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16/04/2024 | FRANCE | N°23NC01776

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 16 avril 2024, 23NC01776


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 7 octobre 2022 par lequel le préfet du Doubs a décidé de sa remise aux autorités bulgares en vue de l'examen de sa demande d'asile et d'annuler l'arrêté du même jour par lequel le préfet du Doubs a décidé de l'assigner à résidence dans ce département pour une durée de 45 jours.



Par un jugement n° 2201680 du 19 octobre 2022, le magistrat désigné par le président

du tribunal administratif de Besançon a rejeté les demandes de M. B....



Procédure devant la cour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 7 octobre 2022 par lequel le préfet du Doubs a décidé de sa remise aux autorités bulgares en vue de l'examen de sa demande d'asile et d'annuler l'arrêté du même jour par lequel le préfet du Doubs a décidé de l'assigner à résidence dans ce département pour une durée de 45 jours.

Par un jugement n° 2201680 du 19 octobre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté les demandes de M. B....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 juin 2023, M. B..., représenté par Me Bouchoudjian, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 7 octobre 2022 ;

3°) d'annuler l'arrêté du 7 octobre 2022 par lequel le préfet du Doubs a ordonné son assignation à résidence dans le département du Doubs pour une durée de quarante-cinq jours ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement ne répond pas au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 17 du règlement n° 604/2013 ;

- il appartenait au préfet de faire usage de la clause dérogatoire prévue par l'article 17 du règlement n° 604/2013 dès lors qu'il n'a jamais eu l'intention de présenter une demande d'asile en Bulgarie et qu'il entendait retrouver son frère résidant en France sous la qualité de réfugié ;

Par un mémoire en défense enregistré le 9 août 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mai 2023.

Par une ordonnance du 30 août 2023 la clôture de l'instruction a été fixée au 15 septembre 2023 à 12 h 00.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision à intervenir était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office tiré de ce qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de transfert, cet arrêté ne pouvant plus être légalement exécuté compte tenu de l'expiration du délai de transfert prévu à l'article 29 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013.

Par un mémoire en réponse au moyen d'ordre public, enregistré le 30 novembre 2023, le préfet du Doubs a informé la cour de ce que le requérant a été déclaré en fuite, ce qui a eu pour effet de prolonger le délai de transfert jusqu'au 20 avril 2024

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Peton, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant afghan né le 1er février 1998, est entré irrégulièrement en France à une date indéterminée. Il a présenté une demande d'asile et lors de l'instruction de cette demande, la consultation du fichier Eurodac a révélé que l'intéressé avait été identifié en Bulgarie le 20 mai 2022 pour le dépôt d'une demande d'asile. La France a saisi les autorités bulgares d'une demande de prise en charge à laquelle une suite favorable a été donnée le 23 septembre 2022. Par deux arrêtés 7 octobre 2022, le préfet du Doubs a, d'une part, ordonné le transfert de M. B... aux autorités bulgares et, d'autre part, ordonné son assignation à résidence dans le département du Doubs pour une durée de quarante-cinq jours. M. B... relève appel du jugement du 19 octobre 2022, par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté ses demandes.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. A l'appui de sa demande, M. B... soutenait notamment qu'il appartenait au préfet de faire usage de la clause dérogatoire de l'article 17 du règlement n° 604/2013 et qu'en conséquence le préfet avait commis une erreur de droit. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite, son jugement doit être annulé.

3. Il appartient à la Cour de statuer sur les demandes de M. B... par la voie de l'évocation.

Sur la légalité de l'arrêté portant remise aux autorités bulgares :

4. En premier lieu, la décision contestée mentionne les motifs de faits et de droit sur lesquels elle se fonde. La circonstance que cet arrêté ne mentionne pas certains faits ou dates, alors que le préfet n'est pas tenu de faire référence à l'ensemble des éléments propres à la situation personnelle du requérant ne suffit pas à considérer que la décision est insuffisamment motivée ni que le préfet n'aurait pas examiné la situation personnelle de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite (...) dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...) contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier qu'une attestation de demande d'asile a été remise à M. B... le 26 juillet 2022 au moment de la présentation de sa demande. Le guide du demandeur d'asile lui avait par ailleurs été remis le 21 juillet précédent et, le jour du dépôt de sa demande d'asile, il a reçu un guide relatif au règlement eurodac. Ces documents ont tous été remis à l'intéressé en main propre et contre signature, en langue pachto, langue qu'il a déclarée comprendre. Ces brochures comportent l'ensemble des éléments d'information énumérés par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013. M. B..., qui a signé la première page de ces brochures pour attester qu'il avait bien reçu ces documents, n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il n'aurait pas reçu ces brochures dans leur intégralité. Par suite, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que le préfet n'aurait pas respecté l'obligation d'information prévue à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 précité.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé.

8. Il ressort des pièces du dossier qu'un entretien a eu lieu avec le requérant le 26 juillet 2022. Cet entretien a été assuré de façon confidentielle par un agent de la préfecture assisté d'un interprète, qui doivent, en l'absence de tout élément de preuve contraire, être regardés comme qualifiés pour mener un tel entretien. Il n'est pas contesté que l'entretien se serait déroulé en langue pachto, langue que le requérant parle et comprend. Enfin, le conseil du requérant ne justifie pas avoir demandé la copie du résumé de l'entretien avant que la décision contestée ne soit prise et alors que M. B... a signé ce résumé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

9. En quatrième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions que la faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

11. En l'espèce, si M. B... se prévaut de la présence en France d'un frère en situation régulière, il n'apporte néanmoins aucun élément de nature à établir le lien de parenté, ainsi que l'ancienneté et l'intensité des liens qu'il entretiendrait avec ce frère, alors qu'il n'est lui-même entré en France que très récemment. Dans ces conditions, le préfet du Doubs en décidant le transfert de M B... aux autorités bulgares, n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation dans la mise en œuvre des dispositions précitées de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Sur l'arrêté portant assignation à résidence :

12. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant assignation à résidence serait illégale du fait de l'illégalité de la décision portant remise aux autorités bulgares.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation des arrêtés du 7 octobre 2022 portant remise aux autorités bulgares et assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

15. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2201680 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... et ses conclusions de première instance sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., Me Bouchoudjian et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Guidi, présidente

- Mme Peton, première conseillère,

- Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 avril 2024.

La rapporteure,

Signé : N. Peton La présidente,

Signé : L. Guidi

La greffière,

Signé : M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. A...

2

N° 23NC01776


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01776
Date de la décision : 16/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GUIDI
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : BOUCHOUDJIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-16;23nc01776 ?
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