Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 5 avril 2022 par lequel le préfet de la Moselle lui a refusé un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire national dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office et l'a interdit de retour sur le territoire pendant un an.
Par un jugement n° 2205172 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 mai 2023, M. B..., représenté par Me Sabatakakis, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté attaqué ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour, à défaut de réexaminer sa situation, dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat d'une somme de 1 500 euros hors taxes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le refus de séjour : repose sur une appréciation erronée de son état de santé au regard de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce que le traitement dont il a besoin n'est pas disponible en Géorgie ; repose sur une appréciation manifestement erronée de sa situation ;
- l'obligation de quitter le territoire : est privée de base légale du fait de l'illégalité du refus de séjour ; a été prise en violation du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le pays de destination : est privée de base légale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire ;
- l'interdiction de retour sur le territoire : est privée de base légale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire.
Par un mémoire enregistré le 30 juin 2023, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
M. B... a été admis à l'aide juridictionnelle par décision du 11 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience publique.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Agnel.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant géorgien né en 1974, entré en France, selon ses déclarations, le 22 mai 2019, a présenté une demande d'asile qui a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile. Il a également demandé au préfet de la Moselle de lui délivrer une carte de séjour temporaire en raison de son état de santé. Par un arrêté du 5 avril 2022, le préfet de la Moselle a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours en fixant le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. B... relève appel du jugement du 10 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 5 avril 2022 :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. / Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée ". Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ".
3. Il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté que M. B... est atteint d'une insuffisance rénale chronique et d'un diabète de type 1, affections assorties de multiples complications. Outre un traitement médicamenteux, les pathologies de l'intéressé nécessitent un dyalise trois fois par semaine et son état justifie une greffe des reins. Il n'est pas contesté qu'un défaut de prise en charge médicale de l'intéressé serait de nature à entraîner des conséquences d'une extrême gravité. Par des pièces nouvelles en appel, le requérant justifie que le médicament non substituable Mimpara (cinacalcet), qui lui est administré en France, n'est pas disponible en Géorgie. Il ressort des pièces produites et il n'est pas contesté que le défaut de cette spécialité, destinée à traiter l'hyperparathyroïdie en tant que complication de l'insuffisance rénale, serait de nature à entraîner des conséquences d'une extrême gravité et que cette complication ne peut pas être traitée d'une autre manière. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que le préfet de la Moselle a inexactement apprécié son état de santé au regard des dispositions ci-dessus reproduites du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avant de prendre à son encontre les décisions attaquées.
4. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. L'annulation ci-dessus prononcée implique nécessairement que le préfet de la Moselle délivre à M. B... un titre de séjour pour soins médicaux. Il y a lieu, par suite, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui enjoindre d'y procéder selon les modalités figurant au dispositif du présent arrêt.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
6. M. B... ayant été admis à l'aide juridictionnelle totale, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi ci-dessus visée du 10 juillet 1991. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Sabatakakis, sous réserve de sa renonciation au versement de la part contributive de l'Etat à l'aide juridique, de la somme de 1 200 euros au titre des frais que M. B... aurait exposés dans la présente instance s'il n'avait pas été admis à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2205172 du 10 novembre 2022 du tribunal administratif de Strasbourg et l'arrêté du préfet de la Moselle du 5 avril 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Moselle de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Sabatakakis, sous réserve de sa renonciation au versement de la part contributive de l'Etat à l'aide juridique, la somme de 1 200 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Sabatakakis et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie du présent arrêt sera transmise au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :
M. Agnel, président de chambre,
Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère,
Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : M. AgnelL'assesseure la plus ancienne,
Signé : M. Bourguet-Chassagnon
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 23NC01439 2