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11/04/2024 | FRANCE | N°22NC01196

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 1ère chambre, 11 avril 2024, 22NC01196


Vu la procédure suivante :



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 9 mai 2022 et un mémoire complémentaire enregistré le 17 juin 2022, la société à responsabilité limitée Eoliennes de Bonne Voisine 2, représentée par Me Guiheux, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 21 février 2022 par lequel le préfet de l'Aube a rejeté sa demande d'autorisation environnementale pour exploiter un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs et un poste de livraison sur le territoire de la commune de C

hampfleury ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Aube, sous astreinte, de reprendre l'instruction de...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 mai 2022 et un mémoire complémentaire enregistré le 17 juin 2022, la société à responsabilité limitée Eoliennes de Bonne Voisine 2, représentée par Me Guiheux, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 21 février 2022 par lequel le préfet de l'Aube a rejeté sa demande d'autorisation environnementale pour exploiter un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Champfleury ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Aube, sous astreinte, de reprendre l'instruction de sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté du 21 février 2022 est insuffisamment motivé ;

- le préfet de l'Aube ne pouvait sans méconnaître les articles L. 181-9 et R. 181-34 du code de l'environnement prendre l'arrêté attaqué sans que la mission régionale d'autorité environnementale n'ait au préalable émis son avis ;

- l'arrêté du 21 février 2022 est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'en méconnaissance de l'article R. 181-16 du code de l'environnement, le préfet de l'Aube a fondé sa décision sur des incomplétudes du dossier de demande sans l'avoir au préalable permis de régulariser ces différentes insuffisances ;

- l'arrêté du 21 février 2022 repose sur des faits matériellement inexacts dès lors que le dossier de demande d'autorisation environnementale n'est pas incomplet en ce qui concerne les inventaires relatifs à la faune volante, les mesures d'évitement, réduction et compensation et la prise en compte des effets cumulés avec les autres parcs éoliens du secteur alors que la demande de dérogation à la destruction d'espèces protégées n'est pas insuffisante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juillet 2023, le préfet de l'Aube conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sibileau, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bonnin, pour la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2.

Considérant ce qui suit :

1. Le 13 mars 2020, la société à responsabilité limitée Eoliennes de Bonne Voisine 2 (ci-après " la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 ") a sollicité, auprès des services de la préfecture de l'Aube, la délivrance d'une autorisation environnementale en vue d'exploiter une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent de cinq aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Champfleury. Par un courrier du 24 décembre 2020, le préfet de l'Aube a adressé à la pétitionnaire une demande de régularisation en précisant les éléments à compléter pour permettre la poursuite de l'instruction de son dossier. La requérante a transmis, par un courrier du 17 décembre 2021, plusieurs documents. Toutefois, en application du 1° de l'article R. 181-34 du code de l'environnement, le préfet de l'Aube, par un arrêté du 21 février 2022, a rejeté au stade de l'examen la demande d'autorisation environnementale en raison du caractère incomplet ou irrégulier du dossier. La SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 a saisi la cour d'une requête tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté du 21 février 2022 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 181-34 du code de l'environnement : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : / 1° Lorsque, malgré la ou les demandes de régularisation qui ont été adressées au pétitionnaire, le dossier est demeuré incomplet ou irrégulier ; / (...) La décision de rejet est motivée. ".

3. L'arrêté du 21 février 2022 précise notamment que le dossier de demande de la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 est incomplet, malgré une demande de régularisation, sur différents aspects. L'arrêté attaqué met ainsi l'accent, entre autres, sur l'insuffisance des inventaires qui ne permettent pas d'apprécier les risques réels pour la faune volante, l'insuffisance des mesures d'évitement des impacts proposées dans le dossier mais également l'absence de mesure de réductions susceptibles d'être mises en œuvre. L'arrêté du 21 février 2022 comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il est, par suite, suffisamment motivé au regard des exigences de l'article R. 181-34 du code de l'environnement.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 181-9 du code de l'environnement dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " L'instruction de la demande d'autorisation environnementale se déroule en trois phases : / 1° Une phase d'examen ; / 2° Une phase d'enquête publique ; / 3° Une phase de décision. / Toutefois, l'autorité administrative compétente peut rejeter la demande à l'issue de la phase d'examen lorsque celle-ci fait apparaître que l'autorisation ne peut être accordée en l'état du dossier ou du projet. / Il en va notamment ainsi lorsque l'autorisation environnementale ou, le cas échéant, l'autorisation d'urbanisme nécessaire à la réalisation du projet, apparaît manifestement insusceptible d'être délivrée eu égard à l'affectation des sols définie par le plan local d'urbanisme ou le document en tenant lieu ou la carte communale en vigueur au moment de l'instruction, à moins qu'une procédure de révision, de modification ou de mise en compatibilité du document d'urbanisme ayant pour effet de permettre cette délivrance soit engagée. ". Et aux termes de l'article R. 181-19 : " Lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur un projet soumis à évaluation environnementale en application de l'article L. 122-1, le préfet transmet le dossier à l'autorité environnementale dans les quarante-cinq jours suivant l'accusé de réception de la demande, ainsi que l'avis recueilli en application de l'article R. 181-18 ".

5. Si l'article R. 181-19 du code de l'environnement prévoit la saisine de l'autorité environnementale dans les quarante-cinq jours suivant l'accusé de réception de la demande d'autorisation environnementale, aucune disposition ni aucun principe ne prévoit que cette autorité doive rendre un avis avant un rejet de la demande intervenant en phase d'examen préalable sur le fondement de l'article L. 181-9 du code de l'environnement. Le moyen tiré de l'absence de saisine de l'autorité environnementale doit dès lors être écarté comme inopérant.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 181-16 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable : " Le préfet désigné à l'article R. 181-2 délivre un accusé de réception dès le dépôt de la demande d'autorisation lorsque le dossier comprend les pièces exigées par la sous-section 2 de la section 2 du présent chapitre pour l'autorisation qu'il sollicite. Toutefois, lorsque le dossier est déposé par voie de la téléprocédure prévue au troisième alinéa de l'article R. 181-12, l'accusé de réception est immédiatement délivré par voie électronique. / Lorsque l'instruction fait apparaître que le dossier n'est pas complet ou régulier, ou ne comporte pas les éléments suffisants pour en poursuivre l'examen, le préfet invite le demandeur à compléter ou régulariser le dossier dans un délai qu'il fixe. / Le délai d'examen du dossier peut être suspendu à compter de l'envoi de la demande de complément ou de régularisation jusqu'à la réception de la totalité des éléments nécessaires. Cette demande le mentionne alors expressément. Le délai d'examen peut également être suspendu par le préfet dans l'attente de la réception de la réponse à l'avis de l'autorité environnementale prévue au dernier alinéa du V de l'article L. 122-1. (...) ".

7. D'une part, la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 soutient que le préfet de l'Aube a omis, pour plusieurs motifs fondant sa décision, de l'inviter à régulariser ou à compléter sa demande initiale. Toutefois, il est constant que le préfet de l'Aube a également fondé l'arrêté du 21 février 2022 sur le caractère incomplet ou insuffisant des pièces du dossier pour lesquelles il avait invité l'intéressée par un courrier du 24 décembre 2020 à présenter compléments et précisions. Par suite, à supposer fondée la circonstance dont la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 se prévaut, cette surabondance de motifs de fait n'est pas de nature à justifier l'annulation de l'arrêté du 21 février 2022.

8. D'autre part, il est constant que les services préfectoraux ont demandé à la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2, par courrier du 24 décembre 2020, de compléter et régulariser son dossier en produisant notamment un formulaire CERFA n° 13 0616*01. La requérante soutient avoir le 18 février 2021 fourni le formulaire demandé ainsi qu'un tableau récapitulatif dans lequel elle aurait expliqué que les éléments justificatifs à la demande de dérogation à la destruction d'espèces protégées se trouvaient dans l'étude d'impact au sein du chapitre intitulé " Variante et justification du projet ". Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2, qui n'a pas jugé utile de verser ces documents à l'appui de ses écritures, aient effectivement complété sa demande d'autorisation environnementale en temps utile comme l'y avait invité l'administration. Par suite, la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 n'est pas fondée à se prévaloir d'une méconnaissance des dispositions précitées ou de ce que son dossier de demande d'autorisation environnementale était complet.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement : " II. - En application du 2° du II de l'article L. 122-3, l'étude d'impact comporte les éléments suivants, en fonction des caractéristiques spécifiques du projet et du type d'incidences sur l'environnement qu'il est susceptible de produire : / (...) 3° Une description des aspects pertinents de l'état actuel de l'environnement, dénommée "scénario de référence", et de leur évolution en cas de mise en œuvre du projet ainsi qu'un aperçu de l'évolution probable de l'environnement en l'absence de mise en œuvre du projet, dans la mesure où les changements naturels par rapport au scénario de référence peuvent être évalués moyennant un effort raisonnable sur la base des informations environnementales et des connaissances scientifiques disponibles ; / 4° Une description des facteurs mentionnés au III de l'article L. 122-1 susceptibles d'être affectés de manière notable par le projet : la population, la santé humaine, la biodiversité, les terres, le sol, l'eau, l'air, le climat, les biens matériels, le patrimoine culturel, y compris les aspects architecturaux et archéologiques, et le paysage ; / 5° Une description des incidences notables que le projet est susceptible d'avoir sur l'environnement résultant, / (...) 8° Les mesures prévues par le maître de l'ouvrage pour : / - éviter les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine et réduire les effets n'ayant pu être évités ; / - compenser, lorsque cela est possible, les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine qui n'ont pu être ni évités ni suffisamment réduits. S'il n'est pas possible de compenser ces effets, le maître d'ouvrage justifie cette impossibilité. / La description de ces mesures doit être accompagnée de l'estimation des dépenses correspondantes, de l'exposé des effets attendus de ces mesures à l'égard des impacts du projet sur les éléments mentionnés au 5° ; (...) ".

10. Il résulte de l'instruction et notamment des écritures mêmes de la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 par ailleurs reprises du contenu même de l'étude d'impact que le projet de ferme éolienne de Bonne Voisine 2, sur la commune de Champfleury dans le département de l'Aube, correspond à une extension du parc de Bonne Voisine 1 dont le permis de construire a été accordé en 2017. L'étude écologique réalisée s'appuie donc largement sur celle réalisée en 2015 pour le premier parc éolien. Il résulte toutefois de l'instruction que la seule mise à jour des constats opérés en 2015 date de 2017 et que la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 n'est en mesure de préciser ni la fiabilité ni même le seul contenu de la méthodologie employée pour procéder à ces remises à jour dont l'étendue et la nature n'est pas davantage établie. De surcroît, il n'est pas contesté qu'entre la réalisation de l'étude écologique du parc éolien de Bonne Voisine 1 et le 21 février 2022, la zone d'implantation du projet a connu une densification éolienne particulièrement importante notamment entre 2015 et 2020 et qui consiste en quarante-cinq éoliennes en exploitation et trente-deux éoliennes autorisées dans un rayon de cinq kilomètres. Par suite, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en prenant la décision attaquée après avoir estimé que l'étude d'impact repose, ainsi qu'il vient d'être dit, sur des données obsolètes.

11. En cinquième et dernier lieu, il résulte de l'article L. 411-1 et du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur. Pour apprécier si le projet ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de déterminer, dans un premier temps, l'état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un deuxième temps, les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci.

12. Il résulte de l'instruction, et notamment de la demande de dérogation sollicitée par la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 et versée au dossier que la requérante n'y a justifié ni de l'absence de solutions alternatives ni du maintien des populations un état de conservation favorable. Par suite, la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le préfet de l'Aube a estimé incomplet son dossier de demande d'autorisation environnementale et l'a par conséquent, rejeté sur le fondement du 1° de l'article R. 181-34 du code de l'environnement.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. Le présent arrêt, qui rejette la requête de la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressée tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au préfet de l'Aube de reprendre l'instruction de sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Eoliennes de Bonne Voisine 2 est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Eoliennes de Bonne Voisine 2, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de l'Aube.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- M. Sibileau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé : J.-B. SibileauLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 22NC01196


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01196
Date de la décision : 11/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste SIBILEAU
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : SELARL VOLTA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-11;22nc01196 ?
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