N°23NC01495

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 13 mai 2024, 23NC01495


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 26 avril 2023 par lequel le préfet de l'Yonne l'a obligé à quitter sans délai le territoire national, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office et l'a interdit de retour sur le territoire pendant deux ans.



Par un jugement n° 2301287 du 4 mai 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande.


> Procédure devant la cour :



I.) Par une requête enregistrée le 15 mai 2023, sous le numéro 23NC01...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 26 avril 2023 par lequel le préfet de l'Yonne l'a obligé à quitter sans délai le territoire national, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office et l'a interdit de retour sur le territoire pendant deux ans.

Par un jugement n° 2301287 du 4 mai 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

I.) Par une requête enregistrée le 15 mai 2023, sous le numéro 23NC01495, M. B..., représenté par Me Issa, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté attaqué ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire : a été prise en méconnaissance de la garantie prévue par l'article 41 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, du droit à être entendu ; est insuffisamment motivée ; n'a pas été précédée d'un examen de sa situation personnelle ; repose sur une erreur de fait en ce qu'il n'est pas sans domicile fixe mais vit depuis de nombreuses années avec son épouse française et ses enfants au 46 avenue de Mayen à Joigny ; méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; viole le 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et droit d'asile ; méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision lui refusant un délai de départ volontaire : est insuffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen de sa situation personnelle ; a pour fondement le 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et droit d'asile est incompatible avec la directive retour ; est entachée d'erreur d'appréciation en l'absence de tout risque de fuite ;

- la décision fixant le pays de destination : est insuffisamment motivée ; viole les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'interdiction de retour : est insuffisamment motivée au regard des critères prévus à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; est entachée d'erreur d'appréciation au regard de sa durée et des circonstances humanitaires de sa situation ; viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; viole l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire enregistré le 27 septembre 2023, le préfet de l'Yonne, représenté par Me Cano, conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.

II.) Par une requête enregistrée le 30 mai 2023, sous le numéro 23NC01669, M. B..., représenté par Me Issa, demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2201287 du tribunal administratif de Nancy du 4 mai 2023 et à ce qu'il soit à mis à la charge de l'Etat le versement à son avocat d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un mémoire enregistré le 27 septembre 2023, le préfet de l'Yonne, représenté par Me Cano, conclut au rejet de la requête.

M. B... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 22 mai et 15 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience publique.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Agnel.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant marocain né le 12 mars 1987, serait entré en France, selon ses déclarations, en 2008. Il a bénéficié d'un titre de séjour entre 2020 et 2021 qui lui a été retiré le 4 aout 2021 en raison de la menace pour l'ordre public résultant de son comportement. Il a été interpellé le 26 avril 2023 par les services de la gendarmerie suite à un contrôle d'identité. Après avoir constaté l'irrégularité de son séjour en France, le préfet de l'Yonne a pris à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans par un arrêté du 26 avril 2023. Par les deux requêtes ci-dessus visées, qu'il y a lieu de joindre afin de statuer par un seul arrêt, M. B... relève appel et demande le sursis à exécution du jugement du 4 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la requête d'appel :

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté pris dans son ensemble :

2. L'arrêté attaqué comporte de manière suffisante les considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet de l'Yonne s'est fondé afin de prendre à l'encontre de l'intéressé les décisions attaquées.

En ce qui concerne la légalité de l'obligation de quitter le territoire :

3. Les observations de M. B... ont été recueillies en ce qui concerne la mesure d'éloignement envisagée à son encontre au cours de son audition par les services de gendarmerie. Par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 41 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne peut qu'être écarté.

4. M. B... a déclaré lors de son audition le 26 avril 2023 être sans domicile fixe, vivre dans un squat et ne disposer que d'une adresse postale à la Croix rouge de Nevers. Par les pièces qu'il produit en appel, il ne justifie pas être domicilié au 46 avenue de Mayen à Joigny auprès de son épouse " depuis de nombreuses années ". Les documents produits font au contraire état de diverses adresses dans différentes villes, aucune ne justifiant sa résidence auprès de son épouse. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de fait que le préfet de l'Yonne a estimé qu'il ne justifiait pas d'une résidence habituelle ou d'un domicile fixe.

5. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a fait l'objet de multiples condamnations pénales, notamment pour violences volontaires par conjoint et sur mineur par ascendant, et est impliqué dans de nombreuses procédures pénales pour des faits commis au cours des années 2022 et 2023 et a été incarcéré. Par les documents qu'il produit devant cette cour il ne justifie d'aucune vie commune avec son épouse et pas davantage participer à l'entretien et l'éducation de ses enfants mineurs, en se bornant à produire, outre divers documents d'identité, des photos anecdotiques, des attestations établies par lui-même ou par son épouse alors qu'il a déclaré durant son audition, sans en justifier, avoir une nouvelle compagne enceinte. Dans ces conditions, compte tenu du motif non contesté tenant à l'ordre public, alors que l'autorité administrative ne s'est pas refusée à examiner l'ensemble de la situation personnelle du requérant, la mesure d'éloignement attaquée n'a pas méconnu les normes ci-dessus reproduites.

En ce qui concerne la légalité du refus de délai de départ volontaire :

7. Aux termes des dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Et, aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ".

8. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué que le préfet de l'Yonne a refusé d'accorder à M. B... un délai de départ volontaire au motif qu'il s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement. Il se trouvait ainsi dans le cas prévu au 5° de l'article L. 612-3 précité, permettant de regarder comme établi, sauf circonstance particulière, le risque qu'il se soustraie à l'obligation qui lui avait été faite de quitter le territoire français. S'il soutient que ces dispositions seraient contraires à une " directive retour ", le moyen n'est assorti d'aucune précision utile. Il ne peut dans ces conditions utilement soutenir que son comportement ne représenterait pas une menace pour l'ordre public, un tel motif n'étant pas au nombre de ceux retenus pour refuser de lui accorder un délai de départ volontaire. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait inexactement appliqué les dispositions précitées des articles L. 612-2 et L.612-3 en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.

En ce qui concerne la légalité de la décision fixant le pays de destination :

9. Par les mêmes motifs que ci-dessus, la décision fixant le pays de destination n'a pas méconnu les normes rappelées au point 5 ci-dessus. Le moyen tiré de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales étant dépourvu de toute précision utile, il ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire :

10. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ". Il résulte de ces dispositions que lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, le préfet assortit, en principe et sauf circonstances humanitaires, l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour. La durée de cette interdiction doit être déterminée en tenant compte des critères tenant à la durée de présence en France, à la nature et l'ancienneté des liens de l'intéressé avec la France, à l'existence de précédentes mesures d'éloignement et à la menace pour l'ordre public représentée par la présence en France de l'intéressé.

11. En se bornant à se prévaloir de la présence en France de sa compagne et de ses enfants, avec lesquels il n'établit pas partager une communauté affective, M. B... ne justifie d'aucune circonstance humanitaire particulière. Par ailleurs, en dépit de la durée de sa présence en France, M. B..., qui a précédemment fait l'objet d'un retrait de titre de séjour qui lui avait été délivré, s'est soustrait à une précédente mesure d'éloignement et ne justifie pas d'autre lien en France que ceux noués avec son ex compagne. Le préfet de l'Yonne, en fixant à deux ans la durée de l'interdiction du territoire prise à son encontre, n'a ainsi pas fait une inexacte application des dispositions précitées ni porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale au regard des buts en vue des quels cette mesure a été prise. Pour les mêmes motifs, cette décision ne méconnaît pas l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur la requête aux fins de sursis à exécution :

13. Le présent arrêt s'étant prononcé sur la requête d'appel, il n'y a pas lieu de statuer sur la requête ci-dessus visée tendant au sursis à exécution du jugement attaqué.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... ci-dessus visée sous le numéro 23NC01495 est rejetée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête ci-dessus visée sous le numéro 23NC01669.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Issa et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie du présent arrêt sera transmise au préfet de l'Yonne.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mai 2024.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N°s 23NC01495 et 23NC01669 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01495
Date de la décision : 13/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : ISSA

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-13;23nc01495 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award