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16/04/2024 | FRANCE | N°23NC01984

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 16 avril 2024, 23NC01984


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme E... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté en date du 11 janvier 2023 par lequel le préfet du Doubs a refusé de lui renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2300592 du 15 juin 2023, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.



Procédure devant la cou

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Par une requête enregistrée le 22 juin 2023, Mme C..., représentée par Me Dravigny, demande à la cour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté en date du 11 janvier 2023 par lequel le préfet du Doubs a refusé de lui renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2300592 du 15 juin 2023, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 juin 2023, Mme C..., représentée par Me Dravigny, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 juin 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la date de notification du présent arrêt et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le même délai et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour durant cet examen ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision de refus de titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans la mesure où elle ne peut pas bénéficier d'un suivi médical adapté au Kosovo ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la mesure où le soutien de son fils lui est indispensable ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire et est illégale par voie de conséquence de l'illégalité entachant la décision de refus de séjour ;

- elle méconnaît l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire est illégale par voie de conséquence de l'illégalité entachant la décision portant obligation de quitter le territoire ;

- la décision fixant le pays de renvoi est illégale par voie de conséquence de l'illégalité entachant la décision portant obligation de quitter le territoire ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire enregistré le 31 juillet 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par Mme C... ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Mosser a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante du Kosovo née le 20 janvier 1958 à Braine (Kosovo), est entrée en France le 19 septembre 2016 afin d'y solliciter l'asile. Sa demande d'asile a été rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 26 février 2019. Elle a présenté, le 8 avril 2019, une demande de titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Par un arrêté du 20 août 2019, le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. En exécution de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy ayant annulé cet arrêté, Mme C... a toutefois été munie d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en 2021. Le 25 avril 2022, elle a sollicité le renouvellement de ce titre de séjour ou la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale ". Par un arrêté en date du 11 janvier 2023, le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme C... relève appel du jugement du 15 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Par ailleurs, par une ordonnance du 11 juillet 2023, l'arrêté du 11 janvier 2023 a été suspendu par cette cour.

2. Tout d'abord, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...). / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) / Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée ".

3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. Pour refuser d'admettre Mme C... au séjour en raison de son état de santé, le préfet du Doubs s'est fondé sur l'avis du collège des médecins de l'OFII du 9 décembre 2022 dont il ressort que si l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale, son défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et son état de santé de santé lui permet d'y voyager sans risque. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... souffre d'un syndrome dépressif sévère réactionnel accompagné de décompensation psychotique et de stress post-traumatique et bénéficie d'un traitement médicamenteux et d'une psychothérapie bi-hebdomadaire. Les certificats médicaux produits, notamment ceux du Dr A..., médecin psychiatre qui suit la requérante et du Dr D..., médecin généraliste, sont établis certes postérieurement à la décision en litige mais décrivent un état préexistant. S'ils font état d'une stabilisation de son état psychique, ils soulignent le risque de décompensation très grave en cas d'interruption des soins et de départ de Besançon où elle vit avec son fils, avec l'engagement du pronostic vital en raison de risques suicidaires. Dans ces conditions, ces certificats sont de nature à remettre à cause le bien-fondé de l'avis du collège de médecins de l'OFII. Par suite, Mme C... est fondée à soutenir que le préfet du Doubs a, en se fondant sur cet avis pour lui refuser la délivrance d'un titre de séjour pour raisons médicales, fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que la décision portant refus de séjour doit être annulée.

5. Il s'ensuit que les décisions l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination doivent, par voie de conséquence, également être annulées.

6. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 15 juin 2023, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 janvier 2023.

7. Ensuite, il y a lieu, compte tenu de ce qui précède, d'enjoindre au préfet du Doubs de délivrer à Mme C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

8. Enfin, Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Dravigny, avocat de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Dravigny de la somme de 1 000 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 15 juin 2023 du tribunal administratif de Besançon est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 11 janvier 2023 par lequel le préfet du Doubs a refusé à Mme C... la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Doubs de délivrer à Mme C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Dravigny, avocate de Mme C..., une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... épouse C..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à Me Dravigny.

Une copie du présent arrêt sera adressée à le préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Guidi, présidente,

Mme Peton, première conseillère,

Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2024.

La rapporteure,

Signé : C. MosserLa présidente,

Signé : L. Guidi

La greffière,

Signé : M. B...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. B...

2

N° 23NC01984


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01984
Date de la décision : 16/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GUIDI
Rapporteur ?: Mme Cyrielle MOSSER
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : DRAVIGNY

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-16;23nc01984 ?
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